Peut-on mourir d’être intelligent(s)
On peut d'évidence mourir d'être intelligent, la liste est longue de Giordano Bruno à Yitzhak Rabin, en omettant tant d'autres. Plus grave encore, des Nations, des Etats, des civilisations peuvent également succomber aux coups de barbares.
L'intelligence n'est qu'une des vertus (qui découlent de viril) qui utilise pleinement l’observation non-biaisée et la raison pour se donner une ligne de vie. Le seul Bien biologiquement définissable consiste à considérer que son seul but est la pérennité du groupe qui rassemble les individus. Pour ce faire il est impératif que la collectivité ait un objectif commun ou mieux un idéal accepté par tous. Le degré d'avancement d’une "civilisation" dépend du degré d’ordre qui règne à l'intérieur du périmètre défini par l’ensemble des individus et de la force capable d’endiguer les assauts venus de l'extérieur comme de l’intérieur. La morale qui codifie les comportements relève donc plus d’une nécessité que d’un message divin.
Le bien-être, plus pompeusement le Bonheur, général ne dépend que de l’apport des artistes et des savants qui ont toujours été marginaux par rapport aux systèmes politiques. Les dirigeants ne font que faire régner l'ordre nécessaire, alors que d’autres apportent l’harmonie indispensable pour alléger le fardeau des gens du commun.
L'intelligence collective n'existe pas. Il suffit pour s'en convaincre de feuilleter un ouvrage de Sciences ou de Philosophie, un manuel traitant des diverses découvertes technologiques, un traité relatant les différentes avancées en Médecine ou en Pharmacie. Le substitut de l'intelligence pour une communauté s'appelle des Lois. Malheureusement les lois humaines sont écrites par des gens faillibles même quand elles se prétendent universelles et ellles sont imbibées de l'esprit de leurs auteurs. Un tissu réglementaire même dense laisse subsister une multitude de failles dans lesquelles les crapuleries les plus diverses s'engouffrent. Un Sacré pallie à ce travers.
Il n'est pas nécessaire de lister les nombreux Sacrés qui présidèrent aux destinées des peuples ou peuplades, les uns immenses et s"étendant sur des millénaires, d'autres chapeautant par la tyrannie les agissement de quelques uns. Le Sacré n'est qu'un moyen de coaliser les forces et ne donne aucun accès à une vision de bien collectif. Un Sacré n’est pas immédiatement apparent, il détermine en dernier ressort ce qu"il convient de faire après qu'une montagne d'arguments aient été échangés, qu'une multitude de conseils aient été reçus, que d'innombrables colloques aient été tenus, que les plus profondes réflexions aient été faites par les plus érudits ou les plus agités. Le Sacré permet à tous, ou à une très grande majorité, de suivre sans trop rechigner un diktat dont ils ne comprennent plus grand-chose des ressorts et sur lequel ils ne peuvent évidemment pas influer. Cette subordination gomme les épines de toute intelligence individuelle et permet à l'avis du groupe ou de la meute de s'imposer. Le nombre procure l'essentiel, la Puissance. Ensemble "on" est plus fort, on peut combattre quiconque en oubliant même ce pour quoi le groupe a été réuni.
La force d'un groupe ne se mesure pas au nombre de ses adhérents mais à la rigueur du Sacré qui le sous-tend. Les démocraties occidentales ont longtemps pensé que, puisqu'elles proposaient un système respectueux de toutes les valeurs respectables, leurs structures s'imposeraient tôt ou tard à l'ensemble du Monde. Mais des Sacrés peut-être bien moins dignes d'intérêt ont surgi ou subsistaient encore qui, privilégiant la force sur toute autre considération, menacèrent de submerger les îlots de relative liberté bâtis avec peine et minutie. Mais la fragilité des Démocraties tenait plus à elles-mêmes qu'aux agressions externes.
Pus vous êtes conscient de la valeur d’autrui, moins vous êtes capable de prendre une décision qui impliquera des sacrifices. La vérité s’obscurcit, vous percevez l’immense complexité de la Nature, la cause se mêle aux effets… L’usage d’une kyrielle d'experts en tout et n'importe quoi ne fera qu"ajouter à votre hébétude. Sans Sacré omniscient au sein des démocraties, elles se contentent d'optimiser très inégalitairement les jouissances les plus accessibles. Les processus électoraux sont pensés permettre de dégager une sorte de Sacré. Mais par l'écume des jours, il est facile de modeler les opinions, de maintenir les esprits dans l’absurde, de faire baigner chacun dans les émotion, le sens populaire perdant tout sens.L'adoration du veau d’or a tout envahi y compris les médias censés éclairer les opinion, chacun rivalisant de médiocrité pour augmenter son audience.
Un Sacré fournit un au-delà, c’est à dire un but, et une méthode efficace de coercition pour ramener les égarés sur le bon chemin. L'Argent est un merveilleux moyen de coercition reconnu partout, même dans les endroits les plus reculés. Il se substitue à la force pour imposer ses volontés quitte à acheter la force d'autrui pour terrasser ses adversaires. Cependant, sauf exception, il faut faire travailler un très grand nombre de semblables pour accumuler les fonds nécessaires à une domination, domination indispensable pour assurer l’ordre. L'Argent est donc aussi un merveilleux moyen pour assurer une sorte de collectivisme dans lequel une minorité de nantis règne sur les autres… Mais pas plus que les lois ou les élections, l'Argent à lui seul ne peut pas servir de Sacré.Le système financier ne fournit aucun au-delà dans lequel chacun pourrait se reconnaître. Il faut produire plus de tout jusqu'à saturer les appétits les plus avides mais, insidieusement, les gens finissent par comprendre que s'"ensevelir sous des montagnes d'objets inutiles ou s’empiffrer de victuailles frelatées ne donnent aucun sens à la vie. Les sociétés de consommation s’étiolent de trop consommer.
Les érudits, les penseurs, se firent un devoir de respecter chacune et chacun, ce qui est sage, et dans le système occidental la réflexion s’effaça au profit de commissions, alla de compromis boiteux en compromis misérables, de discussions stériles en péroraisons. Les décisions ne furent plus prises par le biais de l'intelligence de chacun mais par la conjonction des intérêts des assemblées, des cénacles, des cours nationales ou internationales. Les directives ne dépendirent plus du bon sens ni même de la réalité, mais découlèrent de palabres où chacun se mettait en valeur, les calculs se voulaaient machiavéliques mais se révélaient pitoyables. Par ce biais, la cohérence d'une proposition s'évanouit pour ne laisser place qu'au chaos destructeur. A partir d'eau chaude il est possible d'engendrer de l'énergie, on en génère moins ou pas du tout avec de l'eau tiède. Les Démocraties ne meurent pas sous des coups venus du dehors, elles meurent du fait qu'elles sont incapables de résister à la réalité.
Le Sacré permet de demander d'immenses efforts voire des sacrifices, une route loin des insignifiances s'ouvre ainsi. Mais il permet aussi la neutralisation voire l'extermination d'éventuels ennemis qui empêcheraient l'accomplissement d'une mission. Que choisir ?
Les tenants d'un certain progrès en droite ligne du passé ne désarment pas : les algorithmes fourniront selon eux l'arbitraire indispensable et les mondes virtuels un au-delà désiré. Il y a sûrement d'autres solutions.