jeudi 21 mai 2020 - par alinea

Qu’avons-nous appris ?

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Je vais m’autoriser, pourquoi pas, moi aussi, un petit bilan hâtif et provisoire comme de bien entendu. Cette envie me vient après la lecture insipide qui m’apparut insignifiante d’un bilan hâtif et provisoire fait par, je cite : une figure majeure de la pensée mondiale.

 

Elle découpe son texte en sept leçons, chiffre sacré.

La première s’introduit par le confinement volontaire, sans grandes ni notables contestations, de quatre milliards six cent millions de personnes de par le monde.

Elle n’explique pas ce qu’elle entend par un acte volontaire, mais j’ai vécu en mon pays l’obligation de trouver parmi trois choix celui que je devais cocher pour sortir une heure de chez moi, sous peine de payer un quart de mes revenus. Cette volonté, cet acquiescement sans contestation dû à notre peur ancestrale pour ne pas dire animale, de la mort, vraiment ?

Je voudrais juste faire une petite envolée ici :

Au moyen âge, et pendant toutes les guerres que tous les peuples ont connues depuis le début de la civilisation, on ne s’est jamais confiné ; on devait sortir pour se nourrir, s’enquérir de ce qui se passait, et communiquer avec les siens. La peur de la mort rendait prudent : on ne se jetait pas sous les fusils et si on prenait une grenade ce n’était pas par inattention, mais par malchance courante en ces temps. Elle s’extasie devant l’État puissant qui fait rentrer chez eux les populations tandis que j’y vois, selon l’endroit : obligation/répression, comme en France, et extrême orient.. ou bien responsabilisation/aide, comme en Allemagne par exemple, où le confinement ne sembla pas avoir été le même ni vécu de la même façon.

Il s’est agi, et ce bilan précoce ne saurait affirmer pour quelle cause, même si on peut tourner autour de causes, d’organiser un délire mondial, assez facilement vu l’état de désorganisation par impréparation des pouvoirs aux évènements et ses injonctions paradoxales subséquentes, d’une part, et des moyens de communication dont nous disposons aujourd’hui, d’autre part. Mais la puissance de l’État, certes suffisante pour tracer, surveiller, contraindre, moralement en jouant sur la culpabilisation, et punir, est toute extérieure, tandis que la puissance de la religion, jadis ou ailleurs, est immensément plus forte parce que complètement intégrée..

Le ruissellement, s’il n’existe pas quant aux fortunes, existe bel et bien en ce qui concerne l’éducation : je commande à mon enfant, je l’enjoins ou le contrains à obéir ( récompense, punition) de sorte qu’il aura acquis ce schéma, reproduit en tant qu’adulte vis-à-vis de ses inférieurs dans le commandement et gardé dans l’obéissance aux supérieurs. Chacun à sa place et les oies sont bien gardées.

La volonté n’est pas l’application d’une programmation, elle est censée être libre, mue par tout un tas de causes particulières à chacun.

Les gens veulent obéir, parce qu’ils sont programmés, parce que leur vision des évènements est préétablie, parce que l’esprit critique n’est plus enseigné depuis longtemps,etc.

Après avoir parlé de « volonté » elle insiste sur l’extraordinaire obéissance du peuple, à des injonctions absurdes. On est bien d’accord.

Sa leçon 2 me fait penser que le citoyen veut être libre, mais on ne sait trop ce qui est mis derrière cette notion quand la désobéissance ( à un pouvoir répressif ou même contraignant et injuste) et la responsabilité sont absentes du tableau !

Dans la leçon 3, on se demande bien ce qui peut valoir à cette dame le titre de « figure majeure de la pensée mondiale » quand on lit que le néolibéralisme pille les ressources publiques et même l’État, ce qui est vrai mais n’est pas le fruit d’une pensée, juste un constat, sans mentionner le fait pourtant évident que ces richesses, consommations et pillages, s’ils étaient mieux répartis entre les populations feraient une société plus vivable, pour les hommes, mais en aucun cas ne changerait la donne en ce qui concerne la survie de l’espèce et surtout des autres espèces. Surtout, parce que nous sommes responsables de leur destruction. On peut même supposer que si tout l’argent virtuel était mis en circulation, la consommation – et sa triste pollution inéluctable- serait multipliée par un x à deux chiffres !

Jusqu’ici, à part enfoncer des portes ouvertes, la pensée mondiale me semble bien étique !

Pour la 4, ma foi, quand on lit ça : « Avant tout parce que la mondialisation et la délocalisation de l’économie ont rendu la plupart des pays dépendants de la Chine quant à leurs équipements médicaux. » on se sent soudain plus intelligents, on apprend que la mondialisation et la délocalisation, autonomes devant l’éternel, ont rendu le monde entier dépendant de la Chine. Il me semble qu’une fulgurance mondiale devrait au moins comprendre et avoir comme fond de réflexion, que si l’Occident a trouvé épatant de faire tout fabriquer en Chine, c’est sûrement pas parce qu’il lui faisait confiance et la trouvait méritante mais bien parce qu’il pensait qu’elle ferait une bonne à tout faire épatante et pas cher. Cela a dû concourir à lui faire sous-estimer l’importance de la puissance économique dans la valse des pouvoirs de ce monde et croire à l’infériorité substantielle à l’essence du caractère chinois. L’Occident est assez ignorant pour faire ce genre de contresens, avec l’Iran aussi, ou la Syrie, entre autres. Le complexe de supériorité a comme caractéristique d’ignorer le ridicule.

À partir de la leçon 5

Énumération de constats d’une banalité affligeante et surtout d’un conformisme effrayant mais qui ne peut en aucun cas être pris pour une pensée. Il faut dire qu’aujourd’hui, « penser » veut dire « prise de tête », et ce n’est pas bien vu, alors peut-être qu’effectivement, la figure de la pensée mondiale est cette non-pensée : il a fallu le coronavirus pour que cette dame s’aperçoive que les soignants, les éboueurs, les commerces ( elle ne parle même pas des paysans tant la vie citadine est loin de la terre) sont essentiels ; elle découvre qu’un pilote d’avion est plus valorisé et mieux payé qu’un ouvrier agricole mais ne dit pas que le premier participe de la destruction du monde tandis que le second s’échine à le faire vivre encore !

Elle ne s’aperçoit pas que nous sommes à ce point éterrés que l’intégralité de nos pensées, de nos soucis, de nos occupations, de nos passions sont de vastes fumisteries. Elle ne voit l’inutilité des nuisibles qu’en cas d’épidémie !

J’ai lu ailleurs que les gens sont impatients que la vie reprenne, qu’ils puissent prendre l’avion pour un week-end, aller au cinéma, dépenser leurs sous dans des boutiques, aller au restaurant, faire plus de cent kilomètres, passer les frontières, participer à des rassemblements...autant de créations indispensables au buen vivir ! Autant de distractions qui concernent tout le monde.

Ce que me révèle cette crise, c’est bien un irrationnel perpétuel, une peur latente, provoqués par l’illusion du tout maîtriser alors que tout nous échappe au contraire ; que ce soit un réveil pour certains, c’est évident mais de là à généraliser le cas, c’est choquant. C’est nier, ignorer toutes les claires consciences qui s’expriment, toutes les luttes qui se mènent, c’est, en trois mots, rester dans sa petite classe ! Ce genre de pensées ne révèle qu’une chose : l’égoïsme et l’égocentrisme des classes dominantes qui vont jusqu’à, innocemment, ignorer le reste du monde !

 

l’Article de la dame :

Depuis les ténèbres, qu’avons-nous appris ?, par Eva Illouz

 




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