vendredi 18 février 2011 - par Paul Villach

Picasso, un monstre pas sacré du tout : un film de J.-D. Verhaeghe le montre à l’œuvre

Le film de Jean-Daniel Verhaeghe, « La femme qui pleure au chapeau rouge », diffusé sur France 2, mercredi soir 16 février 2011, offre-t-il une représentation fidèle d’une partie de la vie du peintre Pablo Picasso, de 1935 à sa mort ? Si oui, c’est un réquisitoire féroce contre un personnage monstrueux et méprisable, encensé comme sans doute jamais un artiste ne l’a été de son vivant et après sa mort.

Trois traits abominables de sa personnalité sont illustrés jusqu’à la nausée dans ce film remarquablement réalisé et interprété en particulier par Thierry Frémont dans le rôle du peintre et Amira Casar dans celui de Dora Maar, une de ses maîtresses de 24 ans plus jeune que lui, éperdument amoureuse pourtant jusqu’à perdre toute dignité avant d’abandonner, détruite, une relation de près de neuf ans.
 
1- Un polygame pervers
 
Le premier trait qui rejaillit sur son entourage est celui d’un polygame pervers. Marié à Olga Khokhlova, avec laquelle il a eu un fils, il entretient un harem où Marie-Thérèse Walter devenue mère de sa fille Maya et Dora Maar, une artiste peintre et photographe, jouent, un temps, les premiers rôles de favorites.
 
Comme un sultan, le maître choisit à sa convenance celle que son désir appelle selon les jours. Ces femmes sont si éperdument amoureuses de lui, qu’elles supportent l’insupportable jusqu’à la déchéance. Alors qu’entre 1935 et 1943, elle est la favorite préférée avec qui il passe le plus clair de son temps, Dora Maar doit accepter les humiliations répétées du sultan en rut. À la défaite de 1940, il court se mettre à l’abri dans un hôtel de Royan où il rabat son harem et contraint ses femmes à cohabiter. Dora Maar est même priée de jouer de temps à autre la garde d’enfant avec Maya, la fille de sa rivale.
 
On reste sans voix devant ce qu’une femme, pourtant brillante et émancipée comme elle, est capable d’endurer de la part d’un amant aussi répugnant, au propre et au figuré. Quand il décide de revenir à Paris, il la fait descendre comme une domestique de sa voiture de luxe où elle a déjà pris place, et la somme de rentrer par le train : il y en a un dans l’heure qui suit. Plus tard, dans la villa de Ménerbes qu’il lui a achetée au pied du Lubéron, il s’invitera avec une nouvelle jeune maîtresse dont il lui imposera la présence.
 
2- Un militant politique de salon
 
Le second trait de ce portrait dressé de Picasso est celui du militant politique de salon. En Juillet 1936 éclate la guerre civile espagnole. Après le bombardement de la ville basque de Guernica, en avril 1937, Picasso prétend dénoncer la barbarie fasciste et franquiste : Dora Maar obtient de lui qu’elle suive par la photographie l’élaboration de la grande toile en noir gris et blanc qu’il peint et portera le nom de la ville détruite. On sait quelle renommée cette toile va connaître, même si, entre elle et le « Tres de mayo  » de Goya, il n’y a pas photo.
 
Pour autant, Picasso reste prisonnier de l’univers fortuné que lui a ouvert la fortune incroyable rencontrée par sa peinture sur un marché de l’art irrationnel. Qu’il s’agisse de voiture, d’appartement, de villa, de château, d’hôtel ou de café, le sieur ne connaît que le luxe. C’est qu’un gribouillis de sa main sur une nappe en papier de restaurant suffit à convaincre une vieille dame de lui abandonner sa précieuse bague de famille pour l’offrir à sa nouvelle maîtresse.
 
Sa simple signature vaut de l’or et il en joue : ainsi, quand, avant qu’il ne reparte pour Paris, le propriétaire de l’hôtel de Royan lui quémande un dessin sur son livre d’accueil, il se prête volontiers au jeu, mais ne signe pas ; à son interlocuteur qui s’en étonne, il rétorque en substance modestement que le prix de sa signature dépasse celui de son hôtel. Pis, il soumet ses proches à l’humiliation de devoir venir lui mendier une signature au bas des toiles qu’il leur a données d’abord sans les signer, afin qu’ils puissent les vendre pour vivre. Son seul nom est devenue une valeur qu’une bulle financière entretenue par le marché, maintient au plus haut prix. Jusqu’à quand ?
 
3- Un destructeur impitoyable
 
Cette question, le troisième trait de ce portrait incite à la poser. Modèle de Picasso au cours de cette période entre 1935 et 1943, Dora Maar en est venue un jour à dénoncer son pouvoir destructeur en voyant le portrait lamentable qu’il venait de faire d’elle : « La femme qui pleure au chapeau rouge ». Elle lui a reproché de la défigurer et de toujours la montrer en larmes. Plus généralement, elle l’a accusé de détruire, à l’image des figures de ses tableaux, les êtres qui gravitaient autour de lui.
 
Percevoir la peinture de Picasso comme une destruction, voilà ce qu’on aime entendre de la part d’une artiste comme Dora Maar qui est allée jusqu’à abandonner la photographie sur ses injonctions et renoncer à peindre sous ses moqueries. Si Picasso a eu ses périodes rose et bleue, ce sont des noires qu'on connues les malheureuses qui ont approché ce minotaure, comme il s’est, un temps, défini, insatiable de chair fraîche  : elles ont sombré souvent dans le désespoir. En voix off, sont énumérées au terme du film les fins tragiques que certaines ont vécues : Dora Maar a souffert de dépression nerveuse avant de se tourner vers le mysticisme, Marie-Thérèse Walter s’est pendue en 1977 et Jacqueline s’est tirée une balle dans la tête en 1986.
 
Il reste que, dans ce polygame pervers, ce militant politique de salon et ce destructeur impitoyable, le marché de l’art, comme Dora Maar elle-même, voit depuis longtemps un génie. En octobre 2008, une exposition au Grand Palais à Paris, « Picasso et les maîtres  » a prétendu l’introduire dans le cercle des plus grands comme Vélasquez, Goya, Ingres ou Manet. On a sur AgoraVox exprimé ses doutes et même sa crainte que le maître ne puisse de la comparaison osée se remettre. Que restera-t-il, en effet, de Picasso quand, savamment entretenue par des plans médias répétitifs à coups de musées, d'expositions incessantes et de choeurs de thuriféraires, la bulle financière du marché de l’art qui lui prête du génie, viendra à éclater ? Ce n’est pas l’homme monstrueux et sinistre que décrit Jean-Daniel Verhaeghe qui viendra le racheter. Paul Villach
 


La femme qui pleure au chapeau rouge, de Jean-Daniel Verhaeghe (Extrait) par AgoraVoxFrance 

 

(1) Paul Villach, « Picasso face aux grands maîtres : va-t-il pouvoir s’en remettre ?  », AgoraVox, 10 octobre 2008,


23 réactions


  • Gabriel Gabriel 18 février 2011 10:44

    Dali, dont l’humour était quelques fois border line, répondit un jour à cette question :

    - Connaissez vous Picasso ?

    - Picasso, Picasso, n’est pas ce jeune peintre qui barbouille des croûtes avec le Ripolin du coin ?


  • Taverne Taverne 18 février 2011 11:22

    Picasso semblait tout l’opposé d’un humaniste. Il s’achetait des maîtresses comme les Romains s’achetaient de esclaves. Et il laissa mourir son ami le poète Max Jacob au camp de Drancy.


  • Pierre de Vienne Pierre de Vienne 18 février 2011 12:01

    Aprés avoir vainement tenté de dénigrer l’oeuvre avec de bien piètres arguments, on s’attaque à l’homme, en utilisant les mêmes procédés que les régimes totalitaires, en assimilant la peinture de Picasso à un art « de dégénéré » de sinistre mémoire. Staline et l’autre petit moustachu disaient la même chose quand ils parlaient de la peinture abstraite, ou des artistes du Bauhaus. Si vous n’arrivez pas à dézinguer la réputation d’un homme, d’une oeuvre, attaquer sous la ceinture, la vie privée. Et votre détestation vous aveugle tellement que vous n’arrivez pas à concevoir que des femmes aussi intelligentes et belles que les compagnes successives de l’artiste puisssent avoir été séduites par un tel « pervers ».


    Quand à la fortune critique de l’oeuvre j’ai bien peur qu’il vous faille attendre encore un peu,Picasso avait malheureusement ce que peu de gens possèdent : du génie et des couilles.

    • SATURNE SATURNE 18 février 2011 12:46

      Pas mieux que Pierre de Vienne.


    • Emile Red Emile Red 18 février 2011 14:59

      Idem et encore...

      Que peut un petit rat de bibliothèque contre l’absolu génie : lui cracher dessus.

      Pauvre leurré de PV, il est l’heure de prendre vos cachet, il est leurre monseigneur...


  • Clouz0 Clouz0 18 février 2011 12:11

    Paul Villach contre Picasso ...... Le Choc ! smiley


    Picasso a peur, Picasso tremble, Picasso est rhabillé pour l’hiver, Picasso ne s’en remettra jamais !
    OUAFFFFF smiley  smiley  smiley



  • orage mécanique orage mécanique 18 février 2011 12:13

    en guise de génie et de couille,il savait surtout nagé dans le sens du courant ce qui a fait de lui le peintre populaire qu’il est devenu,
    j’aime son œuvre mais il faut être conscient qu’il a souvent copié les styles qui lui plaisait chez d’autre, parfois même les transcendants, ce qui fait qu’aujourd’hui son oeuvre reflète tellement de courant qu’il en est forcément spectaculaire.

    maintenant comment considérer que sa vie puisse être différent de son œuvre ?
    opportunisme, cannibalisme, égocentrisme.


  • jack mandon jack mandon 18 février 2011 12:14

    Bonjour Paul Villach,

    l’artiste et l’homme, où commence l’un et où finit l’autre.
    On ne peut contester sa puissance de création qui va de pair avec un comportement
    qui échappe à la normalité.
    Les femmes qu’il attirait étaient en miroir des êtres uniques, plus ou moins artistes,
    les héros fascinent les femmes, et surtout celles qui lui ressemblent.
    Ces œuvres sont inégales fluctuantes comme ce personnage paranoïde, sadique
    et comme il est montré dans le film, masochiste et comédien en diable.
    L’ étude de son écriture me révèle un personnage mythique, comme vous le soulignez
    fort justement en Minotaure incarné.
    C’est un personnage qui véhicule inconsciemment les pratiques païennes de Baal,
    celles également tauromachiques de l’ancien orient.
    Ce n’est plus tout à fait un homme, c’est un mythe. Il aimait l’arène et les taureaux
    auxquels il s’identifiait probablement chaque fois qu’un prétentieux en costume de poisson
    se faisait éventrer. C’est un véritable artiste à la limite de la démence.
    Contrairement à la phalène qui pénètre la flamme pour périr,
    il se tenait en tension tangentiellement au foyer...ses compagnes passaient
    la flamme pour disparaitre dans le néant, peut être pour le retrouver.

    Merci pour votre article, c’est un thème qui m’inspire, les artistes m’intéressent.   


  • Epiménide 18 février 2011 12:34

    Nous avons besoin de dieux ; et les dieux sont les dieux, sacrés par définition. Ergo Picasso est sacré.


  • volpa volpa 18 février 2011 14:10

    Un peu bunga bunga berlusconnien.


  • Emile Red Emile Red 18 février 2011 15:10

    Voilà que maintenant un film ferait foi sur l’autel de l’histoire et de l’’art et les gogos téèfunnisés de se répendre en vilénies villachiennes ou vilachies viléniennes.

    Villach vous n’aimez pas Picasso, point, venir raminagrogner sur vos gouts et couleurs, si vous saviez ce que la planète en pense, en plus de quoi votre génie n’a jamais démontré ces mêmes qualités que vous jalousez à baver sur feuille blanche qui, au demeurant, ne vous a rien fait.

    Vous le pédagogue devriez vous rappeler des paroles assurément entendues autrefois :

    « on ne dit pas c’est pas bon mais je n’aime pas.... »


  • COVADONGA722 COVADONGA722 18 février 2011 16:06

     je suis ton égal !

     hurlait le poux au vieux lion


  • cathy30 cathy30 18 février 2011 16:27

    bonjour PV
    Je suis certaine que Thierry Fremont fait un excellent Picasso.

    Ce peintre nous prouve qu’il ne faut pas toujours avoir des qualités morales pour avoir du génie. Apparemment le film ne traite pas des rapports de Picasso avec les autres peintres de sa génération. Ils le fuyaient comme la peste, il avait une certaine tendance à piquer toutes les idées de ses contemporains pour en faire du Picasso. Plutôt déprimant pour ses collègues.
    L’homme était immonde, mais les oeuvres qu’il laisse sont incroyablement belles. Il vaut mieux donc ne pas penser au pervers qu’il était, quand on regarde une de ses oeuvres. Ce que je ne fais pas d’ailleurs le trait est parfait.


  • kitamissa kitamissa 18 février 2011 16:56

    une des rares fois où je suis d’accord avec Villach !


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 18 février 2011 17:00

    c ’est marrant moi-aussi ..... smiley


    • L'enfoiré L’enfoiré 18 février 2011 17:19

      C’est pas marrant, mais moi aussi. smiley
      Très bien rendu. Pas de leurre, cette fois. J’aime.
      Je me demande, comment Agoravox, parlera de ses rédacteurs dans le futur.
      Cela pourrait être intéressant. smiley


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 18 février 2011 17:23

    l’ auteur dit  ça car   Béa Guernica 


  • zelectron zelectron 18 février 2011 17:35

    Il doit sa célébrité au parti communiste, si il ne l’avait pas été, il serait resté dans le ruisseau et la fange.


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 18 février 2011 20:06

    en fait je voulais dire «  c’ est pas m’ hareng  » 


  • Kookaburra Kookaburra 18 février 2011 20:51

    Totalement d’accord avec PC. Mais comment juger d’une œuvre d’art ? Y-a-t-il des critères objectifs ? Souvent on entend dire « je ne comprend rien à la peinture, mais je sais ce que j’aime ». Fort bien. Pourquoi pas ? C’est subjectif : de gustibus non est disputandem. Mais la célébrité d’une œuvre d’art n’indique pas forcement son excellence. Il y a d’autres facteurs : le marché, la spéculation, les galeries, et aussi le qualité vendeur de l’artiste. Un artiste qui a de la bagou vendra mieux qu’un timide. Une grande partie de « l’art » contemporain n’est que de l’esbroufe. L’originalité c’est la seule chose qui compte. Il faut surprendre, choquer, scandaliser. Désorienter surtout. Heureusement il y a le temps. « Avec le temps tout s’en va », quand Leo Ferré le chante c’est déchirant, mais dans la peinture on peut dire tant mieux et bon débarras ! Il y a d’excellent peintres restés inconnus et des médiocres célèbres, mais le temps rétablit un peu les valeurs. Picasso aura sa place dans l’histoire de l’art, mais pas forcement une grande place. Si Manet avait fait le portrait de la femme qui pleure, ça aurait été une œuvre autrement plus grande.


  • Proudhon Proudhon 20 février 2011 19:52

    Picasso et consorts prouvent que l’on peut être un génie et un sale con. Ce qui ne retire rien à la magnificence de leurs oeuvres.
    Ne jamais mélanger l’oeuvre du génie avec la réalité quotidienne d’un homme de génie qui reste malgré tout un homme.


  • stephanemot stephanemot 21 février 2011 09:00

    Picasso un homme meprisable, ce n’est pas un scoop.
    Picasso un artiste brillant, ce n’est pas faux non plus. Et pas incompatible (Celine, Polanski...).

    Sur un plan personnel, je lui prefere un Bacon ou une Louise Bourgeois. Ils ont moins marque le XXe siecle mais leur relation a l’art me parait plus honnete.


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