Prélèvement de l’impôt sur le revenu : ou l’art de réformer sans rien changer
Comme un serpent de mer, périodiquement, souvent avant les élections, on ressort le dossier de la retenue à la source de l'impôt sur le revenu. Ce mercredi 17 juin , le gouvernement Valls l'annonce en grande pompe, la réforme sera lancée avant la fin du quinquennat. Le prélèvement à la source pour les salariés c'est pour janvier 2018, l'impôt sera directement prélevé sur les salaires 2018. Ainsi, avec un tour de passe-passe sur les années de référence, on en profite pour annoncer que les revenus 2017 ne seront pas imposés. Simple réforme technique ou prélude à l'ouverture du chantier de la grande réforme fiscale souvent annoncée et toujours enterrée ? Bruno Leroux, Président du groupe P.S. à l'Assemblée Nationale affirmait il y a quelques jours de manière énigmatique : "le prélèvement à la source doit être le préalable de la grande réforme fiscale qui doit avoir lieu au début d’un quinquennat, pas à la fin d’un quinquennat »,( les échos).
En l'état actuel des principes de calcul de l'impôt sur les revenus des personnes physiques fondés sur la situation familiale de chacun et du nombre de personnes à charge (foyer fiscal, quotient familial ) on perçoit mal l'intérêt de ce prélèvement à la source qui pour être cohérent exigerait l'individualisation du calcul de l'impôt ; Au vue du projet de réforme, une simple mensualisation du prélèvement aurait fait l'affaire.
L'IRPP : UN IMPOT ANEMIE DEVENU INJUSTE
Après cent d'ans d'existence, l'IRPP a perdu de son efficacité dans son rôle de redistribution. La part de l’impôt sur le revenu dans les recettes publiques totales est passée de 12 % en 1981 à 6 % des prélèvements obligatoires au début des années 2000. Si la part de foyers imposables à l’impôt sur le revenu est passée de moins de 2 % en 1916 à 65 % en 1985, depuis 1986, elle reste stable autour de 50 %. L’imposition réelle des 1 % les plus aisés a crû jusqu’en 1982 (taux moyen de 34,2 %) puis a diminué depuis. Les classes moyennes et modestes, les 90 % du bas de la distribution des revenus, ont vu leur contribution dans l’impôt total payé, passer de moins de 15 % dans les années 1950 à 35% depuis les années 1970.( lire : "1914-2014 Cent ans d'impôt sur le revenu" )
Depuis 1987 on assiste au lent déclin de l’impôt sur le revenu.Le barème d’imposition a suivi une évolution continue marquée par une réduction du nombre de tranches et une baisse des taux marginaux appliqués. Ainsi, l’impôt sur le revenu comportait jusqu'en 1986 14 tranches et le taux marginal maximal était de 65%, depuis 2007, il n'y avait plus que 5 tranches (taux marginal supérieur à 40 %). Ce n'est pas la création récente d’une sixième tranche, en 2013 avec un taux marginal supérieur à 45 % qui permettra d'inverser cette tendance longue de glissement vers un taux unique.
Pour l'année fiscale 2014, le produit de l'IRPP s'élève à 75 milliards d'euros pour 368 milliards de recettes brutes fiscales. Si seulement la moitié des foyers fiscaux sont imposables, le poids de la fiscalité indirecte ( TVA, taxes diverses), la CSG et son taux unique pèsent lourdement sur les familles les plus pauvres. Les niches fiscales ou réduction d'impôt, outre leur coût, plus de 80 milliards d'euros, favorisent essentiellement ceux qui ont les moyens d'investir ou d'être généreux avec une fondation de leur choix. Ainsi certains gros contribuables peuvent par la magie de l'optimisation fiscale devenir non imposables. En outre le système du quotient familial donne un avantage plus important aux familles aux revenus élevés. Ainsi comme le montre Piketty et Landais dans "Pour une révolution fiscale" ( lien ) "le système fiscal français n'est que faiblement progressif jusqu'au niveau des classes moyennes ; il est franchement régressif pour les 5 % les plus riches."
Enfin depuis 1987 on assiste à une diminution globale du budget de l'Etat au profit des administrations locales mais les recettes diminuent de manière plus importante que les dépenses ce qui accroit année après année la dette de l'Etat ( lien ) et contraint les gouvernements successifs à des politiques d'austérité avec une réduction des budgets d'aides sociales ce qui pèse encore sur les finances des plus pauvres.
Le rapport du député UMP Gilles Carrez publié le 5 juillet 2010 montre que si on annulait l'ensemble des baisses d'impôts votées depuis 2000, l'Etat aurait chaque année 100 milliards de plus dans ses caisses.
Peu à peu l'Etat a abandonné une de ses obligations qui est de lever l'impôt à la hauteur des missions que le peuple lui a confié en matière de justice sociale, pour permettre à tous les citoyens de jouir des droits universels et inconditionnels à un accès aux soins, à l'éducation et à la dignité.
La retenue à la source proposée par le gouvernement n'aura aucun sens si elle n'est pas accompagnée d'une véritable révolution fiscale qui replace l'impôt au coeur de notre système social de redistribution.
UNE ALTERNATIVE EXISTE : UN IMPOT SUR LES REVENUS INDIVIDUELS D'ACTIVITE ASSOCIE A UNE ALLOCATION FORFAITAIRE UNIVERSELLE
Si au fil du temps l'impôt sur le revenu est devenu complexe, injuste et de moins en moins efficace pour remplir les caisses de l'Etat, avec le capitalisme global qui gouverne nos économies, on a assisté à une lente mais bien réelle détérioration de la condition de salarié dans les pays occidentaux avec l'augmentation du chômage, de la précarité dans l'emploi et de la marginalisation d'une partie non négligeable de la population. Les gouvernements pour tenter de limiter la casse ont dû mettre en place des politiques d'aides à l'emploi ou de lutte contre la pauvreté en même temps qu'il fallait faire face aux déficits du budget de la sécurité sociale et des régimes de retraites, déficits dus en partie à la diminution des recettes des cotisations sociales. Ainsi ce sont plus de 80 milliards d'euros qui sont consacrés à l'ensemble des aides à l'emploi. Pour l'aide aux familles et pour la lutte contre la pauvreté ce sont à nouveau 80 milliards d'euros. ( Voir l'article "Les aides publiques : comme un cautère sur une jambe de bois…Tout est à repenser !" ) La plupart de ces aides sont complexes à mettre en oeuvre, stigmatisantes pour les ayants droits, conditionnées et en fin de compte impuissantes à endiguer le flot des victimes d'un système qui est devenu incapable de distribuer équitablement la richesse qu'il créé.
Repenser un impôt sur les revenus, c'est redonner du sens à cette contribution à notre trésor public. En ces jours de commémoration, osons redonner vie à ce programme paru le 15 mars 1944, sous le titre « Les jours heureux ». Grâce à son audace, il a permis d'imposer la sécurité sociale et les allocations familiales. Mais la mise en oeuvre de ce programme est resté inachevée. Dans ce programme du CNR figure l'établissement d' "un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail." Il reste aujourd'hui à reprendre ce combat pour un monde plus fraternel en permettant qu' universellement, chacun puisse jouir, en toute circonstance, du droit à un minimum de dignité, par l'allocation inconditionnelle d'un revenu d'existence .
Ainsi une contribution sur l'ensemble des revenus d'activités individuels prélevée à la source pourrait être entièrement consacrée au versement d'une allocation universelle. Ce revenu de base d'un montant de l'ordre d'un demi-smic remplacerait toutes les aides actuelles ( allocations familiales, quotient familial, RSA, minimum vieillesse, bourses d'études, allocations logement ).La satisfaction des besoins élémentaires assurée, chacun pourra se consacrer à une activité, à un travail librement choisi et oser entreprendre. Chacun pourra décider de se libérer d'un travail aliénant sans craindre de ne pas assurer le minimum pour les siens. Le partage des emplois sera à nouveau à l'ordre du jour, la relocalisation de l'économie sera viabilisée. La formation, le changement de métier, les ruptures dans une carrière professionnelle, l'intermittence, pourront être envisagés plus sereinement. Enfin la modulation de ce revenu de base entre l'enfance et la jeunesse permettrait à tous les jeunes adultes de construire leur avenir en totale autonomie, indépendamment des origines sociales de chacun.
L'impôt, couplé à une allocation forfaitaire, serait de fait à taux progressif et tiendrait compte des personnes à charge en allouant à chacune d'elle la même somme, quels que soient les revenus individuels. Prélevé à la source sur l'ensemble des revenus d'activité, sans aucune exemption, par sa simplicité et son universalité, il serait totalement transparent et juste.
Ainsi l'impôt sur le revenu, couplé à une taxe sur le patrimoine, retrouverait sa fonction de redistribution d'une partie de la richesse créée, richesse aujourd'hui accaparée par une petite minorité ce qui,contrairement aux idées reçues et largement diffusées par les libéraux de par le monde, freinent le développement du pays.( Lire l'article du Monde : "les inégalités de revenus nuisent à la croissance" )
“Mettre définitivement l’homme à l’abri du besoin, en finir avec les angoisses du lendemain" était la devise d’Ambroise Croizat, ministre du Travail de 1945 à 1947, bâtisseur de la sécurité sociale. Elle pourrait être écrite en en- tête de nos nouvelles feuilles d'impôt.
Mais pour changer de paradigme avec l'allocation d'un revenu universel et inconditionnel, il faudrait que le gouvernement cesse de réformer sans rien changer pour oser s'attaquer de front aux maux qui minent notre société.