Pile, je gagne. Face, tu perds. Fonds en Euros : ou quand les produits financiers ne profitent qu’à ceux qui les vendent
Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a.
Matthieu, 25:29, Marc, Luc
On formule le souhait qu'un jour l'immense troupeau des gogos qui souhaitent placer utilement leur épargne en achetant des produits financiers finissent par comprendre qu'ils affichent le comportement de crocodiles heureux de se précipiter dans une maroquinerie.
Sait-on bien que l'article 49 de la loi dite « Sapin II », publiée le 10 décembre 2016, donne tous pouvoirs au Haut Conseil de Stabilité Financière (le HCSF) la possibilité d'interdire temporairement les mouvements de retrait que pourrait déclencher une hausse brutale des taux d'intérêt ?
Les épargnants intéressés par cette grave question imaginent-ils un seul instant qu'ils puissent se retrouver dans l'impossibilité pure et simple de disposer et de recouvrer ce qui leur appartient légitimement ? Probablement pas dans la mesure où tout est mis en place pour empêcher les dépositaires de fonds en euros qui auront compris que ceux-ci sont devenus trop peu rentables soient brusquement tentés de solder leurs positions et de récupérer leur épargne au détriment des assureurs-vie et de leurs clients.
Il n'est pas sûr en effet que l'on puisse sérieusement faire confiance à la pérennité des fonds placés sur des supports en Euros dans la mesure où tout est fait pour qu'en cas de coup dur ou de retournement de situation les assureurs ne puissent en aucun cas subir un quelconque dommage et être contraints de faire face à une responsabilité financière.
I- Une question de garantie et de coûts
Il n'est pas sûr en effet que l'épargnant (pardon ! l'investisseur) soit pleinement conscient de ce que dans le cadre de l'ingénierie financière à laquelle on lui fait l'honneur de participer en lui proposant d'acheter un produit d'épargne, il sache que les primes versées sur les supports en Euros sont en réalité la propriété de l'assureur qui s'engage en contrepartie à garantir à l'assuré une rente ou un capital exprimés en Euros.
Le mécanisme est en effet très simple qui consiste à se garantir contre les conséquences d'un aléa qui a par définition vocation à justifier le principe même de l'assurance.
Mais il existe un "os" dans la mesure où cette garantie qui est donc libellée en Euros constitue en réalité une dette pour la compagnie d'assurances qui est contractuellement tenue de pouvoir rembourser à tout moment à l'assuré qui en exprimerait la demande aussi bien le capital que les intérêts accumulés.
Tout serait tellement harmonieux sans pareils imprévus...
Pour autant, et sachant que rien n'est franchement gratuit dans ce bas monde et surtout pas l'argent, il se trouve que cette garantie de sécurité coûte très cher en fonds propres aux assureurs qui se passeraient bien idéalement (on le comprend) de toutes ces exigences prudentielles imposées par la norme Solvabilité II et se trouvent aujourd'hui face à des taux en baisse qui déprécient leurs placements sécuritaires.
Il devient donc urgent d'inviter les moutons à repasser à la tondeuse en redéfinissant discrètement le cadre initial des garanties en capital. Soucieux de réduire au plus vite l'étendue de leurs engagements sur les fonds en Euros, les assureurs invitent alors leurs clients à se tourner vers les unités de compte (UC) ou/et à proposer dan le cadre d'arbitrages raisonnés (il existe en effet toute une phraséologie financière à l'usage des connaisseurs) une nouvelle palette de garanties en capital bien évidemment modulables selon la durée d'investissement.
II- Un sucrage bien compris
Mais voilà, il se trouve que parfaitement conscient de ce que les choses ne se passent jamais vraiment comme elles sont prévues, le législateur a pris soin d'offrir aux assureurs la possibilité de consolider en cas de coup dur leurs réserves financières.
Imagine ton un seul instant que l'épargnant puisse tirer avantage d'une garantie initialement convenue ? Ne rêvons pas.
D'où l'existence d'un mécanisme qui s'apparenterait à l'image d'un joueur de football qui, après un tir habile qui lui permettrait de marquer inéluctablement un but, verrait la loi déplacer brusquement la cage…
C'est qu'en effet beaucoup de gens risquent fort de découvrir - sans doute un peu tardivement -, que le HCSF précité a toute latitude, sur proposition du gouverneur de la Banque de France, de « moduler les règles de constitution et de reprise de la provision pour participation aux bénéfices » ou, en langage plus simple (en « Français facile » (comme l'on dit sur Radio France internationale), les retraits des épargnants peuvent être suspendus, bloqués, interrompus, interdits.
(On observera que le cadre légal est parfaitement assuré dans la mesure où le gouverneur de la Banque de France exerce aussi les fonctions de président de l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (dite ACPR), organe de supervision français chargé de la supervision des secteurs bancaires et d'assurance qui a pour mission de veiller à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients.)
Sources :
Sur le HCSF
https://www.economie.gouv.fr/hcsf
Le Haut Conseil de stabilité financière (HCSF) est l’autorité macroprudentielle française chargée d’exercer la surveillance du système financier dans son ensemble, dans le but d’en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique.
Le HCSF est également chargé de faciliter la coopération et l’échange d’informations entre les institutions que ses membres représentent. Ces échanges permettent de limiter les angles morts de la surveillance et de mieux prendre en compte les risques liés aux interconnexions entre les différents acteurs ou secteurs et aux interactions entre les réglementations.
Sur la Norme Solvabilité II
Sur l'ACPR
https://acpr.banque-france.fr/
Sur la Loi Sapin II
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000033558528&categorieLien=id
https://transparency-france.org/actu/guide-pratique-entreprises-loi-sapin-2/
https://www.economie.gouv.fr/transparence-lutte-contre-corruption-modernisation
Sur le crocodile et la maroquinerie :
https://www.paroles.net/coluche/paroles-les-discours-en-disent-long