Quand je repense à mon lycée...
A la lecture de pratiquement chaque article d'un contributeur enseignant, je me rappelle mes lointaines années de lycée et ne manque pas d'être amusé de leurs étonnements et indignations qui sont une illustration de plus de la citation de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui chérissent les causes dont ils déplorent les effets ». C’est sans doute parce que les causes sont à l’œuvre depuis tellement longtemps et qu’elles partent de si bons sentiments que les enseignants ne les voient même plus.
"Je m'souviens on avait des projets pour la terre
pour les hommes comme la nature
faire tomber les barrières, les murs,
les vieux parapets d'Arthur
fallait voir
imagine notre espoir
on laissait nos cœurs
au pouvoir des fleurs
jasmin, lilas,
c’étaient nos divisions nos soldats
pour changer tout ça
changer le monde"
(Le pouvoir des fleurs – Laurent Voulzy, paroles d’Alain Souchon, 1992).
Il y a bien longtemps que j’ai quitté le lycée, en 1981 pour être précis. Et à chaque fois que le souvenir m’en revient, je me rappelle le projet pédagogique, bien résumé par les vers d’Alain Souchon. Certains membres de la communauté éducative trouvaient cependant qu’il n’allait pas assez loin et rêvaient de Michel Fugain :
"Merde que ma ville est belle
avec ces gosses qui jouent
qui rigolent et qui cassent tout
qui n’ont plus peur du loup."
C’est bizarre, le jour où nous avons décroché la porte de notre classe de ses gonds et l’avons replacée dans l’encadrement, la laissant s’abattre avec fracas lorsque le prof est entré, il n’y a que nous qui avons apprécié cela autant que Michel Fugain ne l’aurait fait(1).
Pourtant l’équipe pédagogique avait des prédispositions pour trouver cela rigolo elle aussi. Je dois cependant à l’honnêteté de signaler que nous n’avons pas été punis : le directeur (on dit préfet je crois en français d’outre-Quiévrain) est juste venu pousser une gueulante à se faire péter les boutons de col mais on était habitués. Chien qui aboie ne mord pas et il faisait bien plus peur aux professeurs qu'aux élèves !
Quelques figures emblématiques de l’école :
Le président du pouvoir organisateur (qu’on pourrait traduire comme conseil d’administration, Belgique oblige) était un avocat connu pour son engagement maoïste. Le frère du président en question, tout aussi radicalisé et élève à l’époque s’était un jour fendu d’un pamphlet adressé au professeur de géographie soulignant le caractère scandaleux des réserves qu’il avait émises sur les bienfaits du communisme chinois. Un vent favorable avait porté l’œuvre à ma connaissance, j’en ris encore jaune !
Le directeur était un despote humaniste. Le despote humaniste est la variante de gauche du despote éclairé. On pourrait le résumer de la façon suivante : je suis humaniste, ma grandeur d’âme et mon altruisme ne souffrent aucune contestation donc je sais ce qui est bien et vous faites comme je dis mais surtout pas comme je fais. En vertu de cela, il imposait ses utopies totalitaires pleines d’idées généreuses ainsi que son fils viré de partout ailleurs et aussi caractériel que lui. Et interdiction de s’en prendre au petit humaniste en herbe (1,80m quand même !), punir, vous n’y pensez pas ! Ceux qui ne savaient pas en faire façon par les pratiques bisounoursesques certifiées méthode à Rousseau étaient des incompétents. Après avoir sévi à la tête de notre école, le despote humaniste a fini comme huile à Amnesty International. C’est clair, il avait le profil !
Une des profs de religion(2) était l’épouse d’un marxiste notoire du coin et était bien imbibée elle aussi. Quant à l’autre, c’était une bobo avant la lettre plus cruche que méchante. Il est écrit qu’il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu mais on apprenait plutôt que les quatre évangélistes étaient Saint Matthieu, Saint Luc, Saint Jean et Saint Marx avec une nette préférence pour ce dernier. Le cours était une propagande anti-occidentale éhontée et les professeurs vomissaient la société de consommation dans laquelle ils se vautraient sans vergogne.
Le prof de français était un gamin immature qui rappelait à chaque occasion son entreprise de civilisation de l’Afrique et de pauvres bougres d’un lycée technique du fin fond du Hainaut, ses deux précédentes affectations. Je me demande encore ce qu’ils seraient devenus sans lui, ils lui doivent une fière chandelle ! Il a pécho la prof d’anglais, lui a fait 4 gosses pour la larguer quelques années plus tard au profit de la secrétaire. J’imagine le barouf dans la salle des profs ! Et dire qu’il venait lui aussi nous donner des leçons d’humanisme et de respect de l’autre ! A sa décharge, je précise que la prof d’anglais était décorative mais pas vraiment un cadeau si vous voyez ce que je veux dire mais il aurait quand même pu s’en rendre compte avant le quatrième moutard. Cerise sur le gâteau, quand on n’avait pas envie de travailler le lundi, on le branchait sur le match de foot du week-end précédent et le cours y passait. Pour les autres jours, les coupes d’Europe et leurs matches en semaine étaient un vrai bonheur pour faire dévier le cours de français dans la lucarne ! Inutile de dire que ce n’est pas lui qui m’a appris à écrire !
Le prof de néerlandais était le copain des élèves, tutoiement et cigarette en classe de rigueur (je sais, c’était une autre époque… le shit n’était pas encore aussi répandu qu’aujourd’hui) mais quand un coup bas arrivait, tout le monde savait d’où il venait.
Tout ce qui rappelait de près ou de loin la recherche de l’excellence était banni. Le but était de former des citoyens conscientisés des injustices du monde occidental avec comme corollaire – déjà – l’indispensable repentance plutôt que des citoyens compétents. Il fallait donner aux élèves les outils pour s’insurger plutôt que pour pouvoir construire leur vie. Il ne fallait surtout pas sortir d’un égalitarisme forecené qui débouchait comme partout où on l’applique sur un nivellement par le bas. Surtout ne pas stigmatiser ni évoquer une quelconque émulation. Il ne fallait pas encourager à être le meilleur car cela impliquait d’écraser les autres (3). Il n’est jamais passé par la tête de l’équipe éducative qu’il était bien plus positif de canaliser et d’arbitrer cette émulation en disqualifiant l’utilisation de moyens déloyaux. Symptômatique de cette dérive, le système de cotation : au lieu d’avoir une note, on avait une appréciation qui allait de TB (Très Bien) à TF (Très Faible). Je vous laisse apprécier le jugement de valeur qui sous-tend Bien et Très Bien, alors que des cotes sont seulement une mesure. En matière de stigmatisation, cette nouvelle échelle faisait bien pis que l’ancienne.
Les promoteurs de ces méthodes ont été les parfaits idiots utiles du système qu’ils prétendaient combattre : certains élèves s’en sont sortis malgré tout mais beaucoup ont été incapables de développer leurs compétences sans autre choix que de servir de chair à canon pour le capitalisme sauvage. On ne dit pas à quelqu’un qui excelle dans son domaine qu’il y en a cinquante pour prendre sa place s’il n’est pas content. Par contre quelqu’un à qui on a seulement appris à être interpellé (4) sera facilement remplacé. Former quelqu’un de compétent n’est pas former un bon soldat pour la méchante société capitaliste, c’est lui donner la possibilité de s’en libérer s’il le désire plutôt que d’en rester l’esclave sans autre perspective que d’enfiler un gilet jaune.
La phobie de l’autorité et un abus de la notion de démocratie ont donné un pouvoir démesuré aux élèves et aux parents. La crainte de faire des vagues et de se voir pointer du doigt une fois que la situation a été suffisamment pourrie et que n’importe qui faisait la loi n’importe comment à l’école a fait le reste. Mais ne me faites pas écrire ce que je n’ai pas écrit : l’autorité n’est pas l’arbitraire. L’autorité est indispensable et l’arbitraire n’est jamais souhaitable. L’autorité ne se décrète pas, elle se construit notamment par l’exemple et la cohérence entre ses idées et ses principes et ce qu’on fait. Et ce sont la cohérence et l’exemple qui manquait cruellement et qui manque encore à tous les niveaux de la société.
Heureusement, il y avait les professeurs de sciences, de mathématiques et la plupart de ceux de langues pour nous apprendre la rigueur, la responsabilité et le sens de l’effort. Eux au moins ne faisaient pas de militantisme politique en classe et éveillaient notre sens critique en nous parlant méthode scientifique plutôt qu’en triant ce qui devait en faire l’objet et ce qui ne pouvait y être soumis sous aucun prétexte. Ils étaient exigeants mais justes et à l’écoute, attentifs à amener au niveau requis ceux qui avaient quelques faiblesses mais en voulaient, plutôt que de baisser le niveau pour correspondre à celui de l’élève. On a d’ailleurs été débarassés de la calamité de fils du directeur grâce à l’un d’eux qui l’a busé et n’a jamais voulu en démordre, avec raison (aah, la tête du dirlo ! Ambiance et hurlements dans les couloirs !). Je les remercie encore pour leur travail de qualité, ce sont leurs outils qui m’ont servi dans l’enseignement supérieur et qui me servent encore aujourd’hui.
En lisant les récents articles sur le sujet sur Agoravox, je mesure avec effroi le résultat de plusieurs décennies de politisation et de déresponsabilisation des élèves et des parents. Il serait cependant injuste de mettre toute la charge sur les enseignants et les directions. Les délires pédagogistes d’inspecteurs et de ministres qui n’ont jamais vu un élève de leur vie ou en ont perdu le souvenir depuis longtemps ne sont pas pour rien non plus dans ce naufrage.
Pour le monde de l’éducation, le coupable de ces dérives est tout trouvé : le manque de moyens. Paravent bien commode car lorsqu’on examine les choses d’un peu plus près, c’est bien plus l’entreprise de destruction des valeurs qui forment des citoyens capables et autonomes à laquelle j’ai assisté qui est à incriminer plutôt qu’un manque de moyens. Et jeter quelques cacahuètes en plus aux professeurs actuels, dont beaucoup continuent par ailleurs à soutenir les principes qui ont mené à leur ruine, n’en attirera pas de nouveaux. Malgré les avantages de la fonction, il faut être masochiste ou avoir un p… de feu sacré pour envisager la carrière d’enseignant.
Mais ce n’est pas tout : après un allongement de l’obligation scolaire, on en est arrivé à la volonté d’allongement d’un tronc commun. Cela implique de traîner jusque l’âge de 15 ans ou plus en fonction des redoublements des élèves peu doués dans certaines branches. Vous n’imaginez pas le calvaire que c’est pour les parents impliqués d’un élève dans cette situation si vous ne l’avez pas vécue et la démotivation profonde ainsi que la perte d’estime de soi pour l’élève ; démotivation et perte de performance qui se marquent aussi au niveau de la classe, gangrénée par des élèvers largués, devenus perturbateurs et n’ayant plus rien à perdre. Comme une chaîne, celle-ci aura la résistance de son maillon le plus faible : pendant qu’on essaiera tant bien que mal de remédier aux faiblesses de certains, les autres s’ennuieront. On rétorquera que ces derniers pourraient aider leurs camarades moins doués, mais d’une part ce n’est pas leur boulot et surtout il est dommage de leur faire gaspiller leur potentiel en leur faisant expliquer des notions somme toute basiques à des élèves qui y sont hermétiques quand ce n’est pas franchement hostiles. Vive l’école à plusieurs vitesses pour que chacun puisse atteindre sa vitesse maximum dans les domaines où il excelle. C’est un discours qui fera se dresser les cheveux sur la tête de beaucoup car l’égalitarisme, cancer de notre société où la réussite est au mieux suspecte et au pire jalousée et pillée, impose que tout le monde entre dans le même moule en écrasant ce qui dépasse aussi bien au-dessus qu’en-dessous. En tant que parent, c’est un défi de trouver pour ses enfants une école où la qualité de l’enseignement est privilégiée par rapport aux délires des pédagogues et aux lubies des enseignants. Heureusement, cela existe et explique les disparités énormes relevées par les études PISA : le niveau moyen en Belgique francophone est médiocre mais se compose de beaucoup de très médiocres qui cotoient une poignée d’excellents pour remonter un peu le niveau moyen (5). Des pédagogues vont me dire que je n’ai aucune formation en la matière, ce qui est exact, et par conséquent je ne suis pas qualifié pour leur donner des conseils. Je constate cependant qu’eux-mêmes, bardés de leurs diplômes, n’arrivent à aucun résultat satisfaisant.
Aujourd’hui les enseignants se lamentent et, malheureusement, les bons professeurs (il y en a toujours eu et il y en a encore) paient pour les autres. Et vu les revendications du corps enseignant (plus de moyens mais aucune remise en question des méthodes et la grève comme seul moyen d’action mis en pratique), la situation n’est pas près de s’améliorer. A propos de grève, je constate que les grèvistes n’ont pas l’air de s’émouvoir du fait que ce sont les élèves en difficultés qui en pâtiront le plus. Belle cohérence avec leurs discours humanistes !
(1) Pas certain cependant que Michel Fugain, chantre de l’utopisme hypocrite, aurait apprécié. Je ne résiste pas au plaisir de rappeler ce grand moment où on le voit défendre ses droits inaliénables de propriétaire avec toute la fougue dont les accapareurs de la terre du peuple sont capables. Visez la taille du jardin parc, sûr qu’il ne subira pas les inconvénients de la société qu’il prône pour les autres :
https://www.youtube.com/watch?v=e-2jLdqmfXQ
(2) Particularité belge qui étonnera plus d’un lecteur français : le cours de religion est une obligation, y compris dans le réseau officiel. Les parents ont le choix entre les différents cultes reconnues et le cours de morale laïque.
Cultes reconnus : https://justice.belgium.be/fr/themes_et_dossiers/cultes_et_laicite/cultes_reconnus
(3) C’est encore vrai aujourd’hui. Exemple : https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/moi-je-213627
(4) Le verbe interpeller était à la pointe de la mode en ce temps-là. Chaque situation d’injustice devait nous interpeller. Question à l’examen de religion : le professeur donne un texte traitant des héros de la théologie de la libération et demande : « qu’est-ce qui vous interpelle dans ce texte ? » Réponse d’une connaissance : cela ne m’intère pas tellement, mais qu’est-ce que cela me pèle. Il a eu zéro (pardon, TF pour très faible) mais ce bon mot les valait largement. Comme il avait réussi le reste et que si on le mettait en échec on pouvait y mettre toute la classe, le conseil de classe est resté aussi impuissant qu’il l’est encore de nos jours.
(5) Etude PISA. Voir en particulier chapitre IV, page 145 :http://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&ved=2ahUKEwjUsN7wlYTjAhVCblAKHZqSDLQQFjABegQIARAC&url=http%3A%2F%2Fenseignement.be%2Fdownload.php%3Fdo_id%3D14315&usg=AOvVaw2JBGzYWQ35xOSLBkeKgOZl