mercredi 30 mai 2007 - par Hobbes

Perspectives politiques

La dernière élection présidentielle constitue indéniablement une révolution du paysage politique français et de ses équilibres. Outre l’origine des candidats (non énarques), leur âge (nés après la guerre) et leur idéologie (intégration de la mondialisation dans leur approche), nous assistons surtout à une recomposition intégrale des forces politiques en place depuis trente ans. Dans ce contexte, quelles sont les hypothèses, comment va se réorganiser l’échiquier politique français dans les semaines et les mois à venir ?

Le scrutin présidentiel du 6 mai nous a appris et rappelé plusieurs choses. Premièrement que les électeurs français avaient traditionnellement une certains proximité avec les discours de droite. Cela ne signifie pas pour autant la "fin de l’histoire", la fermeture de la parenthèse socialiste ouverte en 1981 et présentée comme une anomalie responsables de tous les maux du pays par les idéologues de la nouvelle droite et un certain nombre de médias. Le contexte est autre, les électeurs sont autres (plus jeunes et plus vieux), le personnel politique est autre. Il serait illusoire de voir dans le score du candidat UMP une proclamation d’un large virage à droite de la France. D’abord car moins de deux millions d’électeurs séparent les deux candidats. Ensuite parce que la typologie par âge des électeurs a montré un très net clivage entre retraités et actifs dans le choix du candidat. Enfin parce que la personnalisation très forte de cette élection (les candidats ayant peut-être pour la première fois su se soustraire à l’influence du parti) et la recomposition politique ont été les clés de l’élection.
Nous avons également découvert que le pouvoir médiatique était bien plus important et influent que chacun voulait bien l’admettre jusqu’ici. Le terme de "putsch médiatique" a été lancé en référence à l’influence indéniable des sondages et des médias dominants sur le vote. Il devrait être inquiétant pour tout analyste de gauche comme de droite, que les sondages proclament avec autant de précision le résultat, plusieurs semaines à l’avance. Nous ne sommes ici plus très loin de la Pythie grecque...
Mais surtout, nous assistons à l’aboutissement d’une évolution des mentalités issue de plusieurs cohabitations, de l’"expérience" frontiste et de la fin des subsistances de l’ancien monde, celui de la guerre puis de la Guerre froide. Quel est donc aujourd’hui l’état des lieux des forces politiques françaises ?

Première victime du dernier scrutin, un parti communiste en fin de vie, qui a longtemps cru que de simples réformes idéologiques et structurelles parviendraient à redonner confiance en son rôle. Le PC français a rompu avec le stalinisme, mais pas avec l’étiquette qui lui colle à la peau. Le communisme (assimilé au bolchevisme et à l’application soviétique) est discrédité depuis de longues années maintenant et seule une redistribution complète, passant par un changement de nom - ce qui fit le PC allemand en devenant le "Linkspartei" ("la gauche") - , parviendra à récupérer les voix de l’ancienne seconde puissance électorale française. Contrairement à l’histoire de son homologue allemand, la lente dégradation de sa représentation aux élections majeures ne semble pourtant pas être suffisante pour provoquer le séisme nécessaire. Et surtout, la base d’élus locaux encore forte assure aux tenants de la tradition tout risque de réformisme radical.
De l’autre côté de l’échiquier, l’avenir du Front national, arrivé au terme de son aventure populiste, dépend surtout de ses alliances avec la nouvelle droite au pouvoir. Outre la volonté du Chef de maintenir son autorité dans les années à venir et de passer ou non à une direction héréditaire, la guerre des chefs qui a vu des prémices en 1998 avec la scission de Bruno Mégret, ne devrait plus tarder. En tout état de cause, l’épouvantail voulu par le pouvoir mitterrandien comme par les chiraquiens depuis près de trente ans a achevé son oeuvre en fusionnant thématiquement avec la droite de gouvernement. L’élection de mai 2007 a ramené le score du FN à sa probable base réaliste de 10 % datant des européennes de 1984, "rendant" 6% à la droite classique. Au grand désespoir des ambitions de Jean-Marie Le Pen, la "lepénisation des esprits" tant clamée est bien arrivée... vidant de son utilité la formule d’un parti d’extrême droite. Il semble que son avenir soit désormais plutôt celui d’un simple mouvement de la droite nationaliste.
A l’extrême gauche, la LCR pourrait redevenir un aiguillon dérangeant pour le PS par la confiscation de 5% de voix aux ambitions du parti de gauche. Le refus catégorique et (irresponsable) des trotskistes de participer à tout gouvernement, se cantonnant à un rôle d’éternel opposant, aura pour effet d’interdire toute progression de ses votes au-delà de la seule contestation. C’est là le paradoxe d’un mouvement dont les discours s’arrondissent pour capter de l’électorat, tout en refusant les responsabilités que procure cet électorat. L’échec patent de l’alliance du Non de gauche après le référendum de 2004 tend à montrer que ni Lutte ouvrière, ni la LCR ne sont prêts à assumer enfin leur nouvelle place sur l’échiquier politique.
Le Parti Socialiste est lui à un tournant de l’histoire de la gauche, contraint à un choix qu’il ne souhaite pas faire puisque imposé par les chiffres et non par une réelle volonté de changement doctrinal. Si les trois échecs successifs aux Présidentielles amènent un constat d’échec que les tenants tu blairisme tentent déjà de récupérer, c’est surtout le départ d’une partie de son électorat vers le Centre qui amène un choix nécessaire. Autrefois la majorité de l’électorat de gauche etait assez stable, le parti n’ayant qu’à procéder à des alliances de gouvernement avec les communistes pour s’assurer du vote de l’ensemble de la gauche. La réalité d’aujourd’hui est toute autre, les électeurs ayant pris leur indépendance. Prisonnier de ses échecs désormais récurrents, de personnalités qui n’acceptent pas de passer la main (en comparaison avec un gouvernement Fillon dont quelques-unes des plus anciennes têtes sont apparues en 2002) et d’une opposition de plus en plus marquée entre l’aile gauche (Mélanchon se rapprochant de l’extrême gauche au référendum européen) et l’aile droite (Dominique Strauss-Kahn tente de démontrer que le report d’une inévitable mue blairiste est directement responsable du triple échec présidentiel), le Parti socialiste a perdu toute initiative, subissant les évènements, rythmés par des querelles de personnes et un statut d’opposition permanente et systématique. En l’état de la situation, malgré la nouvelle culture apportée par l’ex-candidate Royal, rien ne semble pouvoir empêcher un quinquennat de décomposition pour le PS.
Les Verts sont une sorte d’anomalie dans l’organisation politique française. Inspirés et influencés par leurs homologues allemands, l’histoire des Verts s’est liée à ses personnalités, provocant des hoquets plus ou moins graves en fonction de la personnalité et de l’autorité du leader du moment. Surtout, la collégialité surdéveloppée semble interdire toute ambition réelle au niveau national, tant l’identification des électeurs à une personne paraît un tabou indépassable. Bien que l’antilibéralisme ait pris une place non négligeable dans les discours du parti, le pivot majeure reste l’écologie, thème qui, malgré sa place dans la dernière présidentielle, cantonne les Verts à un groupe quelque peu folklorique déconnecté des réalités sociales. Et donc cantonné au rôle de supplétif du Parti socialiste. Pourtant, ce ne sont pas tant les quelques 5% de voix généralement atteintes aux Présidentielles qui scellent leur rôle, mais bien la composition des élus et cadres du parti. Car les Verts ont cette particularité d’être à la fois bien implantés en régions, composé de citoyens non-énarques, et étrangers à toute doctrine politique traditionnelle. Autant d’éléments qui constituent l’architecture du mouvement de François Bayrou. Et devraient naturellement entraîner un certain nombre de cadres dépités des déboires du parti écologique à tenter l’aventure du MoDem. Les passerelles sont nombreuses entre les deux formations, pour peu que l’étiquette "droite" qui colle toujours un tant soi peu à François Bayrou disparaisse rapidement. Des Cohn-Bendit, Lipietz ou Mamère pourraient ainsi être aspirés par le nouveau parti démocrate et lui apporter une crédibilité qu’il attend.

Issu d’une des branche de la droite bicéphale qui a survolé la France pendant vingt-sept ans, le Mouvement démocrate, ex-UDF, a les clés de l’avenir politique de la France. Quelles que soient les ambitions présidentielles personnelles assumées de François Bayrou, le mouvement se trouve à un moment charnière, où il représente la seule alternative à une dérive autoritaire et monolithique de la droite dure représentée par le nouveau Président. Son destin aurait été tout autre, sans doute voué à l’échec, sans la déliquescence annoncée du PS et l’effondrement du Front national. La politique a horreur du vide et la tradition démocratique des français est trop forte pour tolérer qu’un parti unique accapare le débat comme les institutions. Lorsqu’il annonce la création de ce nouveau parti, François Bayrou a deux alternatives. La première, qu’il favorisait alors très probablement, consistait à se détacher de l’UMP tout en conservant la filiation UDF et l’autorité morale d’un Valéry Giscard d’Etsaing ou d’une Simone Veil. L’autre choix était de divorcer avec ses racines et d’assumer un renouvellement complet du personnel comme des thématiques de l’UDF. La première hypothèse semblait bien improbable et vouée à l’échec, tant elle signifiait un renoncement fondamental pour des hommes qui, les dernières semaines l’ont montré, pensent à leur avenir politique avant de regarder celui de la France.
La tentative d’assassinat politique qu’est en train de mener Nicolas Sarkozy a le mérite de d’imposer une clarification. Et de forcer la main à François Bayrou dans un sens radical : celui du renouvellement. En quelque sorte, si quelques réticences subsistaient, le Président contraint le troisième homme à un véritable rôle d’opposant. Devant l’hémorragie de ses élus, le président de l’UDF ne verra sa survie que dans une ouverture assumée, des gaullistes aux Verts, en passant par les socialistes, vers une recomposition complète des cartes.


Les choses paraissent ainsi relativement simples aujourd’hui. L’UMP assume pleinement son statut de super-parti, jouant le jeu de l’ouverture dans un gouvernement pré-législatives qui, cela ne fait aucun doute, sera remanié en fonction des résultats. Les électeurs du Front national
(et leurs préoccupations populistes) ont été aspirés pour longtemps. Le Parti socialiste ne sera vraisemblablement pas en mesure d’assumer quelque rôle avant les municipales et les régionales de 2008 et le défaitisme affiché de façon assez incroyable ne risque pas d’entraîner les voix désespérées des électeurs de la gauche. L’extrême gauche, libérée du carcan du vote utile, va récupérer ses quelques 7 à 8 % de voix cumulées et préparer rapidement les mouvements sociaux (le fameux 3° tour social) probables de la rentrée. Le MoDem, en assumant les affrontements avec la droite (l’attitude de François Bayrou dans l’entre-deux tours, hors des postures politiques de neutralité stricte, ne laisse planer que peu de doutes sur sa préférence en matière d’alliances), joue son destin. Le fait de présenter des candidats issus de la société civile est un point positif qui va dans le sens voulu. Les Français y sont favorables au vu des réprimandes entendues depuis des anées contre l’establishment politique. Si le béarnais parvient à attirer à lui quelques figures importantes du paysage politique pour offrir une légitimité au parti, il est tout a fait possible que, bien plus qu’une poignée de députés, le MoDem gagne, si ce n’est les législatives, le statut de seconde force politique en France pour le quinquennat qui commence.



2 réactions


  • André PARENT 31 mai 2007 00:19

    Très bon résumé du séisme politique qui se prépare.Reste une incertitude sur la composition du modem . Est ce un rassemblement des déçus du PS ? Est un rassemblement derrière un futur homme providentiel ? Est un rassemblement de soldats de l’an deux désireux de porter la bonne nouvelle du renouveau démocratique ,mais alors sur quels critères sur quelle chartre ?La réponse viendra lors de la préparation des municipales !


  • greg 4 juin 2007 17:42

    Pour info :

    Ecolo...branche-toi au MoDem ! http://modem-ecologie.over-blog.com/


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