mercredi 26 février 2014 - par Emmanuel Glais

Que les révolutionnaires lisent Alinsky !

Pour moi, défenseur (parfois un brin désemparé) de la démocratie directe, la lecture du Manuel de l'animateur social de Saul Alinsky a été un stimulant inattendu. Publié en 1971 aux Etats-Unis, ce texte peut néanmoins nous éclairer sur les émotions qui traversent la France (voire le monde), divisée selon l'éclairage médiatique consensuel entre factions d'extrême-droite et casseurs antifascistes.

Le livre se trouve à cette adresse : http://www.micro-ondes.be/IMG/pdf/Manuel_Alinsky_pdf.pdf

Je vous propose quelques extraits permettant de revisiter cette cassure éblouissante.

 

Objet du livre : interpeller les pseudo-révolutionnaires

« La force révolutionnaire a de nos jours un double objectif : moral et matériel. Ceux qui en sont les jeunes protagonistes rappellent à certains égards les premiers chrétiens idéalistes, à la différence près qu'ils prêchent en même temps la violence et crient : « A bas le système ! » Ils n'ont pas d'illusion sur le système, mais en revanche ils en ont une quantité sur la manière de changer le monde d'aujourd'hui. C'est précisément ce point qui fait l'objet de mon livre. »

Plus loin, dans le chapitre 7, on pourrait retenir cette autre phrase comme problématique de l'ouvrage : « Comment ceux qui n'ont pas le pouvoir peuvent-ils le prendre aux riches ? »

 

Quelle disposition du révolutionnaire vis-à-vis des non-révolutionnaires ?

« La révolution n'obéit pas à des lois, l'amour ni le bonheur non plus, mais il existe certains principes fondamentaux de l'action politique qui jouent indépendamment du temps et du lieu. Il est primordial de les connaître si toute la différence entre un homme de gauche réaliste et celui qui n'est de gauche qu'en idées, se servant de vieux slogans usés comme « sale flic » ou « sale porc fasciste, raciste » ou encore « putain de ta mère ». Il est classé du premier coup. « Oh ! Il en est, lui aussi ! » dira t-on, et on lui tournera vite le dos. »

« Si un authentique révolutionnaire découvre que ses cheveux longs constituent un handicap, une barrière psychologique pour communiquer avec les gens et les organiser, il les fait couper. »

 

L'impératif de l'action

« Fidèle au pragmatisme de notre démarche révolutionnaire, n'oublions pas que notre système, malgré certaines répressions, nous permet encore de nous exprimer à haute voix et de dénoncer l'administration, d'attaquer la politique du gouvernement et de travailler à construire les fondements d'une opposition politique. Le gouvernement il est vrai, ne cesse de nous harceler, mais il nous reste cette relative liberté de nous engager dans la lutte. Je peux attaquer mon gouvernement et tenter un travail d'organisation pour le changer. »

 

Il suffit de vouloir

« Il ne suffit pas d'élire des candidats, encore faut-il exercer des pressions sur eux. Un révolutionnaire devrait toujours avoir à l'esprit la réponse que fit Franklin D. Roosevelt à une délégation venue lui soumettre des propositions de réformes : « D'accord, vous m'avez convaincu, maintenant continuez votre action parmi les gens et faites pression sur moi. » » 

« Croyant au peuple, le radical doit organiser les gens de façon qu'ils aient un jour le pouvoir et qu'ils sachent surmonter les obstacles imprévisibles qu'ils rencontreront en chemin dans leur quête d'égalité, de justice, de liberté, de paix, de respect de la vie humaine et de ces droits et valeurs affirmés par la religion judéo-chrétienne et la tradition démocratique. La démocratie n'est pas une fin en soi mais le moyen par excellence de réaliser ces valeurs. »

 

Puis s'organiser. Et donner confiance

« Ceux qui ont le pouvoir sont les autorités et profitent des mythes et légendes qui l'environnent toujours. Ceux qui n'ont pas le pouvoir les croient, là où ils sont eux-mêmes hésitants et doutent de leur jugement propre. »

« Ce que les organisateurs, missionnaires, éducateurs ou tous autres étrangers à une communauté, ne comprennent pas, est que, tout simplement, quand les gens se sentent impuissants, savent qu'ils n'ont pas les moyens de faire changer la situation, ils ne s'intéressent pas au problème. »

« Ce n'est que lorsque les gens ont réellement l'occasion d'agir et de changer quelque chose qu'ils commencent à approfondir leurs problèmes. Ils manifestent alors leurs compétences, posent les questions justes, sollicitent des conseils professionnels et cherchent des réponses. »

« La crainte du changement (...) est l'une des craintes les plus profondément ancrées dans l'homme, et une nouvelle idée doit toujours être au moins exprimée dans un langage déjà familier. »

 

Le rôle de la classe moyenne blanche

« L'organisation pour l'action va, dans les dix années qui viennent, se concentrer sur la classe moyenne blanche des Etats-Unis. C'est là que se trouve le pouvoir. » Parce que les ¾ de la population s'y identifient.

Le révolutionnaire ne doit pas mépriser cette partie de la population, d'où il vient le plus souvent. Comme il la connait, cela doit lui faciliter le travail. Mais il doit analyser finement les codes de cette classe moyenne.

Certes cette classe est « matérialiste, décadente, bourgeoise, dégénérée, impérialiste, belliqueuse, brute et corrompue »... mais il faut faire avec.

« Il commencera à comprendre ce que la police représente à leurs yeux, il découvrira leur langage et, ce faisant, abandonnera le vocabulaire rhétorique du genre : « espèce de cochon ». Au lieu de tout rejeter, il cherchera des ponts pour réduire les écarts entre les générations et entre les valeurs. Il sentira opportunément la nature du comportement de la classe moyenne, ses réticences à l'égard de toute grossièreté ou de tout ce qui est agression, insulte et manque de respect. Tout ceci, et plus encore, doit être pleinement saisi et utilisé pour « radicaliser » la classe moyenne. ».

La classe moyenne n'est pas satisfaite de son sort, seulement endormie : « Le monde autour d'eux est entraîné dans une telle frénésie, qu'il les conduit à se réfugier dans un petit univers bien à eux, dans un passé sans existence, dans une sorte de ghetto social ; ou alors il leur faut affronter le présent et se lancer dans l'action. Si quelqu'un veut agir, le dilemme porte sur la manière et le lieu, mais la question du moment ne se pose pas car le temps passe, et, de toute évidence, le moment c'est aujourd'hui. »

 

Comment mobiliser ?

Il faut avoir de l'imagination.

Alinsky a travaillé à Rochester avec un ghetto noir. Ils ont réalisé une action un peu spéciale au très fameux Orchestre Philarmonique de la ville. Après avoir acheté 100 places pour assister à un concert, les activistes ont mangé en grande quantité et exclusivement des haricots quelques heures avant de se rendre au concert. Dès le début de la représentation les flatulences des Noirs leurs servirent de moyen d'expression. Et de pression. La haute bourgeoisie blanche désormais craignit que cela ne se reproduise au moment du festival de musique classique. C'était pour les mangeurs de haricots une façon de se faire entendre par les autorités locales.

A Rochester toujours, Alinsky a mené une campagne contre la firme Kodak qui bénéficiait d'un monopole de fait sur la pellicule-photo. Plutôt que d'organiser un boycott (qui n'aurait pas marché car les nouveaux parents voudront toujours photographier leurs bébés) il a mobilisé à travers le pays des organisations diverses détenteurs d'actions Kodak (comme des universités et Eglises, les deux étant des sortes d'entreprises aux Etats-Unis) pour leur demander de leur donner leurs droits de vote au conseil d'administration par procuration. Le but n'était pas de s'emparer de la majorité des actions, qui sont aux mains de quelques uns. Mais simplement d'exercer une pression symbolique et populaire sur la grande firme de Rochester.



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