lundi 24 juin 2019 - par Michel J. Cuny

Quand le parti communiste faisait de Charles de Gaulle un souverain…

D’où vient qu’en France la consommation ait moins subi l’impact de la crise financière de 2007-2008 que celle des autres pays de la zone euro en général ? Voici donc la question à laquelle Alexandre Mirlicourtois s’efforce de répondre le 7 octobre 2014 :
« Première explication, la place prise dans l’économie française par ceux disposant de revenus sécurisés. »

Est-ce vraiment une partie importante de la population ? En mode capitaliste de production, peut-on s’attendre à ce qu’existe une sécurité qui concernerait même les travailleurs et travailleuses des conditions les plus modestes ? Et, si c’est bien le cas, d’où cela peut-il provenir ? Mieux : pourquoi en France surtout ?

Qu’Alexandre Mirlicourtois ne pousse pas aussi loin sa réflexion ne nous empêche pas de regarder avec la plus grande attention les chiffres qu’il nous donne :
« Je m’explique, ce sont d’abord ceux qui appartiennent à la fonction publique, soit un peu plus de 5,5 millions de personnes. Ce sont ensuite tous ceux qui travaillent dans les grandes entreprises publiques dans lesquelles l’Etat détient une participation majoritaire : EDF, SNCF, Banque de France, La Poste… près de 800 000 Français sont concernés auxquels il faut rajouter ceux travaillant dans des entreprises dans lesquelles l’Etat a seulement des intérêts. »

Tout ceci est considérable. En effet…
« Le chiffre est alors multiplié par plus de deux. Bilan : un emploi sur quatre environ est sécurisé et les revenus afférant avec. Viennent s’ajouter ensuite les 15,5 millions de retraités. Le système de retraite par répartition a cet avantage d’assurer le versement régulier des pensions au-delà des à-coups de la conjoncture. »

Voilà donc l’essentiel de ce qui dessine le « modèle social français »… du seul point de vue des revenus directs ou indirects du travail… et donc sans évoquer, par exemple, le système de santé…
« En bout de course ce sont quasiment 23 millions de personnes qui sont concernées, pour une population totale en âge de percevoir un revenu de plus de 50 millions, soit près d’une sur deux. »

Question lancinante : d’où cela nous vient-il ?

C’est qu’au lendemain de la Libération il y a eu une transposition extrêmement significative de certains éléments du système soviétique en France… le tout étant, par ailleurs, parfaitement greffé sur un impérialisme que le parti communiste n’a jamais véritablement décidé de mettre en cause.

Quittant momentanément Alexandre Mirlicourtois, nous allons considérer de plus près les premiers moments de la convergence officielle qui s’est opérée entre le parti communiste et Charles de Gaulle dès le mois de juillet 1944, et ceci au détriment de la ligne léniniste autrefois définie par les Cahiers du bolchevisme… mais surtout au détriment de ce que Jean Moulin avait fait admettre par l’homme du 18 juin en février 1943 à Londres. Sur ce dernier point, on pourra suivre ce lien.

Dans l’attente de la libération du pays lui-même, un Comité français de Libération nationale avait été formé à Alger. Il était accompagné d’une Assemblée consultative… et rien que consultative. Ayant écarté le général Giraud de l’exécutif provisoire, De Gaulle s’y comportait en maître… feignant d’avoir reçu les pleins pouvoirs de la Résistance intérieure… alors qu’il n’avait fait que marginaliser le Conseil National de la Résistance après que son créateur et premier président (réunion du 27 mai 1943), Jean Moulin, avait été livré aux Allemands dès le 21 juin 1943…

Le décor étant planté, passons au parti communiste lui-même, et à sa position officielle telle qu’elle se trouve désormais inscrite dans l’Histoire à travers deux discours prononcés devant l’Assemblée consultative (Alger), l’un par Étienne Fajon le 21 juillet 1944, l’autre par André Marty quatre jours plus tard.

S’agissant du premier, voici où il en vient très vite :
« Ensuite, parce que c’est à la nation elle-même qu’il appartiendra demain, par la voie de ses représentants élus, de déterminer souverainement son régime économique. » (Discours prononcés à l’Assemblée consultative (Alger), les 21 et 25 juillet 1944, par Étienne Fajon et par André Marty, Éditions de l’Humanité [sans date], page 3)

Immédiatement, celles et ceux qui ont lu Françoise Petitdemange et Michel J. Cuny auront reconnu l’adverbe « souverainement » de Jean Moulin

Qu’en a donc fait le parti communiste qui, pourtant, le connaissait bien, puisque voici que l’un de ses principaux représentants l’utilise officiellement un an après la disparition du créateur du C.N.R. ?

Or, quelques lignes plus loin, nous trouvons ceci :
« Les principales organisations patriotiques en France s’accordent pour imputer à certaines forces économiques, en l’occurrence aux trusts, une écrasante responsabilité dans les malheurs du pays. Le 14 juillet 1943, le général de Gaulle annonçait lui-même que « la République française abolira toutes les coalitions d’intérêts et de privilèges dont on n’a que trop vu comment elles le mettaient en péril, introduisaient dans son sein les jeux de l’étranger, dégradaient la moralité civique et s’opposaient au progrès social  ». » (page 3)

Ne savait-on pas, du côté du Parti, que, par ses liens constants, depuis 1934, avec Gaston Palewski et Paul ReynaudCharles de Gaulle se rattachait au conglomérat Wendel… Ne savait-on pas qu’il avait été mis en cause dès 1935 à la Chambre des députés par Léon Blum pour ses manœuvres tendant à la dictature militaire ? Ne savait-on pas non plus qu’en juin 1940, quand il était arrivé au sous-secrétariat à la Guerre, il avait pour directeur de cabinet Jean Laurent, directeur de la Banque d’Indochine ?…

Mais pourquoi donc en avoir fait, dès 1944, un souverain ?… Car c’est bien ce que ces deux discours vont nous démontrer de la façon la plus claire.

NB. Cet article est le quatre-vingt-neuvième d'une série...
« L’Allemagne victorieuse de la Seconde Guerre mondiale ? »
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