mardi 20 novembre 2012 - par Pierre JC Allard

Québec : corruption, repentance et complaisance

j'ai beaucoup parlé de moralité depuis quelques semaines. Une riposte systémique contre l'immoralité, entre autres, passant par une Église qui devenue vieille se ferait ermite. Mais n'oublions pas que ce changement systémique est un moyen seulement et doit aller de paire avec une transformation de la notion d'éthique au coeur de l'individu. L'alpha et l'omega de la moralité sont bien sûr en nous....

La première étape vers une re-moralisation de la société occidentale, qui se noie dans une universelle corruption, passe par une repentancen qui n'a pas de plus dangereuse embûche à éviter qu'une complaisance qui se déguiserait en indulgence, une chausse-trappe couverte des feuilles mortes du pardon des offenses. Or il se passe queque chose au Québec...

Au Québec, où une enquête a été lancée pour débusquer la corruption dans l'industrie de la construction et celle qui la soutient dans l'appareil de l'État, la complaisance montre la tête, grandit, grandit... Il n'est pas sans intérêt de voir comment, insidieusement, cette petite bête fait son nid... Que se passe-t-il ?

Le but traditionnel d’une commission d’enquête, comme celle que préside Madame Charbonneau au Québec, est de trouver des coupables et de les exposer au pilori. Il s’agit de permettre à la population de se défoule de ses pulsions vengeresses sur ces boucs émissaires, quand elle voit à quel point elle a été flouée. Crachats, flagellation et couronne d’épines, mais généralement il n’y a pas de Jesus dans ce prétoire et on peut donc ensuite être indulgent avec les Barabbas, sans avoir a crucifier d’innocents. Une commission a rempli son rôle, quand le système est déclaré « nettoyé » et donc propre…

Cette fois, cependant, avec la Commission Charbonneau, on sent au Québec un bizarre malaise. Est-ce la faute de l’Internet ? De l’omniprésente télévision en direct ? On dirait que le peuple, au lieu d’invectiver seulement ceux qu’on mène au gibet, comme on l’y encourage, se pose des questions sur les alguazils, les tabellions et autres marauds serviteurs du système. Tout se passe comme si la foule COMPRENAIT…

Comprenait quoi ? D’abord, que ce qu’on veut montrer comme les excès, les bavures, les malfonctions du « système » en sont simplement les conséquences bien prévisibles.

Exemple. Si un système, dans sa logique capitaliste, impose « le plus bas soumissionnaire » tant et si bien qu’il conduit tous les fournisseurs de services à la faillite, à quoi peut-on s’attendre ? Il est RAISONNABLE que ces fournisseurs s’unissent pour fixer les prix, comme il était raisonnable, un siecle plus tôt, que les travailleurs forcés de travailler sous le minimum vital se constiutent en syndicats pour obtenir un prix acceptable… Illégal ? Comme l’étaient les premières Unions…

Autre exemple : l’intervention de la mafia. Une mafia est le plus souvent, au départ, une justice parallèle et consensuelle qui s’établit avec un soutien populaire non négligeable, là où il n’y a pas de justice satisfaisante.

Bien sûr, ce sont là deux exemples de déséquiibre. On peut s’attendre à ce qu’on abuse tôt ou tard d’une entente pour fixer les prix et qu’on finisse par payer bien trop cher. S’attendre aussi à ce qu’une justice mafieuse aboutisse, avec le temps, a une occasion d’extorsion …

Il faut donc se prémunir contre ces dérapage et d’autres…. Mais il ne faut jamais oublier que la SOURCE du probleme a été dans l’injustice et l’ineptie du Systeme et que, là aussi, il y a des choses à corriger. C’est ca, le système pris en faute, que la population perçoit confusément quand elle offre une ovation à Zambito, le pécheur repenti, devenu délateur et premier témoin-clef.

La population qui suit la Commission Charbonneau à la TV peut aussi comprendre bien davantage… En regardant le fonctionnement du secteur de la construction, qui est gros et tangible et donc bien visible, il est bien possible que la population ait entrevu comment TOUT fonctionne dans notre société. Compris comment les choses se font. Comment les décisions se prennent, s’appliquent, puis s’expliquent.

A partir d’une facette de la société dans son quotiden, le peuple aurait-il extrapolé le fonctionnement de l’ensemble ? Le peuple, en regardant les magouilles qu’on lui montre, aurait-il vu, en arrière plan, se profiler cette minorité de profiteurs - que par comvention on appelle l’« élite » – qui peut d’abord contrôler l’argent, puis par l’argent les médias, puis par les médias ET l’argent le processus démocratique et, enfin, par cette « démocratie » un gouvernement qu’on dira « légitime » ? S’il l’a vu, peut-on s’étonner que le peuple soit devenu cynique ?

S’étonner qu’il ne s‘identifie plus à un gouvernement légitimé uniquement par un consensus sur ce qu‘on en dit, et qui fait des lois et des réglements iniques que gère une armée de fonctionnaires protégée par les forces de l’Ordre ? Doit-on être surpris qu’il désavoue en bloc une gouvernenance qui - TOUT A FAIT OUVERTEMENT – veille à ce que chacun tire de la société, non pas le bénéfice qui correspond, à ce qu’il y apporte et donc mérite…. mais au pouvoir dont il dispose ?

Quidam Lambda, le Québécois moyen, a été invité par cette Commission Charbonneau à un monde de cynisme qui l’a d’abord stupéfié, mais il pourrait résoudre ses dissonances cognitives d’une façon qui ne nous plaira pas. Le citoyen, qui a applaudi Zambito, le corrupteur vedette, en est venu à s’esclaffer au témoignage de Luc Leclerc, "le corrompu moyen" au lieu de s’en indigner. N’est-ce pas le signe qu’il est tout près d’accepter comme "normales" des règles de vie fondées sur l’arnaque, l‘injustice et le corruption ?

Luc Leclerc laisse entendre que la corruption c’est la faute des suppressions de postes, lesquelles ont rendu la tentation trop forte pour lui et les entrepreneurs ; n’avez vous pas l’impression qu’il est convaincu de parler à un auditoire complaisant ? Et quand il dit qu’il ne ressent pas le besoin de se montrer repentant devant la Commission, puisqu’il est convaincu qu’il ne sera jamais pardonné, n’avez-vous pas l’impression d’un clin d’oeil à la cantonade, lui Leclerc, le corrompu moyen, se sentant le porte-parole du citoyen moyen complaisant ? 

Voyez sa photo. Est-ce que vous n’entendez pas, comme moi :

"Je ne pleurnicherai pas ici, car je sais (et vous savez aussi), que tous et chacun d’entre vous, à ma place et pouvant jouir des mêmes avantages, en aurait profité tout autant que moi et sans l’ombre d’un scrupule. Mon patron l’a fait, mes employés l’ont fait et je ne connais pas de cas où un contrat ait été accordé sans que celui que le donne ait voulu en rétirer, en argent ou en « bonnes notes », tout le profit qu’il pouvait. Si quelqu’un a volé un oeuf plutôt qu’un boeuf, c’est qu’il était au poulailler et non à l’étable. Je peux exprimer mes regrets à la population » – (sous entendu, que vous n’ayez pas tous eu ma chance !) – mais je ne pense pas que la population me pardonnera » (- sous entendu, que j’aie eu cette sacrée veine dont les autres ont été privés.) "

N’est-ce pas là ce que pense, au fond, Luc Lambert de ce que pense Quidam Lambda ? Et sommes-nous si sûrs qu’il n’ait pas raison ? Il y a plus grave encore que la prise de conscience par la population de la turpitude de sa gouvernance ; il y a celle, pour chacun de la sienne propre, si seul entre quatre murs il doit s’avouer à lui-même qu’il n’aurait peut-etre pas résisté à la tentation.

On doit tous y réfléchir. Car tout en posant des gestes pour changer la société, il faut aussi poser, si nécessaire, ceux pour se changer soi même. Et ce n’est pas gagné..

Pierre JC Allard



2 réactions


  • Francis, agnotologue JL 20 novembre 2012 11:02

    Bonjour PJCA,

    ce texte est un peu morose, je trouve.

    Vous dites : "il y a celle (prise de conscience), pour chacun de la sienne propre, si seul entre quatre murs il doit s’avouer à lui-même qu’il n’aurait peut-etre pas résisté à la tentation."

    Dans cette société où tout s’achète, les plus riches prennent le meilleur. Cela serait juste si les fortunes étaient acquises honnêtement. Cela n’est pas, et il y a pour ’quidam Lambda’ deux façons de réagir : se résigner ou s’enrichir un max.

    Je l’ai toujours dit : les inégalités sont le carburant du capitalisme comme l’oxygène est celui du moteur à explosion, avec une grosse différence : le capitalisme produit de l’inégalité.

    L’État redistributeur est aux inégalités ce qu’est la forêt est au CO2 : La machinerie indispensable à la pérennisation de l’équilibre soutenable. Les capitalistes sont en passe de détruire toutes les forêts de la planète : ils appellent ça ’la bonne gouvernance’.


  • Pierre JC Allard Pierre JC Allard 20 novembre 2012 15:50

    @ JL


    Morosité est un euphémisme. J’ai jeté la serviette et je ne reste sur le bord du ring que par nostalgie. Peut-etre, aussi, une certaine curiosité encore, de voir ce qu’ils - les humains - se feront les uns les autres, mais cette curiosité n’est plus qu’intermittente et tend vers une sorte d’entomologie. Je serais bien étonné qu’ils me surprennent. 

    L’inégalité ? C’est ce que tout le monde veut. Sans différence de niveaux, pas de courant. Tout cela, d’ailleurs, n’a pas d’autre importance que celle que nous choisissons de lui accorder, n’est-ce pas ? On semble se hâter comme Achille de mourir pour quelque chose, mais on se fiche de Menélas et de sa femme ; c’est surtout pour se créer l’illusion ne pas mourir pour rien. 

     Bonne journée

    PJCA


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