samedi 25 mai 2019 - par Robert Bibeau

Peut-on planifier le développement capitaliste ou socialiste ?

Dans un texte publié la semaine dernière sur notre webmagazine Les7duQuébec.com nous expliquions que : « La croissance ce n’est pas le développement et nous ne pouvons espérer que le capitalisme soutienne un développement social « planifié » lui qui ne sait même pas assurer sa croissance continue. » (1)

 

La crise économique contemporaine

Dans une période de crise économique systémique comme celle que nous vivons, marquée par la paupérisation générale des travailleurs, la précarisation de l’emploi et la prolétarisation des petits-bourgeois, attestant de la perte de contrôle de l'économie par l’oligarchie, l'idée de réguler l'économie grâce à l'État, voire d’en planifier la croissance et d’en réguler le développement harmonieux, prend toute son importance. L’utopie planificatrice comme remède aux maux du capital prend sa source dans deux fétiches chers à la bourgeoisie – l’État fétiche maitre d’œuvre, et la monnaie fétiche « passeur » de la valeur – évidemment qu’aucun de ces deux prédicats n’a la moindre validité dans la réalté. L’État bourgeois ne planifie pas – il palie – il réagit aux intempéries économiques et sociales, alors que la monnaie n’est que le pâle reflet des hauts et des bas de l’économie capitaliste en déclin. Depuis Marx nous savons que ce n’est pas l’argent qui détermine la valeur. L’argent reflète – exprime plus ou moins fidèlement – la valeur d’une marchandise dont le prix ultimement ne dépend pas de la « loi » de l’offre ou de la demande, mais du temps de travail qu’elle contient. Nous y reviendrons.

L’économie planifiée n'est pas une idée nouvelle puisque depuis plus d’un demi-siècle l'État capitaliste anarchique a « pris la main » dans l’économie mondialisée. Alors que déjà, dans les années 90 du XIXe siècle, l'aile réformiste de la social-démocratie allemande, avec Bernstein en tête, insistait sur la nécessité de réguler (planifier) le capitalisme pour en éliminer les aspérités néfastes. Les sociaux-démocrates (aujourd’hui appelés socialistes et communistes) faisaient valoir qu'il était possible d'éliminer les causes de l'appauvrissement prolétarien, la chute du taux de profit et la montée du chômage, tout cela par décret-loi-programme de l'État des riches. L’histoire de la croissance anarchique du capitalisme dans sa version « libéral-sauvage » et dans sa version « capitaliste étatique dirigiste » a cent fois démenti leurs prétentions, pourtant, la gauche bourgeoise rêve toujours du Graal planificateur. 

 

LA PLANIFICATION SOCIALISTE ? http://www.les7duquebec.com/7-au-front/peut-on-planifier-le-developpement-capitaliste-ou-socialiste/

 

De nos jours les économistes vulgaires croient, comme Bernstein, à la possibilité de planifier le développement de l'économie capitaliste et le but ultime de la théorie bernsteinienne est le « lissage » des contradictions du capitalisme et la réparation de ses dysfonctionnements par des réformes qui puissent changer l’apparence du capitalisme sans rien changer à son fonctionnement profond. En d'autres termes, la gauche souhaite poursuivre une chimère plutôt que de construire une alternative révolutionnaire authentique.

 

Réhabilitation du soviétisme bolchévique plus communément appelé « stalinisme »

 Coïncidant avec le centième anniversaire de la Révolution russe, la bourgeoisie de gauche a entrepris une certaine « réhabilitation » médiatique du stalinisme. Aujourd'hui, la renaissance des exhortations à la « planification économique du capitalisme de gauche » n'est pas moins réactionnaire qu’au temps de Berstein. Elle s'accompagne d'une certaine « réhabilitation » du discours des soviétologues universitaires par la bourgeoisie et ses médias. L'idée selon laquelle le capitalisme aurait été surmonté dans l'URSS soviétique où l’on aurait inventé la « planification socialiste dans un État ouvrier de transition », qui plus est, encerclé par le mode de production capitaliste en pleine expansion, à son stade impérialiste d’évolution fut le « grand mensonge » de la gauche au XXe siècle.

 

Comment planifier l’économie capitaliste libérale ou totalitaire ?

Les problèmes structurels du capitalisme ne sont pas appelés des contradictions par fantaisies littéraires. Ces contradictions n'apparaissent pas suite à une mauvaise planification ou à une mauvaise gestion de l'économie, qu’il suffirait de redresser. Ces contradictions, inscrites dès sa naissance dans le génome du mode de production capitaliste, doivent leurs existences aux classes sociales telles que définies par leurs rapports au procès de production, chaque classe ayant des tâches à accomplir – des fonctions à assumer – et donc des intérêts opposés à défendre, intérêts qui ne sont pas aléatoires, mais déterminés par la place particulière qu’occupe cette classe sociale dans le procès de production capitaliste. 

Les sociétés humaines ne sont pas des machines qui auraient besoin d'une meilleure ingénierie ou d'un contrôle de qualité plus ou moins renforcer pour fonctionner. (2) Toute tentative d'imposer un changement drastique, par décret – loi – promulgation étatique – à l’encontre du processus productif basé sur la division du travail et du pouvoir en classes sociales est un non-sens et peut se transformer en désastre économique et social. Quand l’État est invité à intervenir dans les rapports sociaux de production, c’est toujours pour tenter d’aplanir (lisser) les contradictions antagonistes entre les intérêts des classes sociales en lutte dans le cours du procès de production. Ce qui a toujours pour effet de déséquilibrer le fonctionnement normal du mode de production, et ce qui engendre des difficultés économiques amplifiées, des confrontations politiques exacerbées et finalement des troubles sociaux comme la révolte des Gilets jaunes l’a démontré.

 

La planification socialiste soviétique

Le Soviet de Petrograd en 1917 annonce que : « l'alternative au capitalisme anarchique c’est la planification « socialiste » de l'économie – et que cette planification étatique n’est possible que dans la période de transition dite « socialiste » et ne peut être autre chose décrète-t-il, que la planification économique à l’encontre du capitalisme qui assiège l’État soviétique et que cette planification a évidemment une nature opposée et une apparence très différente de la planification sociale-démocrate bourgeoise. » (3)

Le but d'une économie communiste planifiée serait de subordonner la production aux besoins de la consommation populaire ainsi définie : combler les besoins sociaux, excluant le profit et les privilèges, ainsi que la « défense du patrimoine national » et les exigences d'une industrialisation étrangère aux nécessités quotidiennes du peuple. Voilà ce qui devrait être pris en compte comme ligne directrice de la production selon les communistes. Les premières conditions d'une telle entreprise ne peuvent être que la disparition du travail salarié, l’éradication de la propriété et de la monnaie chargée de la représentée, et l’abolition de l’État central planificateur-spoliateur, les quatre bastions de la loi de la valeur qui fonde le mode de production capitaliste.

Toute économie planifiée qui n’est pas fondée exclusivement sur la satisfaction des besoins vitaux des masses populaires est par ce fait orienté pour répondre aux besoins d'une minorité dominante et exploiteuse, qui impose à la société les normes les plus draconiennes des capitalistes incarnées par la police d’État. Cette soi-disant « planification » étatique fonctionnant du haut vers le bas d’une pyramide sociale oppressive n’est que du capitalisme dirigiste totalitaire, et, quelles que soient ses succès industriels, ce capitalisme dirigé ne peut que contribuer à faire sombrer l'humanité dans la réaction politique et la décomposition sociale. Depuis les années trente du siècle dernier, la gauche réformiste s’est transformée en admiratrices des cheminées d'usine, des infrastructures de transports aérospatiaux, des taux de productivité et est devenue complice des apparatchiks soviétiques au service du principe de base de l'accumulation du capital élargi, via sa valorisation par l’expropriation de la plus-value prolétarienne. La classe prolétarienne est à même de constater ce que l’application de cette turpitude planificatrice étatique soviétique a produit en URSS et dans tous les pays dits socialistes d’Europe, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Pourtant, en 1977, l’Assemblée des travailleurs de Roca en Espagne reprenait encore et toujours le galimatias soviétique :

« La planification économique sous le socialisme n'est pas la planification d'État du capitalisme, mais la planification contre le capital, attaquant dès le début la loi de la valeur et le statut de travailleur salarié. Le socialisme, phase de transition vers une société d'abondance apatride, inverse la paupérisation et prolonge la consommation en subvertissant la loi de la valeur, et non en planifiant son développement. » Source : Assemblée des travailleurs de Roca dans "grève sauvage" - rejeté par les syndicats - en 1977. (4)

 

Autrement dit, toute planification « socialiste » de l'économie doit provenir des travailleurs associés à l'intérieur du processus de production et visée la poursuite de leurs propres besoins, dans le cadre d'un processus politique conscient ayant l'objectif d'éliminer la fonction de valorisation-réinvestissement du capital (que les marxistes appellent l’accumulation) qui est le processus qui génère la classe sociale capitaliste – qui à son tour génère-produit la classe prolétarienne source de toute valorisation du capital. L'essence d'une planification « socialiste » dans ce que les gauchistes appellent « la période de transition socialiste » se trouverait dans la « subversion pure et simple de la loi de la valeur » et la subordination de la production aux besoins humains ce qui fut proprement impossible à réaliser dans un pays féodal arriéré encerclé par le mode de production capitaliste à son stade impérialiste, défendu par des puissances économiques belliqueuses, surarmées et faisant entrave au développement du supposé État socialiste contraint de consacrer une portion croissante de sa production « nationale » pour satisfaire : « le profit et les privilèges, ainsi que la défense du patrimoine national et les exigences d'une industrialisation étrangère aux nécessités quotidiennes du peuple  ».

Il n’existe qu’une phase de transition – qu’un mode de production – permettant de passer du mode de production féodal-aristocratique au mode de production communiste-prolétarien et c’est le mode de production capitaliste-bourgeois, qu’il soit en mode « libéral-sauvage » ou en mode « étatique dirigiste totalitaire ».

 

La formule de valorisation du capital et de son réinvestissement

Dans le Capital, Marx a donné la formule de la reproduction que pour notre part nous appelons la valorisation du capital : c + v + pl, où c désigne le capital constant ou les instruments du travail productif (matières premières, énergie, machinerie, édifices), v le capital variable, les salaires ou les moyens de subsistance des travailleurs, et pl la plus-value ou valeur ajoutée par le processus de travail dans sa portion surtravail, dont une partie infime est consommée par les capitalistes et l'autre est réinvestie ou capitalisée pour la poursuite de la croissance de la production, but ultime du procès de production sous quelque mode de production que ce soit. C’est ce processus de croissance de la production dans sa forme marchande que les marxistes appellent communément « l'accumulation élargie du capital » prenant l’effet pour la cause. En effet, l’objet d’un mode de production, capitaliste ou autre, n’est jamais l’accumulation (dans le sens de thésaurisation), mais toujours la croissance des biens et services nécessaires à la société pour se reproduire. Dans la société bourgeoise, la production de biens et de services n'augmente que dans la mesure où les capitalistes réalisent la plus-value en vendant les marchandises à leur valeur. Étant donné que le pouvoir d’achat des masses populaires n’est pas suffisant pour absorber la totalité des marchandises à leur valeur le capital est contraint de déployer deux tactiques d’économie politique, soit : se lancer à la conquête de marchés extérieurs pour y écouler ses surplus, c’est essentiellement cela l’impérialisme moderne comme le souligne Rosa Luxembourg dans l’extrait ci-dessous ; soit recourir à la destruction pure et simple d'une partie de la production. Un troisième stratagème a cours depuis la financiarisation de l’économie au stade impérialiste, soit d’ouvrir toute grande les vannes du crédit, ce qui permet au capital de s’offrir un répit dans sa tumultueuse agonie.

Dans ce modèle classique du mode de production capitaliste, Marx souligne que v augmente seulement dans une certaine proportion de c. Au contraire, prétendent les néomarxistes, dans une économie socialiste planifiée, l'augmentation de c dépendrait exclusivement des besoins de v, couvrant l'ensemble des besoins de la population, et des nécessités de pl. Ce tour de passepasse supprimerait les relations de production capitaliste. Si c cesse d'être le capital constant (du capital variable cristallisé en somme), v n’est plus le prix de la main-d'œuvre (son pouvoir d’achat), ce qui réduit la majeure partie de la population à une maigre consommation, et à son tour pl (qui n’a pas disparu admettent les néomarxistes) apparait sous la forme de produits nouveaux – de produits de luxe –, pour la consommation individuelle et collective, mais hors de portée financière du prolétariat. Les néomarxistes prétendent qu’en société socialiste dirigiste pl aurait cessé d'être du capital exproprié, à savoir le travail approprié par la bourgeoisie, par les fonctionnaires et par les institutions. Ce n’est là que prétention, car où les apparatchiks socialistes prenaient-ils l’argent pour acheter ces produits de luxe sur le marché de la consommation parallèle ?

De fait, dans une économie communiste, la production devra être « planifiée » en réponse aux demandes directes du groupe humain qui constitue la société ; la production des biens et des services requis par la société ne devra pas être médiatisée par l’intermédiaire de la monnaie (qui aura disparu), et ainsi cessé d'être une accumulation de capitaux et quid du système bancaire, boursier et financier. Rien de tout ceci n’est apparu sous le socialisme de transition où l'extension de la consommation présidait à l'accumulation du capital qui pour se valoriser devait continuer à faire tourner le cycle capitalistique qui va de la production – à la valorisation-exploitation de la force de travail – à la réalisation de la valeur selon les lois du marché – au réinvestissement afin de prolonger la production.

 

Rosa Luxembourg  : « Nous ne nous soucions pas de savoir qui a attaqué en premier, qui est "l'agresseur" ou les "raisons" de chaque capitale nationale impliquée. Parce que la question sous-jacente est que l’impérialisme n’est pas la politique d’un État ou d’un groupe d’États déterminés, c’est une phase du développement capitaliste mondial, un degré de développement du capitalisme dans son ensemble. Et l'ensemble détermine les partis : il n'y a pas d'État ou de bourgeoisie qui ne soit impérialiste, car aucun d'entre eux ne peut ignorer les conditions générales. Aucune capitale nationale ne peut se développer librement à l'intérieur des frontières de ses États. Elle doit "sortir" - et par conséquent jouer et entrer en collision dans le jeu impérialiste mondial - pour assurer les conditions de sa propre reproduction et de son accumulation. »

 

Le capitalisme d’État dirigiste en URSS

Nous associons ici l'Union soviétique, la Chine maoïste, la Yougoslavie titiste, à Cuba castriste, au Vietnam et à la Chine contemporaine, car il est difficile d’imaginer être plus éloigné des objectifs et des principes du modèle de « planification socialiste de transition. » (5)

À première vue, le système social de l'URSS stalinienne était unique. Les ouvriers travaillaient dans des conditions de production capitaliste : ils vendaient leur force de travail et on leur versait un salaire. Mais cet argent n'était pas utilisé pour acheter librement des biens sur le marché. Le Plan central, la gestion industrielle imposée par la haute bureaucratie, ordonnait le nombre de produits à être produit par chaque branche jusqu'à 20.000 produits par branches industrielles étaient vendus ou attribués en quantité limitée, c’est le rationnement de guerre imposée en temps de paix. Pour l’ouvrier, accumuler de l'argent n'était pas la garantie d’un meilleur accès aux biens de consommation. Il est important de comprendre ce que cela impliquait :

  1. Il n'y a pas de concurrence sur le marché entre les usines individuelles. Les prix sont fixes et l'argent sert uniquement à faciliter l'échange quand le produit est disponible.
  2. Le nombre de biens à produire est fixé par l'État. En outre, le nombre de biens à acheter par chaque industrie est également fixé. Vous ne pouvez pas refuser le produit s'il est de mauvaise qualité ou s'il est moins cher pour cause de surproduction, ou l’inverse.
  3. Il est impossible de licencier des travailleurs, la gestion de chaque usine doit être fixée de manière à maintenir la production.

 

La représentation du prolétariat dans l'imagerie stalinienne met en évidence sa place subalterne tout en idéalisant son exploitation par l'État. Le troisième point ci-dessus est un bon exemple des « concessions » de façade que la haute bureaucratie des apparatchiks a concédé aux travailleurs sous l'ère de Khrouchtchev, non par amour du prolétariat, mais par peur de son soulèvement. Le salaire n'était pas la clé d'entrée à la consommation, mais l'appartenance à la bourgeoisie d'état russe. C'est la proximité plus ou moins grande du noyau ultime du pouvoir qui donnait accès à des biens de consommation de luxe comme nous l’expliquions plus tôt, à des appartements unifamiliaux, à des vacances dans les datchas et les spas, à des voyages internationaux, à des automobiles et même parfois à des biens de consommation de base. C’est par ce canal de consommation parallèle que la plus-value était réalisée (converti en capital) pour être réinvestie dans le cycle productif, mais au prix de graves restrictions pour l’ensemble de la population. Le système de planification stalinien produisait une surproduction brutale dans les industries de base et une rareté exagérée des produits de consommation courante.

Quel est le résultat de cet ordre social capitaliste sans marché conventionnel ? Quelque chose de complètement inattendu pour tout le monde : une surproduction dans les industries de base et un cout élevé des produits de consommation courante. Ce n'était pas un secret et cette information est apparue à plusieurs reprises dans les documents des Congrès du PCUS. Elle ne fut ignorée que par les étrangers propagandistes et les épigones qui ne savaient pas lire le russe. Dans les congrès des années 1930 à 1970, les bureaucrates sont appelés à mettre tous les efforts pour accroitre la production de biens de consommation de base. La production est augmentée, la planification est améliorée, mais il n'y a aucun moyen de résoudre le problème qui est structurel. De même (et pour les mêmes raisons qu’à Cuba), les machines industrielles se détériorent, et cela beaucoup plus rapidement que dans les pays occidentaux. 

 

« Que se passait-il ? Conspiration et sabotage comme la bureaucratie le prétendait ? Il est beaucoup plus facile de le comprendre en raison d'une version particulière de la lutte de classe caractéristique du modèle de capitalisme étatique soviétique planifié. Rappelez-vous que la haute bureaucratie ne donne pas d'ordres directement aux travailleurs, mais uniquement à la gestion des usines. Ce fonctionnement a été conçu par une petite bourgeoisie d'état qui n’était pas propriétaire de l’atelier ou du chantier, mais n’en contrôlait pas moins l'usine et les moyens de production  ? Leur liberté de direction était considérée comme vitale par la haute bureaucratie. Les directeurs d'usine sont promus dans la bureaucratie d'état et obtiennent des avantages matériels étendus – l'accès aux produits de luxe destinés à la haute bureaucratie par exemple – de l’influence s'ils confirment ou excèdent les prévisions du plan d'état. Alors, s'ils sont motivés pour augmenter la productivité, la haute bureaucratie les laisse libres d'agir à leur guise.

 

En raison de l'impossibilité de licenciement, le passeport interne qui les empêche de quitter la ville et l'État policier, les travailleurs sont attachés à une usine. L'inconfort est généralisé et parfois violent, essentiellement parce qu'ils ne reçoivent qu'une petite part des produits de consommation de base, indépendamment de leur travail : plus de 60% du salaire est dépensé en nourriture et en boisson. Les rapports de gestion indiquaient qu'il était normal que les travailleurs refusent de travailler ou qu’ils travaillent aussi peu que possible. Une blague encore répandue dans les années quatre-vingt à propos de la « paix sociale » en URSS disait qu'elle était basée sur : « ils font ce qu'ils nous paient et nous faisons ce que nous faisons ».

 

La direction de l'usine est dans la position de devoir obéir aux plans de l'État et doit contenir les travailleurs. Il n'y a qu'un seul moyen possible, surproduire les ordures selon les quantités et les quantités du plan : peu importe la qualité, tous les produits doivent être acceptés par la compagnie suivante. Le tout avec le minimum d'effort de la part des travailleurs et le pire matériel possible pour embellir les chiffres du plan. Et ainsi, à chaque étape de la chaine industrielle. En atteignant les derniers liens, presque aucun produit de consommation viable n'est produit. Et c'est encore pire qu'il n'y parait, car tous les services industriels refusent catégoriquement d'améliorer les machines ou de les changer. Pour ce faire, il faudrait réduire la production et embaucher des travailleurs nouvellement formés, quelque chose qui ne fait que nuire au résultat productif et au statut social de la petite bourgeoisie administrative. Vous ne pouvez pas licencier les employés qui ont utilisé les vieilles machines et ils refusent de suivre des cours, les nouveaux travailleurs et les machines ne seraient rien de plus que des dépenses supplémentaires pour la compagnie d'État. Il y a l'anarchie dans l'usine et un ordre polico-militaire à l'extérieur.

 

Le système est insoutenable et la haute bureaucratie ménage l'option du licenciement des travailleurs, mais elle ne le fait pas pendant des décennies en raison de la crainte d'un soulèvement des travailleurs. Les soulèvements ont commencé à grande échelle en Pologne dans les années 70 et 80, précipitant les réformes de Gorbatchev ... Cela finira par faire sombrer complètement le capitalisme d'État soviétique. » (6)

 

 

Le capitalisme, planifié ou non, n’a pas d’avenir

 

 

Comme Rosa Luxemburg l'a souligné, essayer d'adoucir les contradictions du capitalisme est une pure utopie. Même en éliminant le marché pour essayer d'anéantir les tendances du capitalisme cela ne peut que causer un désastre beaucoup plus grand. La solution n'est pas une planification étatique opposée aux usines et aux travailleurs, mais le contrôle collectif de la production par les travailleurs eux-mêmes pour contrer en tant que classe sociale la loi de la valeur.

La fonction historique du prolétariat ne consiste pas à transformer la propriété individuelle en propriété d’État. La simple disparition de la bourgeoisie possédant les moyens de production de classe valide également l'orientation de l'économie vers le communisme et l'aliénation de l'homme. Comme disait Marx : « l’abolition de la propriété privée et le communisme ne sont pas identiques d'aucune façon ». En effet, la socialisation de l'économie et l'abolition de salariat qui doivent permettre d’accomplir la révolution prolétarienne ne sont pas deux tâches différentes ou successives, mais deux aspects d'une même transformation, qui doivent par conséquent être adaptés. Ce qui doit disparaitre avant de pouvoir parler du communisme, c'est la propriété comme moyen de soumettre les hommes au travail salarié. Cela doit commencer par l’organisation de la production par et pour les producteurs et leur famille, ou les instruments de travail relèvent de la société toute entière.

 

« À cet égard, la révolution russe est un avertissement, et la contrerévolution stalinienne qui l'a supplantée une leçon décisive pour le prolétariat mondial. La dégénérescence de celle-ci a été facilitée par la nationalisation, en 1917, des moyens de production qu'une société doit socialiser. Seule l'extinction de l'État, telle que le conçut le marxisme, aurait permis de transformer en socialisation, l'expropriation de la bourgeoisie. La nationalisation est devenue l'épine dorsale de la contrerévolution. » (7)

 

La planification sous le mode de production capitaliste libéral

Sous le mode de production capitaliste non seulement la planification est possible, mais elle est induite par les règles inaltérables de développement des forces productives et des rapports de production bourgeois. Ainsi, si dans un pays comme l’Allemagne, la population active vieillit et prend sa retraite, alors que les moyens techniques de production évoluent et se transforment rapidement pour une plus grande productivité, des mécanismes étatiques automatiques se mettront en place pour assurer l’approvisionnement des usines robotisées et des entreprises numérisées en employés qualifiés. La planification de l’ajustement des programmes de formation de la main-d’œuvre se fera systématiquement et automatiquement via les superstructures institutionnelles de perfectionnement. Ainsi, l’Allemagne, grand pays industriel moderne – exportateur – dépense plus que quiconque en formation par salarié depuis l’absorption d’un million de migrants venus remplacés la main-d’œuvre germanique. Nous pourrions multiplier ainsi les exemples où l’économie politique capitaliste « planifie » ses ajustements structurels afin non pas de satisfaire l’appétit de profits des capitalistes, ce qui se révèle une incidence – l’appât et le moyen – par lequel est atteint l’objectif ultime de ce mode de production, à savoir : la production pour la reproduction de l’espèce humaine.

Sous le mode de production capitaliste l’atteinte de cet objectif est programmée-planifiée-régulée par des lois économiques impératives de telle sorte que le capitalisme parvient à créer les conditions de reproduction du capital – son « accumulation » disait Marx – ce qui amène évidemment à accumuler des fortunes toujours plus grandes, d’où la multiplication des multimilliardaires qui concentrent le capital entre leurs mains, mais dans l’unique but de le réinvestir profitablement afin de le multiplier et de l’accroitre sans fin étant entendu que ce capital ce sont des moyens de production et des marchandises (biens et services) permettant de produire de nouveaux capitaux.

Les ONG de la charité ont raison de signaler que l’application de la loi capitaliste de la valorisation-reproduction du capital entraine de facto la concentration des avoirs et donc leur raréfaction pour les petits capitalistes, la bourgeoisie de service, la petite-bourgeoisie des services et pour le prolétariat dans son ensemble. Ce phénomène ne résulte ni d’une volonté machiavélique des grands capitalistes d’affamer la populace ni d’une mauvaise planification économique, auxquelles des réformes orchestrées par l’État fétiche pourraient remédier. Ce processus, parfaitement régulé, résulte des principes et des lois de fonctionnement du mode de production capitaliste.

Le paradoxe survient du fait que cette mécanique autoplanifiée adéquate et pertinente pendant l’étape initiale de croissance des forces productives, après l’effondrement du mode de production féodal (que le capitalisme a favorisé comme son premier acte fondateur), s’enraye au stade industriel-monopoliste mondialisé financiarisé à très forte productivité. À ce stade impérialiste mondialisée le capital dévore sa progéniture et jette à la rue le prolétariat salarié, unique producteur de plus-value. À ce stade, le capital en cherchant à produire toujours plus de marchandises afin d’accroitre son profit, commercialise trop de marchandises (biens et services) que la population nationale et la population des marchés étrangers ne peut en consommer avec son pouvoir d’achat anémié. Diverses solutions sont alors envisagées et dont l’exécution sera planifiée comme : de libéraliser le crédit à la consommation, dépensant aujourd’hui le salaire que le prolétaire ne touchera peut-être pas demain. Solution qui ne fait que reporter le jour de l’effondrement. La conquête agressive des marchés des concurrents est aussi dans les cartons de planification. Mais attention, l’ami, le frère, l’allié, le concurrent ont le même projet dans leurs cahiers – la guerre impérialiste commerciale pointe à l’horizon qui pourrait bien dégénérée en guerre militaire. Enfin, détruire des marchandises excédentaires et réduire la production de biens et de services est une troisième solution dans les cartons de planification. Mais alors, le capitaliste ne remplit plus sa mission de classe qui consiste à valoriser le capital – à réaliser la plus-value sur les marchés – afin d’investir les profits accumulés pour accroitre la production devant subvenir aux besoins de l’espèce.

La classe capitaliste engendrée par le système capitaliste ne planifie pas le déclin du mode de production, celui-ci est inscrit dans les gènes du monstre et ses contradictions insolubles se développent petit à petit au fur et à mesure que le monstre grandit et qu’il se fortifie – illusoirement – car en son sein sommeille le cancer de la surproduction qui le terrassera. Pendant la période de déclin mondialisé que le capitalisme a maintenant amorcé, la bourgeoisie se comporte comme elle l’a toujours faite, avide, cupide, sans cœur et assoiffée de profits, car c’est sa tâche imposée par le procès de production. La tâche du capital n’est pas de créer des emplois, ni de produire des marchandises et des services, ni de les commercialiser, toutes ces activités dont elle assure la réalisation planifiée sont appelées par sa mission historique qui est de valoriser le capital – produire toujours plus de valeur, de capital – de le réaliser sur les marchés et de le réinvestir et ce faisant elle assure la production des biens et des services qui par percolation, si tout va bien, se répandront dans la masse du peuple, du grand bourgeois jusqu’au SDF.

Le grand capitaliste se croit trahi par l’État, le prolétariat, la banque, le bourgeois et le système quand il découvre que la poursuite de son mirage – augmenter la rentabilité du capital – entraine, après un certain temps, le krach boursier, l’inflation, la dévaluation de la monnaie, l’effondrement des marchés, et l’évaporation de ses actifs boursiers devenue sans valeur. Ce qui ne devait être que le moyen (valoriser le capital) était devenu la finalité. Le prolétariat en surnuméraire est expulsé de la chaine de production. Le système s’autodétruit et il asphyxie sa poule aux œufs d’or (le prolétariat producteur de plus-value). La reproduction de l’espèce humaine elle-même est mise en danger et de multiples symptômes signalent que le système en entier va s’effondrer. Les profits sont en baisse relative, le chômage se répand, des soulèvements éclatent sous moult prétextes et le capital désespéré est entrainé à accentuer sa guerre commerciale concurrentielle, sa guerre diplomatique, sa guerre financière, monétaire et boursière et à la fin sa guerre militaire vers laquelle il est entrainé par la force du courant descendant. Ce scénario plusieurs fois observés depuis deux siècles, et qui se dessine à nouveau, est programmé au sein du code source de ce mode de production moribond.

Les bobos de gauche comme de droite doivent comprendre que ni Dieu, ni empereur, ni tribun ne peut planifier l’inversion de cette calamité. Tout ceci est inscrit dans la génétique du système. C’est ainsi que les matérialistes prolétariens savent qu’une troisième guerre surviendra qui créera les conditions de la plus grande révolution qu’ait connu l’humanité, la révolution prolétarienne qui abolira le règne de la nécessité pour accéder à la vraie liberté qui reposera sur la maitrise des éléments, le contrôle des contingences, une immense connaissance scientifique, une productivité décuplée et la capacité de planifier l’évolution pour la satisfaction directe des besoins de l’humanité. 

Planifier le développement n’est pas un concept neutre. C’est un concept que l’on retrouve sous tous les modes de production et il n’est pas propre au mode de production communiste avancé. Cependant, la classe sociale hégémonique qui seule a le pouvoir de planifier le développement économique, politique et social ne peut le faire que dans le cadre de sa mission historique de classe. En effet, un capitaliste ne peut imaginer planifier le développement du mode de production communiste prolétarien. Il le voudrait – tels ces utopistes bolchéviques et ces maoïstes venus du Moyen-âge – qu’ils ne le pourraient pas. Le mode de production dans son évolution les ramènerait aux lois de production et aux contradictions capitalistes. Une société ne peut escamoter un mode de production ; elle ne peut contourner des rapports de production, elle ne peut faire l’économie du développement des forces productives. Celles qui seront justement requises pour accomplir la prochaine Révolution sociale prolétarienne.

Ceux qui qualifient le stalinisme de contrerévolution ou qui croit que la Révolution russe fut une insurrection visant à renverser le mode de production capitaliste achevée en Russie tsariste arriérée, et que cette insurrection aurait avorté, se trompent lourdement. Le stalinisme n’a pu trahir une révolution prolétarienne qui n’a jamais existé en Russie sous-développée. Le stalinisme fut la réponse « planifiée » par le mode de production capitaliste aux conditions spécifiques de la Russie tsariste féodale et arriérée. Le stalinisme a permis à la Russie, grâce à une planification capitaliste étatique rigoureuse, de rattraper son retard de développement. Quand celui-ci ne fut plus adéquat, le système provoqua l’implosion du modèle capitaliste socialiste soviétique et son remplacement par le modèle capitaliste occidental libéral et son nouvel empereur Vladimir Poutine.

 

 

 

NOTES

 

1. http://www.les7duquebec.com/actualites-des-7/limpossibilite-du-developpement-sous-le-capitalisme/

 

2. Le capitalisme repose sur une relation sociale très simple : l'augmentation de la valeur par le travail humain est appropriée par le capital et intégrée dans celui-ci. C'est pourquoi, comme Marx le fait remarquer, « l'existence même d'un bénéfice sur n'importe quelle marchandise présuppose une demande extérieure à celle du travailleur qui l'a produite ; la demande du travailleur lui-même ne peut jamais être une demande suffisante ", c'est-à-dire suffisante, pour" acheter "tout ce qui est produit. » C'est pourquoi dès le départ le capitalisme est brutalement expansif : il doit apporter au marché la bourgeoisie, la petite-bourgeoisie, des masses de paysans et d'artisans indépendants dans les pays où il se répand parce qu'il a besoin de plus de demandes qu'il n'en produit. Ce mécanisme est reproduit à l'échelle mondiale et explique la diffusion très rapide du capitalisme dans le monde au cours du XIXe siècle à la recherche de marchés. Nous avons ici l’essentiel des caractéristiques de la phase impérialiste du mode de production capitaliste expansif.

 

Mais le monde est fini et aussi le volume de valeur que, globalement, les producteurs indépendants sont en mesure de produire. Notez que les agriculteurs indépendants, et les artisans autoentrepreneurs ne produisent pas de plus-value, car ils ne produisent pas de surtravail. Le résultat historique est la saturation du marché artisanal qui à son tour cède la place au capitalisme parasitaire (non productif) sans rentabilité suffisante pour tous les produits offerts par le capital, et s’amorce une phase de « suraccumulation » capitalistique. Cette nouvelle étape, cette phase globale du capitalisme expansionniste est ce qu'on appelle l'impérialisme. Dans la mesure où tous les capitaux nationaux et multinationaux ont accès à des marchés de plus en plus restreints et convoités où réaliser leur plus-value, la concurrence devient si aigüe que bientôt la guerre militaire devient la seule manière de partager les marchés.


3. « Pro-Deuxième Manifeste Communiste » (1949) et « Parti-État, Stalinisme, et Révolution" (1976), deux grands classiques de la Gauche communiste espagnole, sont disponibles en téléchargement dans notre bibliothèque et une édition spéciale si vous voulez imprimer sur papier . Source : https://nuevocurso.org/se-puede-planificar-el-capitalismo/?utm_medium=push&utm_source=suscriptores&utm_campaign=onesignal

 

  1. Pour une compréhension de l'origine du premier développement du capitalisme d'État en Russie et de sa relation avec la contrerévolution, nous recommandons notre texte d'entrainement " Brève histoire de la contrerévolution ". Source : https://nuevocurso.org/se-puede-planificar-el-capitalismo/?utm_medium=push&utm_source=suscriptores&utm_campaign=onesignal
  2. https://nuevocurso.org/se-puede-planificar-el-capitalismo/
  3. https://nuevocurso.org/se-puede-planificar-el-capitalismo/
  4. https://nuevocurso.org/se-puede-planificar-el-capitalismo/

 



2 réactions


  • Robert Bibeau Robert Bibeau 26 mai 2019 10:51

    @ tous 

    Il est difficile d’être compris quand vos lecteurs sont tous munis de lunettes grises 

    Les lunettes grises ce sont 50 ans de phraséologie gauchiste assimilant les politiques d’État de gauche comme de droite  à de la planification.

    Ainsi la FED ne remonte pas les taux d’intérêts elle PLANIFIE LA REMONTÉE DES TAUX D’INTÉRÊTS POUR PLUS TARD ET ELLE PLANIFIE L’EXPANSION DU CRÉDIT POUR AUJOURD’HUI 

    Ridicule 

    La FED meme chose pour la Chine ou tout autre pays ne font que réagir s’adapter aux lois du mode de production capitaliste et la surproduction nécessite une expansion du pouvoir d’achat même factice pour durer encore un eu avant le crash boursier financier appréhendé. 

    Planifier le développement ce serait mettre fin à cette succession de crises à répétiton 


  • Paul Jael 8 juin 2019 15:03

    A condition que le pouvoir politique ne craigne pas de la réguler, l’économie de marché me paraît le type d’organisation économique le plus performant. Une question importante est de savoir si le socialisme, généralement associé à la planification, est compatible avec elle. Diverses réponses ont été apportées à cette question. Certaines d’entre elles, positives, méritent d’être plus connues. Voyez l’article que je consacre à cette problématique sur mon blog :

    http://eco-medie.over-blog.com/


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