Qui montera sur le trône de Pierre ? Les cinq cardinaux en lice pour succéder au pape François
Dans l’ombre de la chapelle Sixtine, où la fumée blanche annoncera bientôt un nouveau pape, cinq cardinaux émergent comme favoris pour succéder à François, mort le 21 avril 2025. Entre luttes doctrinales, ambitions géopolitiques et héritage d’un pontificat audacieux, le conclave s’annonce comme un théâtre d’enjeux cruciaux. Qui sont ces hommes appelés à guider 1,3 milliard de catholiques ?
Le conclave : une mécanique historique au cœur du Vatican
Le conclave, du latin cum clave ("avec clé"), est un rituel millénaire, codifié par Grégoire X en 1274 après un interrègne chaotique de près de trois ans. Depuis, les cardinaux électeurs, enfermés dans la chapelle Sixtine, délibèrent dans le secret absolu pour désigner le successeur de Pierre. Ce huis clos, où toute communication avec l’extérieur est proscrite sous peine d’excommunication, garantit une élection à l’abri des pressions séculières, bien que les intrigues internes ne manquent jamais. L’histoire regorge d’anecdotes : en 1378, la foule romaine força l’élection d’Urbain VI, dernier non-cardinal devenu pape, sous la menace d’un lynchage.
Aujourd’hui, le processus reste fidèle à ces origines médiévales, mais il s’est affiné. Selon la constitution apostolique Universi Dominici Gregis (1996) de Jean-Paul II, modifiée par Benoît XVI et François, seuls les cardinaux de moins de 80 ans peuvent voter, avec un maximum de 120 électeurs, bien que ce seuil soit parfois dépassé, comme en 2025 avec 135 votants. Les cardinaux prêtent serment de secret, et les bulletins, brûlés après chaque scrutin, produisent la célèbre fumée : noire pour un vote non concluant, blanche pour l’élection. Le conclave de 2013, qui porta François au pontificat, dura deux jours et cinq tours, un délai relativement court comparé aux neuf ans du conclave de Viterbe (1268-1271).
Les préparatifs modernes incluent les congrégations générales, réunions préalables où les cardinaux discutent des défis de l’Église : sécularisation, abus sexuels, dialogue interreligieux, ou encore crise climatique. Ces échanges, souvent tendus, dessinent les factions et les alliances. En 2025, la question centrale sera de savoir si le prochain pape poursuivra l’élan réformateur de François ou optera pour un retour à une ligne plus traditionnelle. Le conclave, prévu entre le 6 et le 11 mai, après les neuf jours de deuil (novemdiales), s’annonce comme un moment décisif pour l’avenir de l’Église.
Une Église à la croisée des chemins
Le pontificat de François, marqué par une ouverture aux périphéries géographiques et sociales, a divisé l’Église. Ses réformes, comme Amoris Laetitia (2016), qui assouplit l’accès des divorcés remariés aux sacrements, ou Fiducia Supplicans (2023), autorisant la bénédiction des couples homosexuels, ont suscité l’enthousiasme des progressistes et la fureur des conservateurs. Le prochain pape héritera d’une institution fracturée, confrontée à la sécularisation galopante en Occident, à la montée du catholicisme en Afrique et en Asie, et à des scandales persistants, notamment sur la gestion des abus sexuels. Le choix du successeur de François définira si l’Église reste une force pastorale audacieuse ou se replie sur une identité plus doctrinale.
Géopolitiquement, le conclave est un théâtre d’équilibres subtils. François a diversifié le collège cardinalice, nommant 99 des 135 électeurs actuels, avec une surreprésentation des pays du Sud (Afrique, Asie, Amérique latine). Cette recomposition pourrait marginaliser l’Europe, qui ne représente plus que 40 % des votants contre 60 % en 1978. Un pape africain ou asiatique, une première historique, serait un signal fort d’universalité, mais les cardinaux européens, encore majoritaires, pourraient privilégier un candidat du Vieux Continent pour contrer cette bascule. Les tensions entre l’aile progressiste, favorable à une Église inclusive, et les traditionalistes, attachés à la rigueur doctrinale, seront au cœur des débats.
Humainement, le conclave est aussi un drame intime. Les cardinaux, souvent isolés dans leurs diocèses, se connaissent peu, et les congrégations générales sont leur seule occasion de tisser des liens avant le vote. Les personnalités, les charismes et les réseaux d’influence jouent un rôle clé. Un cardinal trop marqué idéologiquement risque de polariser, tandis qu’un profil de compromis, capable de fédérer, pourrait l’emporter. Comme le dit le proverbe vaticanais : "Qui entre pape au conclave en sort cardinal", rappelant l’imprévisibilité de l’élection.
Les preferiti : portraits des cinq "papabili"
1. Pietro Parolin : le diplomate de l’ombre
À 70 ans, le cardinal italien Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican depuis 2013, est le favori des bookmakers et des observateurs. Surnommé le "Premier ministre" du Saint-Siège, ce Vénitien à la voix douce et au tempérament discret a été le bras droit de François, gérant les relations diplomatiques avec des puissances comme la Chine ou les États-Unis. Polyglotte, rompu aux arcanes de la Curie, il incarne la continuité d’un pontificat réformateur tout en rassurant les conservateurs par son profil modéré.
Pourtant, Parolin n’est pas sans reproches. Certains lui reprochent un manque de charisme ou une trop grande prudence, notamment sur la question des abus sexuels, où il a évité les prises de position tranchées. Sa gestion de l’accord sino-vatican de 2018, critiqué pour ses concessions à Pékin, reste controversée. Mais dans un conclave où l’Italie, avec 22 électeurs, pèse lourd, Parolin pourrait fédérer les suffrages comme un choix sûr, presque inévitable. Sa ressemblance avec Jean XXIII, le "bon pape" réformateur, lui vaut même le surnom de "Jean XXIV" dans certains cercles.
Humainement, Parolin est un homme de l’ombre, peu enclin aux éclats. On raconte qu’il préfère les longues marches dans les jardins du Vatican aux mondanités romaines. Sa capacité à écouter, à négocier et à désamorcer les conflits pourrait faire de lui le pasteur d’une Église en quête de stabilité. Mais saura-t-il inspirer au-delà des couloirs du Vatican ?
2. Jean-Marc Aveline : l’outsider français
À 66 ans, le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, est une étoile montante. Né en Algérie dans une famille de pieds-noirs, créé cardinal en 2022, il incarne un catholicisme méditerranéen, ouvert au dialogue interreligieux et à l’accueil des migrants. Sa visite réussie de François à Marseille en 2023 a renforcé sa stature, et son élection en avril 2025 comme président de la Conférence des évêques de France lui confère une visibilité accrue.
Théologien et linguiste, Aveline a fondé l’Institut de Science et Théologie des Religions, prônant un "christianisme d’accueil". Sa simplicité, son humour et sa proximité avec les fidèles séduisent, mais son manque de maîtrise de l’italien et son expérience limitée à la Curie pourraient freiner ses chances. Un pape français, le premier depuis Grégoire XI au XIVe siècle, serait une surprise historique, mais Aveline, souvent comparé à François par sa chaleur humaine, pourrait rallier les progressistes.
Dans les ruelles de Marseille, on le voit encore discuter avec des imams ou des jeunes des quartiers nord. Cette capacité à tisser des ponts humains fait d’Aveline un candidat crédible, mais son profil audacieux risque de heurter les cardinaux conservateurs, qui pourraient voir en lui un "François bis". La France, avec seulement cinq électeurs, pèse peu, mais Aveline pourrait émerger comme un compromis inattendu.
3. Luis Antonio Tagle : l’espoir asiatique
Surnommé "Chito" et souvent qualifié de "François asiatique", le cardinal philippin Luis Antonio Tagle, 67 ans, est une figure charismatique. Créé cardinal par Benoît XVI en 2012, il dirige le Dicastère pour l’Évangélisation depuis 2019, un poste clé. Défenseur des pauvres et des migrants, il partage la fibre sociale de François et jouit d’une popularité mondiale, notamment en Asie, où le catholicisme croît rapidement.
Tagle, avec son sourire juvénile et son énergie communicative, est un habitué des médias. Sa participation au conclave de 2013, où il fut déjà considéré comme papabile, lui confère une expérience précieuse. Cependant, son jeune âge et son style parfois jugé trop extraverti pourraient rebuter les cardinaux européens, qui dominent encore le vote. Un pape asiatique serait une révolution, mais Tagle devra convaincre au-delà de son charisme.
On raconte qu’à Manille, il prenait le bus pour visiter ses paroisses, un geste qui rappelle la simplicité de François. Son engagement pour la justice sociale et le dialogue interreligieux en fait un favori des progressistes, mais sa relative inexpérience curiale et les rivalités régionales (l’Asie compte seulement 17 électeurs) pourraient limiter ses chances.
4. Matteo Zuppi : l’humaniste italien
À 69 ans, le cardinal Matteo Zuppi, archevêque de Bologne et président de la Conférence épiscopale italienne, est un autre Italien en lice. Proche de la Communauté de Sant’Egidio, connue pour ses missions de paix, Zuppi incarne une pastorale active, tournée vers les pauvres et les périphéries. Sa médiation dans des conflits comme celui du Mozambique et son engagement pour les migrants lui valent un respect universel.
Zuppi est perçu comme un continuateur de François, mais son style conciliant pourrait séduire les modérés. Contrairement à Parolin, il n’est pas un homme de la Curie, ce qui peut être un atout pour les cardinaux lassés des intrigues romaines. Toutefois, son lien étroit avec Sant’Egidio, parfois vue comme une organisation trop influente, pourrait susciter des réticences. Un pape italien, après quatre pontificats non italiens, serait un retour aux sources pour beaucoup.
À Bologne, Zuppi est connu pour ses homélies vibrantes et ses visites aux sans-abri. Cette proximité pastorale, alliée à son sens du compromis, fait de lui un papabile crédible. Mais dans un conclave où les factions s’affrontent, saura-t-il dépasser les clivages pour rassembler les deux tiers des voix nécessaires ?
5. Péter Erdő : la voix conservatrice
À 72 ans, le cardinal hongrois Péter Erdő, archevêque de Budapest, est le champion des traditionalistes. Intellectuel brillant, ancien président du Conseil des conférences épiscopales d’Europe, il est respecté pour sa rigueur doctrinale et son opposition à certaines réformes de François, notamment sur les divorcés remariés. Sa vision d’une Église ancrée dans la tradition séduit les cardinaux d’Europe centrale et les conservateurs africains.
Erdő, fervent marial, est un homme discret, peu porté sur les mondanités. Son expérience internationale, notamment ses liens avec les évêques africains, pourrait lui attirer des suffrages inattendus. Cependant, son profil conservateur risque de polariser un collège majoritairement façonné par François. Un pape est-européen, après Jean-Paul II, serait un symbole fort, mais Erdő devra adoucir son image pour convaincre les modérés.
À Budapest, on le voit souvent prier dans des églises quasi désertes, un signe de son attachement à une foi dépouillée. Son sérieux et sa profondeur théologique impressionnent, mais dans une Église en quête de renouveau, son rigorisme pourrait être un frein. Erdő incarne l’ordre, mais l’Église veut-elle un gardien ou un visionnaire ?
Les dynamiques du conclave : un jeu d’alliances et de surprises
Le conclave de 2025 s’ouvrira dans un climat d’incertitude. Les 135 cardinaux électeurs, venant de 79 pays, reflètent la diversité voulue par François, mais aussi ses tensions. Les Européens, avec 54 votants, restent le bloc le plus puissant, suivis par l’Amérique latine (24), l’Afrique (18), l’Asie (17) et l’Amérique du Nord (14). Les alliances régionales joueront un rôle clé : les Italiens, divisés entre Parolin et Zuppi, pourraient se rallier à un compatriote pour récupérer le pontificat, tandis que les Africains, portés par des figures comme Fridolin Ambongo, pousseront pour plus de visibilité.
Les congrégations générales, qui débuteront après les funérailles de François, seront cruciales pour sonder les intentions. Les cardinaux y débattent des priorités : évangélisation, gouvernance, ou encore dialogue avec l’islam et les autres Églises chrétiennes. Ces discussions, souvent marquées par des discours enflammés, permettent aux papabili de se distinguer. Mais le vote lui-même, dans le silence de la Sixtine, est un moment de vérité. Les cardinaux, seuls avec leur conscience, peuvent déjouer les pronostics, comme en 1978 avec l’élection surprise de Jean-Paul II.
L’histoire montre que les conclaves réservent des surprises. En 1958, Angelo Roncalli, un quasi-inconnu, devint Jean XXIII, lançant le Concile Vatican II. En 2025, un outsider comme Aveline ou un cardinal moins médiatisé pourrait émerger si les favoris s’annulent mutuellement. Le Saint-Esprit, disent les croyants, guide les votes, mais les ambitions humaines et les jeux de pouvoir ne sont jamais loin.
Quel pape pour quel avenir ?
Le prochain pape héritera d’une Église à un tournant. La sécularisation en Europe, où les églises se vident, contraste avec la vitalité du catholicisme en Afrique et en Asie. Les scandales d’abus sexuels, malgré les efforts de François, continuent d’entacher la crédibilité de l’institution. Le dialogue interreligieux, priorité d’Aveline et de Tagle, sera crucial dans un monde marqué par les tensions religieuses. Enfin, la question écologique, portée par Laudato Si’ (2015), impose au futur pontife de s’engager sur la crise climatique.
Le choix entre continuité et rupture définira le conclave. Un profil comme Parolin ou Zuppi, proche de François, pourrait consolider les réformes, mais un Erdő ou un cardinal africain conservateur, comme Robert Sarah, pourrait recentrer l’Église sur ses racines doctrinales. Un pape jeune, comme Aveline ou Tagle, offrirait une vision à long terme, tandis qu’un vétéran comme Parolin garantirait une transition apaisée. Quel que soit l’élu, il devra naviguer entre les attentes des fidèles et les pressions d’un monde en mutation.
Dans les ruelles de Rome, les conversations vont bon train. Les Romains, habitués aux intrigues vaticanes, scrutent les signaux : un regard échangé entre cardinaux, une phrase glissée dans une homélie. Bientôt, la fumée blanche s’élèvera, et le cardinal protodiacre, Dominique Mamberti, proclamera "Habemus Papam". Le monde retiendra son souffle, car ce choix ne concerne pas seulement les catholiques : il façonnera le rôle de l’Église dans un siècle incertain.