La période est décidément difficile pour le gouvernement. Déjà empêtré dans le retour des - mauvaises - vieilles pratiques des banques qui voient avec soulagement le bout du tunnel se profiler pour elles, alors même qu’elles n’ont visiblement pas retenu grand chose de la leçon que la planète entière paie aujourd’hui durement, le gouvernement français se prend en pleine gueule la vague de suicide qui touche les employés de France Telecom - ou Orange, je ne sais plus trop comment appeler cette société - au moment où il lance le grand chantier du changement de statut de La Poste. Et voila en prime un ministre de la culture pris à patauger dans une histoire sordide alors même que l’opinion publique se trouve confrontée à un crime sexuel de plus, commis par un récidiviste. Triste rentrée !
Oui, la crise fait des ravages. Le chômage augmente fortement, frappant des dizaines de milliers de français, et mettant la peur au ventre à de millions d’autres qui se demandent fébrilement s’ils seront touchés à leur tour. Ce n’est pas vraiment le moment de venir aviver l’angoisse généralisée par des mots maladroits, des phrases inconsidérées ou des histoires lamentables de tourisme sexuel.
Pourtant, c’est bien l’actualité gouvernementale de ces jours ci. Alors même qu’on pourrait s’attendre à ce que l’équipe de Nicolas Sarkozy et François Fillon soit sur le pont pour se battre bec et ongle pour sortir le pays de ce tout le monde qualifie de "plus grave crise depuis 1929" , Frédéric Mitterrand, "prise de guerre" de l’ouverture se trouve mêlé à un début de scandale dont le parfum peu ragoutant donne la nausée à pas mal de gens.
La sortie de Marine Le Pen, lundi soir, lors de l’émission "Mots Croisés" sur France 2 a mis le feu aux poudres. Certes, les interrogations sur l’ancien homme de télé se faisaient insistantes sur la blogosphère depuis sa nomination rue de Valois, mais cela restait un bruit de fond, lancinant, un peu dérangeant mais sans vraiment susciter d’échos. Sa défense de Roman Polanski, mal comprise, a donné lieu à un parallèle dangereux. Et si il défendait le réalisateur franco-polonais pour des raisons moins avouables que le souci de protéger un compatriote, artiste de talent de surcroit ? Et si, derrière sa grande émotion se cachait une proximité plus crapoteuse ? Le bruit médiatique a enflé, mais seulement sur la toile, là encore. Dans les médias "institutionnels", rien, nada. La sortie de la responsable du Front National a dynamité ce silence un peu gênant - ou gêné, selon les points de vue.
Il y a deux jours, L’express sortait
un papier dans son édition en ligne, mettant en cause la "fachosphère", responsable de l’entretien de cette "rumeur". Agoravox y est cité comme ayant ressorti les extraits du livre de Frédéric Mitterrand. Progressivement, dans la journée d’hier, les autres news magazines,
Le Point et le
Nouvel Obs se sont mis à relayer ce qu’on doit désormais appeler l’affaire Frédéric Mitterrand. En fin d’après midi,
Le Monde et
Libération emboitaient le pas de tout ce beau monde, rejoints par
Le Figaro en début de soirée. Finalement, les JT de 20h de TF1 comme France 2 y consacraient un reportage en première partie de journal, la rédaction de France 2 allant même jusqu’à retranscrire les passages du livre de Frédéric Mitterrand à l’écran pour que les téléspectateurs soient bien informés.
Drôle de journée que celle d’hier, qui a vu une "rumeur" venant du net, cet égout d’où ne sortent que les pires horreurs, calomnies et conspirations de tout poil, se transformer en info pour devenir enfin à 20h l’affaire politique du moment. Frédéric Mitterrand est-il un pédophile ? Marine Le Pen veut-elle redonner une virginité à un mouvement politique à bout de souffle ? Benoit Hamon devrait-il avoir honte de se mettre à la remorque de l’extrême droite en confiant le choc ressenti devant cette histoire ? Et Martine Aubry - qui n’a pas lu ce livre, non plus - attendra-t-elle que le film soit sorti avant de se prononcer ?
Toute cette histoire me laisse un drôle de goût dans la bouche. un goût de cendres. Je me sens un peu nauséeux devant un tel étalage de trucs sordides. Et franchement, j’aimerais que le gouvernement règle rapidement cet épisode à vomir pour revenir aux problèmes de fond de la France en crise. Pour cela, il y a un moyen très simple : Frédéric Mitterrand, comme ministre de la Culture et de la Communication, doit répondre sans détour - enfin ! - à ces questions simples :
- "La mauvaise vie" est-elle une fiction ou une autobiographie ?
- Est-il ou non allé en Thaïlande pour y pratiquer le tourisme sexuel ?
- A-t-il eu des rapports tarifés avec des mineurs ?
Ces questions doivent lui être posées rapidement et la réponse doit être claire et sans ambiguïté. Il a l’occasion de le faire dès demain. Si on consulte
son agenda, on y lit qu’il sera demain soir à Strasbourg pour assister aux troisièmes
assises du journalisme. il y sera face à des journalistes dont le métier est de poser ces questions et d’obtenir des réponses suffisamment claires pour faire cesser la polémique.
Il n’aura pas beaucoup plus de temps pour s’expliquer. En effet, Vendredi, Nicolas Sarkozy
sera au Grand Palais avec son homologue turc, M. Gül, pour visiter l’exposition "de Byzance à Istanbul, un port pour deux continent". Et le ministre de la Culture en sera, toujours selon son agenda. Je doute que la délégation turque soit très heureuse de frayer avec un homme mis en cause dans une affaire aussi délicate ... d’ici à ce que nous pataugions dans un incident diplomatique !
Frédéric Mitterrand n’est plus un simple écrivain ayant publié un récit, aussi ignoble soit-il. Il est désormais ministre de la République, représentant la France et sa culture. Il ne peut rester ainsi entaché d’un soupçon de crime infâme. Que se passerait-il si, la situation restant telle qu’elle est, il se trouvait en butte avec des défenseurs de l’enfance lors d’un déplacement prochain à Bruxelles lors d’une réunion des ministres de la culture de l’Union ? La Belgique a suffisamment cher payé les crimes de pédophiles pour que certaines associations ne s’offusquent pas de la présence sur leur sol d’un homme soupçonné d’un crime similaire. Et si la gifle diplomatique venait d’un de ses homologues ? D’un camouflet infligé aux USA dont l’opinion publique est
tenue informée de cette affaire. Et je n’ose imaginer une hypothétique visite en Thaïlande dans le cadre d’une visite d’état ...
Je ne sais pas ce que Frédéric Mitterrand a fait en Thaïlande, je ne sais même pas s’il y est allé. Et même si ma réaction devant ses écrits est à l’unisson de bien des commentaires ici ou ailleurs, je ne jugerai pas avant d’avoir les faits. En revanche, je sais qu’au delà de l’honneur d’un homme, l’honneur de mon pays est désormais en cause.
M. le Ministre de la Culture et de la Communication, votre fonction s’accompagne de responsabilités envers le pays tout entier. Expliquez vous une bonne fois pour toutes et prenez vos responsabilités, le cas échéant. Nous avons trop de problèmes pour nous empêtrer plus longtemps dans cette affaire crapoteuse. La crise économique est trop grave, la misère sociale trop forte pour que vous monopolisiez ainsi l’attention du pays et du gouvernement sur une affaire aussi malsaine.
Manuel Atréide