mercredi 6 novembre - par Régis DESMARAIS

Procès de Bruno Lasserre : l’étrange réquisitoire du procureur

Au terme des quatre jours de procès, le procureur a réclamé 18 mois de prison avec sursis, 5 ans d'interdiction d'exercer des fonctions d'encadrement et 2 ans d'inéligibilité pour l’ancien chef du service juridique de l’autorité de la concurrence et l’abandon de l'accusation contre Bruno Lasserre ! Ce retournement inattendu et incompréhensible du ministère public a choqué celles et ceux qui ont vécu cette période dramatique sous la présidence de M. Lasserre. Le délibéré dure jusqu'au 18 décembre prochain.

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En conclusion des quatre jours de procès, le procureur a déclaré que l’ancien président de l’Autorité de la concurrence n’était au courant de rien et que, quand il a su, il a fait tout ce qu’il a pu. Le second mis en examen, M. Zivy, a conclu son intervention en déclarant « Bruno Lasserre m'a pressurisé. Il m'a demandé de pressuriser le service juridique. J'ai pressurisé le service juridique  ». Le fossé entre les propos du procureur et ceux du chef de service de l’Autorité de la concurrence laisse songeur.

Sommes-nous dans un songe ? La réponse semble positive tant les conclusions du procureur au sujet de Bruno Lasserre ressemblent à une jolie fable. Une fable un peu éculée car elle est hélas la reproduction, on dirait vulgairement en partie la resucée, de la défense de M. Lasserre depuis plusieurs années : je ne savais rien et quand j’ai su, j’ai agit. C’est simple, ça claque comme un drapeau fouetté par le vent et ça déchire un peu voire beaucoup ce que la plupart considère comme la vérité, à savoir que la responsabilité de M. Lasserre n’est pas que morale. C’est une jolie fable car, rappelons le aux lecteurs ignorants, Bruno Lasserre est la huitième merveille du monde de la fonction publique : il est celui par qui tout se fait car c’est un hyper professionnel : il connait tous ses dossiers, donc ceux qui les préparent et forcement les conditions dans lesquelles ils sont préparés. M. Lasserre connaît d’autant mieux les conditions dans lesquelles le travail est exercé qu’il est le patron, c’est-à-dire celui qui fixe les objectifs, les délais et coordonne les moyens. Bruno Lasserre est un hyper manager qui récolte les fruits de son travail par de brillantes nomination à des postes prestigieux et par de sympathiques tribunes offertes par certains médias. Si les propos du procureur révèlent la réalité, alors il y a imposture. En effet, si Bruno Lasserre n’a rien su de ce qui se passait aux pieds de son bureau, cela signifie peut être que Bruno Lasserre n’y était pas. Comment un homme si indispensable et si hyper manager pouvait ignorer ce que les multiples témoignages ont rapportés pendant le procès ? La seule réponse possible serait que la réputation de M. Lasserre serait très surestimée et qu’il n’est pas cet homme indispensable dont ses services se dispensaient puisque leur manager ne savait rien des conditions de travail… définies normalement par Bruno Lasserre.

Il y a donc une incohérence majeure entre les propos du procureur, la réputation professionnelle de M. Lasserre, les témoignages produits et les pièces du dossier. Selon le procureur, les actes retenus contre M. Lasserre seraient des maladresses. Selon M. Lasserre, les agents sont dans le « ressenti » sans que des faits réels justifient ce « ressenti ». M. Lasserre invite ainsi les juges à prendre les déclarations des agents avec prudence et, lorsque les faits sont incontestables, à considérer qu’il s'agit de maladresses de sa part.

Le procureur et Bruno Lasserre nous donnent à voir des choses nouvelles dans ce procès : le burn out et le décès d’un agent seraient donc du ressenti ? La pressurisation du service juridique ordonnée par M. Lasserre serait donc une maladresse ? Avec de telles qualifications des faits, il semble possible de justifier l’injustifiable. Le champ du possible semble étendu à l’infini, les parallèles se croisent, la bêtise chevauche l’intelligence et l’ignominie épouse la bienveillance…

Ce procès aura été l’occasion de voir le repentir, aux accents sincères, de Fabien Zivy, l’ancien chef du service juridique de l’autorité de la concurrence. Il a demandé pardon à la mère de l‘agent décédé et aux agents victimes de la pressurisation du service juridique. Bruno Lasserre qui s’est présenté le troisième jour du procès comme un homme rationnel mais avec du cœur, n’a pas demandé pardon. C’est normal, M. Lasserre est rationnel : il ne savait rien de ce qui se passait sous son autorité, il n’a pas à demander pardon même si l’un de ses agents décède en raison de ses conditions de travail et même si des agents souffrent de la pressurisation. On rencontre dans la vie des cœurs secs et froids comme une équation trempée dans l’azote liquide. On rencontre des procès où tout devient irréel, un salmigondis au ressenti étrange et dans lequel la réalité se voile de non dit et d’un brin de déshonneur.

Toutes les parties, à savoir Fabien Zivy, la mère de l’agent décédé et les syndicats, à l’exception donc de Bruno Lasserre, plaident dans le même sens de la responsabilité pénale de l’ancien président de l’autorité de la concurrence en tant que complice, co-auteur, voire instigateur du harcèlement moral subi par l'agent décédé. Toutes les parties seraient en fait dans le ressenti et tremblent peut-être de découvrir le 18 décembre prochain qu’elle se sont monté la tête en croyant être harcelées par celui qui décide de tout après avoir constaté un décès et une moitié des effectif d’un service en arrêt maladie. Après tout, dans le métavers, on ne meurt pas et celui qui décide de tout ne sait rien de ce qu’il décide si tenté même qu'il sache qu'il décide et que son rôle est de décider.

 




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