Pour une extase « dé-matérielle »
Prendre chaque bibelot, chaque livre, chaque ustensile de cuisine, chaque jouet, chaque vêtement… Prendre chacune de ces « choses » qui peuplent de manière autoritaire notre environnement quotidien – notre habitation –, la garder un moment en main, la soupeser, l’observer longuement et se poser la question de son utilité réelle. Peu de ces artefacts résistent à l’exercice.
On observe une stupéfiante corrélation entre l’immobilité du moment et l’attention portée aux éléments futiles du décor de nos existences. D’aucuns évoqueraient des velléités de « nettoyage de printemps », d’autres une méthode de « home organizing » façon Marie Kondo. Soit. Mais il y a plus. L’obligation de rester chez soi en ces temps de confinement nous offre un étrange miroir, un calque dérangeant de nos obsessions accumulatives. Nos intérieurs nous apparaissent soudain surchargés, replets, gavés. Ils nous renvoient une image très déplaisante de nos aspirations matérielles, ce projet vain : accumuler, posséder, collectionner – toujours plus, encore et encore.
Dans notre bibliothèque, Les Choses de Georges Perec se heurtent à L’Extase matérielle de J.M.G. Le Clézio. Avoir toujours plus ou se délester au maximum ? Le grand écart est intéressant. Il raconte notre histoire à tous, ou presque. Les débuts vierges, les années qui prennent de l’embonpoint, le flux, l’abondance, la place qui manque, le rêve lointain de grands espaces pour réfléchir et s’exalter. Notre besoin rassénérant de faire le vide intérieur vient régulièrement cogner contre le superflu qui meuble nos quatre murs. Il y a là quelque chose de très schizophrénique. Remplir des cartons afin d’alléger nos vies n’est cependant pas évident. Trier. Choisir. Jeter. Par quoi commencer ? Que « sacrifier » ?
La société de consommation à l’arrêt ces dernières semaines – un coup de frein relatif si on considère les achats massifs qui ont continué en ligne –, a eu cet effet bénéfique de nous rappeler que vivre heureux c’est souvent se contenter de l’essentiel, se débarrasser des scories. Lâcher la matière au profit de la mémoire sélective et des souvenirs sensibles. Parce que s’extasier c’est voyager léger – même en songe –, avec très peu d’effets personnels, pour marcher loin, monter haut.
Photo : Alessandra Onisor - Unsplash