jeudi 28 janvier 2016 - par Claude Courty

Progrès et pauvreté profonde

Aux époques pré-industrielles, du fait d'un progrès limité, celui-ci profitait à tous sensiblement de la même manière, sinon dans la même mesure. Par ailleurs, s'il existait déjà de "grandes fortunes", elles étaient le plus souvent détenues par ceux qui avaient en même temps le pouvoir politique et/ou religieux, dont elles pouvaient paraître l'accessoire incontesté dans une société à la conscience sociale balbutiante. Les écarts de richesse étaient ressentis comme naturels par des pauvres plus crédules et moins nombreux qu'ils devaient le devenir, et qui se confondaient en une seule pauvreté.

Depuis, le passage de la population humaine de 1 à 7 milliards d'individus a entraîné un développement démesuré de la pyramide sociale. En même temps, la richesse générée par l'activité d'une telle population et une productivité due au progrès et aux nouveaux moyens dont il était porteur a considérablement augmentée. Plus particulièrement au cours des xixème et xxème siècles, le sommet de la pyramide sociale s'est élevé et sa base s'est étendue. Dans un contexte où le matériel l'emportait sur le spirituel, les pauvres dont le nombre a crû plus vite que celui des riches, ont progressivement pris conscience de leur condition et se sont organisés pour contester des écarts de richesse dont la croissance n'a fait qu'épouser celle de la population et de sa richesse globale.

Mais cette amplification des inégalités sociales s'est accompagnée de l'émergence d'une nouvelle pauvreté résultant de l'accès des pays et régions les moins avancées du monde à l'industrialisation et à la modernité. Venu s'ajouter au lumperproletariat de Marx et autres laissés pour compte des avancées sociales, un sous-strate composé de miséreux s'appuyant directement sur l'extrême base de la pyramide sociale s'est formé, dont les occupants ont été qualifiés de pauvres profonds.

Alors que s'amélioraient les conditions de vie du plus grand nombre, se sont installées celles de cette sous-catégorie sociale, composée majoritairement de victimes d'un exode vers des villes où rien n'était disposé à les accueillir ; répétition à l'échelle mondiale de l'exode rural qu'avaient connu les pays occidentaux lors de leur industrialisation, aggravé par le flot croissant des victimes d'innombrables crises, désordres et violences économiques, ethniques, politiques, religieux, climatiques, ...

Ce nouveau mode de vie, qui s'est progressivement ancré partout dans le monde, se caractérise aujourd'hui par une précarité extrême, dont l'aspect le plus visible est l'habitat. Les bidonvilles pourraient compter 900 millions d'habitants en 2020 selon l'ONU, les camps qui se multiplient ne parvenant pas à endiguer le flot de ceux qui les peuplent, pas davantage que des barrières, murs et clôtures toujours plus hauts et plus nombreux. « Loin d’être l’exception que l’on évoque généralement dans un cadre humanitaire ou sécuritaire pour en justifier l’existence, les camps [et les murs] font durablement partie des espaces et des sociétés qui composent le monde aujourd’hui. » ("Un monde de camps" - Clara LECADET et Michel AGIER - éditions La Découverte) ; des vêtements hérités de moins pauvres qu'eux, quand ils ne sont pas faits de haillons ; une nourriture constituée de restes et de déchets, pour ceux qui n'ont pas la chance de bénéficier d'initiatives amplifiant le concept de "soupes populaires" propres aux grandes crises, se multipliant sous les formes et les appellations les plus diverses ; un manque d'hygiène et de soins, avec pour conséquence un état de santé propice au développement de maladies et à la contagion, que combattent de nombreuses organisations tant privées que publiques hissées, par leur nombre et leurs budgets, au rang de véritables puissances économiques et politiques ; un criant défaut d'éducation.

Autant de caractéristiques, d'ailleurs officiellement reconnues par les institutions au plus haut niveau (Banque Mondiale, ONU, UNESCO ... ) pour qualifier ce niveau de pauvreté, qui indiquent à quel point la pauvreté, plutôt que de reculer comme le prétendent certains, se développe au contraire – serait-ce dans sa relativité – du fait de la multiplication de crises, toutes plus ou moins directement imputables à l'augmentation de la population humaine ? Le Figaro.fr du 09 nov 2015 titre : « Climat : 100 millions de pauvres en plus d'ici 2030 si rien n'est fait. À 21 jours de la COP 21, la Banque mondiale alerte dans un rapport sur les risques du changement climatique pour les populations les plus vulnérables. ». Ce sont effectivement les plus vulnérables qui feront, les premiers, les frais du réchauffement climatique, comme ils font ceux d'autres "réchauffements", tous résultant d'une démographie planétaire vécue depuis des décennies et des siècles dans l'aveuglement le plus complet.

Quoi qu'il en soit, la pauvreté ayant jusqu'ici participé au peuplement de la pyramide sociale se définit dorénavant d'une nouvelle manière, résultant de la modernité et du progrès. N'est-ce pas en effet ce dernier et plus précisément l'augmentation de richesse de la société qui l'a accompagné qui, par un accroissement constant de l'écart entre le sommet et la base de la pyramide sociale a entraîné la multiplication des pauvres relatifs et l'apparition puis la multiplication parmi eux de pauvres profonds dont le sort n'aurait pas été envié par les plus pauvres des anciens pauvres ?

Irions-nous vers une partition de la société, non plus en 3 (pauvres, classes moyennes et pauvres) mais en 4 catégories sociales ? Nul doute que nous soyons sur cette voie, puisque pour une population estimée de 250 millions d'êtres humains au début de notre ère, le nombre de ces pauvres profonds se situe 20 siècles plus tard entre 1 et 2 milliard – l'accord étant loin de régner entre les spécialistes, tant sur les chiffres que sur le fait que cette pauvreté profonde régresse ou augmente.

Trop souvent guidés par leur une compassion dévoyée, combien de socio-intellectuels ont-ils conscience de cette réalité et de son évolution ? Combien d'entre eux – et non des moindres – ne tiennent aucun compte de la mesure dans laquelle leur idéal de justice sociale dépend de la démographie ? Pourtant, la seule possibilité réelle et durable qu'ont les hommes, non seulement d'accéder à un équilibre social en rapport avec leur condition, mais d'espérer la survie de leur civilisation et peut-être même de l'espèce, réside dans la réduction de leur population à l'échelle planétaire, compte tenu d'une mondialisation elle aussi rançon du progrès. Au-delà de la notion de partage qui ne peut être qu'un palliatif et qui en dépit – ou peut être en raison – de son caractère accusateur est l'arbre qui cache la forêt, le meilleur compromis possible entre richesse et pauvreté doit être atteint d'urgence, et c'est précisément sur les mécanismes qui règlent l'équilibre du nombre des humains – sans omettre son rapport avec leur environnement – qu'il faut insister.



5 réactions


  • Francis, agnotologue JL 28 janvier 2016 13:05

    Je n’ai pas lu cet article parce que je pense que si Claudec a repris le même titre et la même illustration que dans son article du 1er octobre 2014, c’est probablement la même chose : un article qui plaide pour une réduction de la population mondiale pour cause de pauvreté.


    Le dernier § le prouve.

  • Claude Courty Claudec 28 janvier 2016 16:30

    En lisant en totalité cet article et en relisant celui d’octobre dernier, vous devriez y trouver quelques différences.

    Quant à l’illustration, pourquoi une image devrait-elle donner lieu à un seul commentaire ? D’autant qu’entre temps nous avons eu droit à la COP 21.

  • Le421... Refuznik !! Le421 28 janvier 2016 19:27

    Cette évolution de la société explique en partie le développement de conflits sporadiques à petite échelle appelé terrorisme, étendus sur toute la planète.
    Il serait très difficile de convaincre, même si cela arrive exceptionnellement, une personne avec des conditions sociales élevées à utiliser des méthodes extrèmes d’expression.
    Généralement, le terrorisme trouve sa base dans les milieux des gens qui n’ont plus que leur peau à perdre. Un peu de fanatisme par dessus et le tour est joué !!


  • eau-du-robinet eau-du-robinet 30 janvier 2016 07:31

    Bonjour,
    .
    Les bénéfices du progrès sont détourne au profit d’une minorité de personnes, l’oligarchie financière, laquelle est boulimique d’argent et du pouvoir de l’argent.
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    Si le progrès est plus ou moins « partagé », les bénéfices du progrès sont captées essentiellement par l’oligarchie financière !
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    Le pouvoir d’argent à permis à l’oligarchie financière à contrôler les élections politiques et d’avoir enlevée la souveraineté aux pays de l’UE !
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    Le pouvoir d’argent à permis à l’oligarchie financière d’acheter et de contrôler les grands médias (non information voire désinformation).
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    Le pouvoir de l’argent permet de créer et financer des guerres, pour spolier des ressources de pays, pour vassaliser les dirigeants (pouvoir politique), pour imposer la vision erronée que le seul modèle de survie économique soit celui de la mondialisation et instauration du N.O..M. (Nouvel Ordre Mondial).
    http://www.politique-actu.com/debat/moyen-orient-plan-americano-israelien/514643/
    .
    Le pouvoir oligarchique se sert du pouvoir d’argent pour corrompre le monde et quand un état n’est pas corruptible, l’oligarchie essayé d’organiser un accident pour éliminer « l’obstacle » aux intérêts financier voire géopolitique. Puis s’il n’est pas possible d’élimer « l’obstacle » par un accident organisé ils créant une guerre, parmi toutes les autres ...
    Nous sommes entrée dans une période funeste de l’histoire de l’humanité, celle des assassins financiers !
    https://www.youtube.com/watch?v=3wszOnyMr1M.
    .
    La grande majorité des gens se laisse aveugler par le progrès technique et il ne voyant pas la menacé qui présente l’oligarchie financière pour notre démocratie ,notre souveraineté, notre liberté, voire les nombreuses gens qui meurent dans des guerres initiée par l’oligarchie financière, oligarchie qui instrumentalise le terrorisme notamment pour pour ré-modéliser le monde.
    https://www.youtube.com/watch?v=kq5q17DDzJk
    .
    L’oligarchie financière lobotomise les masses à travers les grands médias !
    .
    L’oligarchie financière menace entre autres notre souveraineté alimentaire
    http://www.agoravox.fr/actualites/environnement/article/nouvelle-legislation-europeenne-142365
    .
    etc....


    • Claude Courty Claudec 30 janvier 2016 13:13
      eau-du-robinet 30 janvier 07:31

      Comme l’eau qui s’écoule d’un robinet grand ouvert ! Si ça sert à rien, ça soulage ...

      Pendant ce temps là - comme l’eau du robinet -, ceux au nom de qui vous dénoncez l’oligarchie financière et ses méfaits continuent de proliférer. 280 000 habitants de plus sur la planète, chaque jour, et 70% naîtront pauvres.

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