Pensées dominicales bancales
Le temps est gris et doux avec quelques averses éparses comme on nous l'a annoncé ; la rue est déserte, tant mieux, les importants pressés qui roulent vite en semaine mangent en bonne compagnie ; il est midi au soleil. J'ai la tête pleine de guerres sournoises qui ne disent pas leur nom, et mon impuissance est décuplée par mon assignation à résidence à cause de l'accident de ma chienne, que je dois panser, surveiller, sortir, et que mon petit cœur répugne à laisser seule tant nous avons passé ces sept dernières années toujours ensemble. J'aime ce silence gris un peu épais, c'est un repos, la promesse de futures activités.
Sur mon site préféré d'échanges, cela fait plusieurs fois que je vois quelqu'un faire – peut-être à son corps défendant-, une étude sociologique tout autant que psychologique. En effet, voilà quelqu'un qui change de pseudonyme à chaque article, mais qui dit toujours la même chose : il caricature la vision de ceux qu'il croit engoués d'un homme politique. Ses lecteurs lui donnent raison : les engoués l'approuvent à foison, les critiques acerbes lui répondent en démontant ses dires. Ce qu'il prouve ? Juste la propension de chacun à ne voir l'autre qu'à travers le filtre de l'ego, sa conviction, ses certitudes, bref à prouver l'hermétisme de sa conscience. Bravo l'artiste, sauf que, si je ne le relevais pas, personne pour applaudir sa démonstration.
Sur mon site préféré d'échanges, un dimanche à midi, point besoin de faire défiler les titres ou, sous un titre, les commentaires ; comme les gens importants, chacun a sa vie personnelle, bercée par le rythme ambiant. J'ai souvenir d'un soir de Noël où les échanges furent féconds, comme au bistro du coin quand le patron a mis les chaises sur les tables et que dans ce no man's time, les paumés du petit matin s'épanchent, ouvrent leur cœur et le fond de leur pensée. C'est le meilleur moment pour une humanité sans fard, un moment qui se terminait en musique, quand les aficionados des guitares exotiques nous offraient leurs trésors comme une « bonne nuit » qui n'en finirait pas. Ce temps, lui, est fini, au bar, le moindre café nous ruine et ici, il semble que l'ambiance soit à la désincarnation. On applaudit les compilateurs, on se rue sur la rumeur et l'avis donné, pour une habituée, a un goût de réchauffé. Les époques sont longues à finir et donnent un goût âcre de frustration, jusqu'à ce qu'une autre reparte et nous fasse oublier.
Pourtant il arrive qu'on compte les absents, et rien n'a dit jamais, ou rarement, qu'ils disparaîtraient ; alors, on sait que comme des météores, notre passage est infime, vite recouvert, toujours plus de matière où jeter notre message ; pour pouvoir ne pas changer il faut que ce soit le monde autour qui se renouvelle, et ça convient. Ou être capable de tourner sans fin. Et puis il y a ceux qui, ne se mettant pas en scène, se mettent au service des nouvelles du monde, font part de leurs savoirs, donnent. Ceux qui ne sont plus me manquent mais je ne nommerai personne de peur d'en oublier. Les ambiances se succèdent, on a ses préférences.
Et l'esprit vaque au gré du tempo lent que pose un ciel de nuages ; les deux chevaux sans foin, dans leur merde coincés sur leur petit terrain enclos, à la sortie du village. Je voudrais pouvoir délater. Et mes félins clandestins si beaux avec leur pelage de bêtes sauvages, qui m'ont valu tant de crachats au visage. Les chiennes dorment. Élodie gratte son bateau, Hélène joue du piano, Gilles bricole, Yves rigole et Yann dort. Que mes amis sont beaux. Et mes quatre équidés gras comme des thons de n'être pas montés, ne m'attendent pas, ils ont à faire, mais j'irai quand même.
Pendant ce temps le monde continue de se déglinguer, des énergies se meuvent et par dessus nos têtes notre destin en creux se joue. Nous sommes le peuple, cette bête immonde, cette variable d'ajustement, ces dégâts collatéraux, cette force immense réduite à l'impuissance tant elle est crainte.
Mais le temps est doux, pas envie de penser à la haine qui sourd de partout comme un besoin étrange d'affirmer sa souffrance. C'est un abandon, une démission de soi, un désespoir.
Une bête se réveille et s'étire, c'est comme une agitation, contagion, l'oeil s'ouvre de ma grande, mais voyant son état, s'en tient là ; la petite trépigne, s'assoit et baille et comme rien ne se passe remonte sur son fauteuil, se love dans l'autre sens ; le chat ado, cause de la perturbation, lui, saute vers sa gamelle, que je remplis et, ce faisant attire le chaman installé plus loin, qui arrive en dansant.
Qu'est-ce que ça mange un ado ! Reggae, toute noire de dos, s'aventure presque jusqu'à la cuisine, une audace que je ne contrarie pas.
Je ne contrarie pas non plus les pensées qui se bousculent mais restent insaisissables comme à se préparer à un assemblage pour se soustraire ou se résoudre ; je connais ce temps nécessaire comme une inspiration avant l'apnée d'un plongeon ; si je n'étais au chevet, je gravirais les collines et n'aurais plus qu'à griffonner les pages en rentrant. C'est délicieux le corps en marche qui avec ses jambes met de l'ordre dans la tête et en fait jaillir la lumière.
Dans la rue les jeunes rejouent les luttes de leurs grands-parents, mais le cœur n'y est plus, ce qu'ils réclament était un dû. Quand on nous vole, les cris ou les larmes sont désespérés, mais les gestes peuvent sembler les mêmes ; tandis qu'en rentrant le soir, nous causions jusqu'à pas d'heure dans des troquets mal famés, l'avenir était ouvert et, confiants en lui, nous en dessinions les tracés. Les pavés, comme des cailloux posés dans le cœur de nos révoltes ; les barricades comme des réminiscences réalisées. Mais pour la jeunesse, l'avenir est toujours ouvert pourvu qu'elle sache inventer ; sauf qu'eux auraient bien voulu suivre les chemins tracés, mais ils se sont refermés ; nous voulions passer outre le conformisme inhibant de notre société, élargir des horizons ; cela s'est fait, mais d'une tout autre manière, et ça ne pouvait pas durer, indépendamment de l'égoïsme des bobos, des nantis, des tenants du pouvoir, écologiquement, c'était intenable. Les jeunes sont nés dans un monde de consommation insoutenable, de leurres posés comme balises, d'illusions comme étendards. Non seulement leur travail serait énorme pour traverser ces miasmes obstruantes, mais il ne suffit pas de les renverser, il faut tout réparer. On peut le voir comme un but exaltant, commencer à faire en nettoyant, c'est un gage de créativité et de leçons tirées ; mais je ne suis pas convaincue qu'ils aient acquis le moindre savoir pour le faire. Ni qu'ils en aient velléités. Ceux que je côtoie cherchent plutôt une clairière, une oasis où se poser, mais ce n'est pas un jugement, je ne les connais pas tous, naturellement.
...L'homme en uniforme sera puni d'avoir frappé l'enfant, pour rien ; mais j'ai peur que plutôt que comprendre, il exacerbe sa violence, ailleurs, de l'autre côté du métier qui l'a brimé.
C'est curieux ce mélange des genres comme une inversion des rôles ; de mon temps aussi les flics frappaient les manifestants, les grévistes, les récalcitrants, on se soutenait, mais nous avions un sentiment jouissif d'audace, de révolution dont nous nous doutions bien qu'elle n'était pas légitime aux yeux de l'ordre établi ; c'était nous les transgressifs, les hasardeux, les rêveurs ; nous ne cherchions pas justice, ou un dû, mais un autre chose que nous voulions créer . Bien sûr nous nous sentions brimés, oppressés dans notre juste combat pour la liberté, parce que nous voulions mieux. Mais aujourd'hui, sous couvert de défendre l'ordre public, il semble bien que ce soit l'État qui se débatte pour défendre ses errements. Il ne joue plus son rôle, et il le sait, il n'ose les tabasser qu'en souvenir du temps où il était garant du bon ordre général. Aujourd'hui, il nous garantit la misère, le chômage, les galères. C'est comme un père qui ne frappe plus son gosse qui a fait le con, mais parce que celui-ci l'a surpris en train de faire le con. Il faut les faire taire, mais pas pour les ramener à la raison, il faut les mater parce qu'ils sont les témoins victimes, les ennemis. Il faut les éliminer et les prétextes sont foison, car il est toujours interdit de caillasser les commissariats !
Il nous faudra sans doute un petit moment, mais cela veut dire que le peuple devient grand et qu'il doit toiser les vieux pervers qui lui servent d'adjudants. C'est beau quand même, c'est beau, mais c'est triste, car le but du combat est bien court, et il n'exalte pas les cœurs ; on dirait au contraire qu'il porte à la violence, à la revanche haineuse, et si on s'y attarde, ne restera plus rien pour refaire. Parce que ce ne sont pas les mêmes qui tentent de faire leur chemin en empruntant les voies normales, les trouvent dévastées, délabrées, impraticables, ou qui tentent de faire leur propre chemin à côté des sentiers battus. Mais à Sivens ou à Paris, l'État est l'ennemi, oh , pas l'ennemi de la transgression – c'est lui qui transgresse- pas l'ennemi des voleurs, des assassins, c'est lui qui vole et assassine. L'ennemi de l'égalité, de la fraternité, l'ennemi du bon sens, de la décence, de notre intelligence.
Nous ne nous sommes pas battus pour cette transgression là, nous ne nous sommes pas battus pour leur licence.
Ils ont fait des nuits blanches, les syndicats un 33 mars, une fois rayé, le projet, on rentre à la maison ?