jeudi 21 avril 2011 - par Paul Villach

Pour la direction de Renault, l’information extorquée était du chinois !

La prétendue affaire d’espionnage industriel qui a agité pendant plusieurs mois l’entreprise automobile Renault montre les carences de sa direction en matière d’information : elle paraît avoir ignoré que l’information extorquée pour être plus fiable que l’information donnée, est loin de l’être toujours avec certitude.

 On sait que l’information donnée n’est jamais fiable parce qu’elle n’est livrée volontairement par un émetteur que sous le contrôle de son autocensure qui écarte tout ce qui est susceptible de lui nuire.
 
L’information extorquée, au contraire, obtenue à l’insu et/ou contre le gré de l’émetteur et échappant ainsi à son autocensure, est en principe plus fiable, mais sous réserve de la rigueur heuristique des méthodes mises en œuvre pour y accéder. L’affaire Renault présente trois cas de figure où l’information extorquée obtenue est d’une inégale fiabilité pour cette raison.
 
1- L’enregistrement clandestin de l’entretien entre un cadre accusé et le directeur juridique : une information extorquée fiable
 
Le premier cas de figure est l’enregistrement clandestin de l’interrogatoire d’un des cadres accusés d’espionnage, M. Tenenbaum, qui s’est déroulé le 3 janvier 2011 et que l’hebdomadaire l’Express a publié le 12 avril dernier (1).
Il s’agit bien d’une information extorquée à deux titres. 
 
- En premier lieu, cet entretien a été enregistré à l’insu du cadre accusé.
 
- En second lieu, ce document secret a été transmis à l’hebdomadaire à l’insu et contre le gré des acteurs de la scène par une personne inconnue dont l’intérêt était de le rendre public parce que, on le suppose, elle réprouve ces méthodes.
 
N’ayant pas été toutefois contesté à ce jour, l’enregistrement clandestin de cet interrogatoire secret peut être considéré comme fiable.
 
2- L’accusation d’espionnage : le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée
 
Le deuxième cas de figure est l’information dont disposait le directeur juridique, M. Husson, et qui justifiait qu’il convoquât M. Tenenbaum pour recueillir de sa bouche un aveu.
 
1- L’anonymat de la source, donné à tort comme preuve certaine de fiabilité 
 
M. Husson est, de son côté, fondé à croire que l’accusation d’espionnage pesant sur M. Tenenbaum est une information extorquée qui est donc fiable. Elle a été obtenue à l’insu et contre le gré de M. Tenenbaum : un responsable du service de la sécurité de l’entreprise, M. Gevrey, chargé de recueillir des charges contre lui, a acquis la certitude de l’existence de comptes ouverts dans des paradis fiscaux par les trois cadres incriminés, et sur lesquels des fonds importants étaient versés ; il tient l’information de la bouche d’un agent de renseignement jugé crédible dont, soutient-il, la préservation de l’anonymat conditionne le succès de l’enquête et même l’intégrité physique. (2)
 
2- L’anonymat comme masque d’un escroc possible
 
On voit ici que l’anonymat n’est pas gage certain de fiabilité. Sans doute l’accès à des comptes secrets dans des banques en paradis fiscal ne peut-il être possible que sous le masque de l’anonymat d’informateurs soucieux de se protéger contre des représailles. Mais l’anonymat peut tout aussi bien servir à dissimuler les manigances d’un escroc. C’est ce qui s’est produit : aucune preuve de ces comptes n’a pu être rapportée à ce jour par l’informateur anonyme.
 
3- Le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée
 
On est donc en présence d’un leurre : l’information donnée déguisée en information extorquée.
 
- L’existence de comptes secrets n’était qu’une information donnée donc pas fiable du tout ;
 
- l’imposteur l’a travestie en information extorquée en jouant du crédit accordé un peu trop vite à l’efficacité de l’anonymat. Le directeur juridique ignore donc qu’il porte contre M. Tenenbaum et les deux autres cadres des accusations infondées. Il est, au contraire, certain de « savoir » : par huit fois, il répète à M. Tenenbaum « Nous savons ». Et quand celui-ci nie obstinément ce qu’on lui reproche, le cadre juridique ne le croit pas puisqu’il ne lui livre qu’une information donnée non fiable : « Ton réflexe est de nier, lui rétorque-t-il, il est normal  » ! Cette réaction est légitime : car conformément au principe régissant la relation d’information, l’accusé ne va pas volontairement lui livrer une information susceptible de lui nuire.
 
3- La torture morale, un moyen trop aléatoire, source tantôt d’information donnée, tantôt d’information extorquée 
 
1- Chantage et obstruction par répétitions
 
Le troisième cas de figure est la torture morale à laquelle le directeur juridique soumet M. Tenenbaum pour lui arracher un aveu. Deux procédés sont utilisés.
 
a- L’un est le chantage. M. Tenenbaum est même soumis à deux chantages :
 
- Le premier est un marché où il a le choix entre 1- l’aveu sans suite et 2- la justice avec la prison.
 
* Ou il reconnaît les faits d’espionnage industriel au profit de la Chine qui l’a payé sur un compte ouvert dans un paradis fiscal, et sa démission sera la seule conséquence de sa faute.
 
* Ou il s’obstine à nier, et c’est la menace d’un procès avec garde à vue et davantage pour le restant de ses jours.
 
- Le second chantage oppose M. Tenenbaum à ses deux autres collègues accusés :
 
* qualifiés de « comparses », ceux-ci ont, selon le directeur juridique, déjà avoué leurs forfaits.
 
* Il lui fait donc craindre une confrontation « ennuyeuse » pour lui.
 
b- Le second procédé est l’obstruction par la répétition inlassable de l’exigence formulée. Les termes du premier chantage sont systématiquement repris avec des variantes : « Soit tu me la joues "Commissaire Moulin et le suspect qui nie tout", soit tu atterris dans plus de discernement  ». Le directeur juridique, a-t-on déjà dit, répète de façon obsessionnelle « Nous savons  »à 8 reprises, ajoutant par deux fois « Tu sais que je sais !  » !
 
2- L’information donnée, livrée pour cesser de souffrir
 
Ce traitement stimule donc à la fois les réflexes de peur, de soumission aveugle à l’autorité et d’adhésion au point de vue du groupe. Il faut être costaud pour y résister, même quand on est innocent : comment oser avoir raison tout seul face à une autorité qu’on respecte depuis toujours et à un groupe qui ne peut tout de même pas se tromper ? Les expériences de Milgram sur la soumission à l'autorité et de Solomon Asch sur la pression du groupe montre que les sujets connaissent un trouble psychologique profond pouvant aller jusqu'à la dépersonnalisation.
 
On conçoit que, soumis à ce traitement, certains finissent par craquer et signer n’importe quoi pourvu que se desserre l’étau d’angoisse qui les broie. On découvre comment des innocents peuvent ainsi se retrouver emprisonnés. L’information que l’on croit alors extorquée par ces moyens violents, peut n’être, tout compte fait, qu’une information donnée, conforme à celle attendue par le tortionnaire, et livrée par la victime pour cesser enfin de souffrir.
 
3- La conduite héroïque de M. Tenenbaum
 
La conduite proprement héroïque de M. Tenenbaum mérite d’être saluée : il a tenu bon malgré la torture morale infligée. Quelle force de caractère ne faut-il pas avoir !
 
- D’abord, il a su conserver son calme sous le harcèlement furieux de son tortionnaire : « Je ne vois pas de quoi vous parlez. répond-il tranquillement à son accusateur. (…) Je n'ai strictement rien à me reprocher. (…) Mais j'attends d'être confronté (avec les autres accusés). » (3)
 
- Surtout, pour se préserver, il a réussi à penser l’impensable, voire à proférer « le blasphème anti-autoritarien par excellence » : si l’autorité qu'il respecte, agit ainsi, a-t-il dû se dire, c’est qu’elle est devenue folle ! « Vous êtes malade !  » finit-il par s’écrier quand lui est remise sa lettre de mise à pied conservatoire.
 
Or c’est l’inverse qui se produit le plus souvent, enseigne la fable de la Fontaine, « Les oreilles du lièvre  » : l’autorité a le pouvoir de décider que raison soit folie et folie, raison !
 
La fiabilité de l’information extorquée est donc étroitement dépendante de la rigueur heuristique des moyens employés pour y accéder. L’enregistrement clandestin par écoute secrète est ici apparemment fiable sous réserve qu’il n’ait pas fait l’objet de montage. L’anonymat ne suffit pas, en revanche, à garantir la fiabilité d’une information transmise : il peut servir de masque à un escroc. De même, la torture morale peut n’arracher de l’accusé qui veut cesser de souffrir, que l’information souhaitée par le tortionnaire. Comment s'empêcher de songer, en observant les méthodes en usage chez Renault, à celles qui avaient cours dans les ex-démocraties populaires ? Le livre d’Artur London, « L’aveu » publié en 1968, dont Costa-Gavras a tiré un film en 1970, relate des méthodes comparables. Mais, il est vrai, les policiers tchèques et soviétiques de l’époque savaient, contrairement au directeur juridique de Renault, qu’ils contraignaient leurs victimes à avouer des crimes qu’ils n’avaient pas commis, en leur promettant la vie sauve, puisqu’il fallait trouver des coupables mêmes imaginaires pour expliquer au peuple les carences du régime communiste. La direction de Renault, elle, a seulement montré, que la notion d’information extorquée était pour elle du chinois. Paul Villach
 
 
Ecouter l'enregistrement dans son intégralité sur AgoraVox TV « Renault : l’enregistrement sidérant de la mise à pied d’un cadre accusé d’espionnage »
 
 (1) Eric Laffitte et Jean-Marie Pontaut « Renault : l'enregistrement de la mise à pied de l'un des cadres  », L’Express, 12/04/2011 à 09:19
 
(2) Eric Pelletier, Jean-Marie Pontaut et Eric Laffitte, « Affaire Renault : l'enregistrement secret d'une réunion de crise », L’Express, le 28/03/2011 à 18:49
 
(3) Extrait de l’enregistrement de la mise à pied de M. Tenenbaum (Cf. Note 1)  : « Un, dit-il encore, c'est très mal me connaître et c'est très grave. Deux, je suis prêt à la voie que tu appelles dure. C'est-à-dire que vous pouvez faire tout ce que vous voulez, je suis prêt à la transparence, checkez tout ce que vous voulez... Mais jamais de la vie j'aurais donné quoi que ce soit, à n'importe qui en dehors... C'est vraiment mal connaître ce que je fais dans cette entreprise. C'est pourquoi je me marre. Je tombe de l'armoire. Si la seule façon de rétablir la vérité, c'est la voie dure, je prendrai la voie dure. Mais je ne vois pas du tout ce que je peux faire d'autre. »


3 réactions


  • french_car 21 avril 2011 17:35

    L’image et l’article sont diffamatoires envers Mr Husson et la « direction de Renault » comme l’appelle le titre. La prescription du délit est de 3 mois Mr Revelli...

    « Comment s’empêcher de songer, en observant les méthodes en usage chez Renault, à celles qui avaient cours dans les ex-démocraties populaires ? Le livre d’Artur London, « L’aveu » publié en 1968, dont Costa-Gavras a tiré un film en 1970, relate des méthodes comparables. Mais, il est vrai, les policiers tchèques et soviétiques de l’époque savaient, contrairement au directeur juridique de Renault, qu’ils contraignaient leurs victimes à avouer des crimes qu’ils n’avaient pas commis ».

    Paul Villach comme à l’accoutumée parle de qu’il ne connaît pas, en tant que fonctionnaire à la retraite. Les aléas et les risques de l’Entreprise lui échappent totalement.

    Mr Husson aurait dû aller voir Mathieu Tennenbaum avec des chocolats et une bouteille de Champagne en lui disant « ce n’est pas grave, ne démissionne pas, garde l’argent des Chinois on se fera une bouffe il y a un resto chinois en face ».

    Mais puisque Villach aime l’information non-tronquée il faut également lire le script de l’entretien Pelata-Rochette, le style Pelata n’est pas le syle Husson :

    http://www.lepoint.fr/economie/exclusif-ecoutez-un-cadre-de-chez-renault-convoque-par-pelata-dans-le-cadre-de-la-fausse-affaire-d-espionnage-15-04-2011-1319944_28.php

    Et l’entretien Coudriou-Balthazard, on va dire à mi-chemin entre les 2 précédents :

    http://www.lepoint.fr/economie/exclusif-ecoutez-quand-jean-yves-coudriou-annoncait-sa-mise-a-pied-a-un-cadre-de-chez-renault-15-04-2011-1319975_28.php

    Il n’y a pas eu d’aveu, pas d’information extorquée puisqu’il n’y avait rien à avouer ni à extrorquer.

    Villach ferait mieux de s’intéresser aux relations entre les anciens militaires de la DGSE et de la DST qui ont commis ce forfait, des relations qu’ils ont gardées avec leurs anciennes maisons, des réactions du pouvoir en particulier Besson, Lagarde et Baroin, qui peut-être savaient mais ont laissé faire caressant l’espoir secret de faire tomber un patron qu’ils détestent et déstabiliser une entreprise qu’ils exècrent.

     


    • Emmanuel Aguéra LeManu 22 avril 2011 11:29

      Sans connaître les véritables raisons qui pousse M.Villach à nous exhiber un nombril qu’il juge admirable, il reste, à propos de l’affaire Renault une aberration à éclaircir :

      Jetez un œil à deux voitures : une Renault et disons, une toyota ou une VW du même prix.
      Et dites-moi après où est l’erreur... qui de Renault ou de n’importe quel autre a intérêt à espionner l’autre...

      D’aileurs, pour faire plus simple et plus court, retenez une chose, qui évitera pas mal de mauvaises interprétations dans la perception de la communication publique : C’est une loi immuable qui depuis que je l’ai assimilée (années 70) s’est toujours vérifiée et qui force l’étonnement autour de moi : on me prend pour un devin... lol. La voici, et c’est gratuit :

      « Tout démenti indique a contrario la véracité de l’information initiale »

      Voilà, ça fait gagner du temps et facilite la prospective ; et c’est vrai dans tous les domaines, des excuses de Ribery aux explications de MAM...
      (source : un secrétaire du cabinet du « ministre de la guerre » de l’époque... chargé en autres de rédiger les démentis du cher Messmer).
       


  • Ronald Thatcher rienafoutiste 21 avril 2011 18:09

    Faut-il rappeler que la France a été déclarée championne du monde de l’espionnage industrielle cette année ?... merci wikiLeaks !!!

    La France est le principal actionnaire, avec Nissan, de Renault avec 15%...

    Renault fut certainement obligé par le gouvernement d’allumer le contre-feu à cette fabuleuse nouvelle, et depuis ne peut se sortir du bourbier... c’est marrant non ?


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