mercredi 21 décembre 2016 - par MUSAVULI

RD Congo - Régner sans élection : Les caprices d’un président

Comme on devait s’y attendre, le Congo s’est réveillé ce mardi 20 décembre 2016 avec à sa tête le président Joseph Kabila dont le second et dernier mandat expirait la veille, mais qui s’accroche au pouvoir de façon hallucinante : sans élections ! C’est l’image d’un locataire qui s’enferme dans sa chambre alors que le bail de l’appartement a déjà pris fin et que le propriétaire des locaux est en train de mener les travaux pour le prochain locataire. 

« Les élections coûtent trop cher », a un jour dit Joseph Kabila au détour d’une confidence, critiquant ce mode de la démocratie occidentale. Nous y sommes.

Régner sans élections

Selon la Constitution, une élection présidentielle devait se tenir en septembre 2016. Elle n’a pas été organisée. Elle a été reportée à 2018, selon les vagues promesses que le régime a données à une frange minoritaire de l’opposition à l’issue d’un « dialogue » en octobre 2016. En réalité, cette élection promise à 2018 est impossible à organiser si l’on s’en remet à l’arithmétique élémentaire. En effet, selon le Premier ministre Matata Ponyo, l’Etat congolais, sur l’exercice 2017, fonctionnera avec un budget ridicule de 4,5 milliards de dollars pour un Etat de plus de 70 millions d’habitants. Parallèlement, la Commission nationale électorale, CENI, réclame un budget astronomique de 1,8 milliard de dollars pour financer le processus électoral, c’est-à-dire presque la moitié du budget de l’Etat. Il ne faut pas être savant pour comprendre qu’un Etat qui présente deux situations financières comme celles-ci est simplement en train d’envoyer à l’opinion internationale le message selon lequel il n’organisera pas d’élection, et qu’il faut que tout le monde accepte le maintien au pouvoir du président Kabila. Sans élection. 

Parlant justement des moyens, il faut rappeler que si le pays en est arrivé là, c’est parce que le processus électoral a été sciemment saboté. La dotation financière votée chaque année par le parlement pour financer l’organisation des élections était par la suite détournée au profit, entre autres, des proches du président Kabila, selon les révélations d’un ancien cadre de la banque qui héberge le compte de la centrale électorale. Derrière cette paralysie financière du processus électoral, il n’y a pas que la logique d’un régime corrompu et kleptocrate. Il y a un calcul politique simple : s’il n’y a pas élection, le président reste au pouvoir. Puisqu’on ne change pas une méthode qui fonctionne, il ne faut pas s’entendre à ce que Kabila mette fin au pillage des comptes de la CENI et à la déstabilisation interne de cette institution. Car tant qu’il sera impossible d’organiser les élections, le président restera en place. C’est à se demander pourquoi les autres dictateurs africains n’y ont pas pensé, tellement ils sont obligés de se coltiner des élections frauduleuses pour rester au pouvoir…

Pour revenir au cas du président Kabila, il faut rappeler que le blocage est aussi le fait de « la Communauté internationale ». Elle a tout fait pour imposer un jeune homme tout droit sorti des maquis et qui n’avait aucune culture d’Etat. Pour les Occidentaux, il s’agissait de sauver les contrats miniers, mais 15 ans plus tard, l’enfant chérie de Bruxelles et Washington est devenu le « Frankenstein » auquel les Occidentaux ne s’attendaient pas[1]. L’occasion de rappeler l’histoire de Kabila. 

A qui la faute ?

Si Joseph Kabila se retrouve ce 20 décembre 2016 à régner sur le Congo, en violation de la Constitution, c’est aussi parce que depuis les 15 dernières années, il a vu les lois s’adapter à sa personne au lieu qu’elles lui soient appliquées. Lorsqu’il accède au pouvoir en janvier 2001, après l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila, Joseph Kabila ne passe pas par la case élection. Les amis de Mzee[2] installent ce jeune homme de 29 ans à la tête du pays sans se référer à aucun texte juridique. L’âge minimum pour accéder à la présidence était, selon les textes institutionnels d’alors, fixé à 35 ans. On aurait pu trouver un successeur plus « convenable » à Mzee. Une semaine seulement après cette prise du pouvoir effarante, Joseph Kabila s’envole auprès de ses parrains. Il rencontre Jacques Chirac et surtout George Bush, un privilège qui étonna le président du Congo voisin[3]. En 2006, Kabila participe à une élection présidentielle sur la base d’une Constitution où l’âge minimum du président avait été spécialement ramené à 30 ans. En 2011, il fait modifier la Constitution pour se faire élire à la majorité simple, puisque le scrutin avait été passé de deux à un seul tour.

Sur le plan international, Kabila bénéficia d’un soutien massif des Etats-Unis, et surtout de l’Union européenne, en échange de garanties pour les intérêts occidentaux au Congo, comme cela a été révélé par le journaliste d’investigation Charles Onana[4]. Il s’agissait alors d’installer un Etat faible et docile à Kinshasa pour ne pas gêner la prospérité économique du Rwanda de Kagame qui se reconstruisait sur le pillage des richesses minières de l’Est du Congo au profit des multinationales occidentales. L’élection de 2006 coûta un demi-milliard de dollars, un budget astronomique financé pour l’essentiel par l’Europe. Cette élection fut organisée pour légitimer la présidence de Kabila acquise de façon cavalière en 2001. Le Commissaire européenne Louis Michel fut le chef d’orchestre d’un lobbying international consistant à imposer aux Congolais la présidence de Kabila. Les contestations post-électorales furent réprimées dans le sang, Kinshasa ayant obtenu le déploiement de 11.400 soldats européens, des troupes de l’Union européenne déployées au Congo dans le cadre de l’Eufor. Officiellement pour sécuriser le processus électoral… En réalité, une mission destinée à conforter la présidence de Kabila face à son adversaire Jean-Pierre Bemba[5]. La répression fit plus de mille morts. En 2011, face à l’opposant Etienne Tshisekedi, Kabila parvint à se maintenir au pouvoir grâce à une élection dont les fraudes furent si massives que même ses parrains européens et américains commencèrent à prendre des distances et à hausser le ton.

Il est toutefois difficile de savoir jusqu’à quel niveau les Occidentaux envisagent d’agir contre Kabila, l’homme qu’ils ont tout ce temps littéralement « imposé » à la tête du Congo contre la volonté des Congolais. Les discours officiels donnent à penser que les puissances occidentales ont tourné sa page et qu’elles soutiennent les forces politiques du remplacement. Mais l’on est en droit d’avoir quelques doutes lorsqu’on découvre qu’en dépit des appels au respect de la Constitution, Joseph Kabila a choisi les dernières heures du 19 décembre 2016, fin de son dernier mandat, pour donner vie à son nouveau gouvernement[6]. L’homme ne peut se conduire de façon aussi désinvolte que s’il a l’assurance d’un nombre assez significatif de ses partenaires. Tant que ces « partenaires de l’ombre » seront à l’œuvre, Kabila peut tout à fait rêver d’une présidence à vie.

Boniface Musavuli

 

 

[1] Dans Congo – Une Histoire (p) David Van Rey Bruck explique dès … que Joseph Kabila avait déjà échappé au contrôle de ses parrains occidentaux au profit des partenaires chinois

[2] Autre appellation de Laurent-Désiré Kabila. En swahili, Mzee signifie « le Vieux », entendu comme une marque de déférence pour un ancien ou un sage de la communauté ou toute autre personne incarnant une autorité morale.

[3] Pierre Péan, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Éd. Fayard, 2010, p. 261 svt.

[4] Dans son ouvrage intitulé Europe, Crimes et Censure au Congo - Les documents qui accusent, Paris, Éd. Duboiris, 2012, le journaliste d’investigation Charles Onana décrit les mécanismes par lesquelles l’Union européenne, ses Etats membres et les Etats-Unis ont orchestré l’imposition de Joseph Kabila à la tête du Congo en dépit de l’hostilité des Congolais à son égard. Un survol de l’ouvrage peut être lu sur ce lien : www.mokengeli.com/rdc-revue-de-presse/2012/10/11/les-documents-secrets-de-lue-revelent-comment-joseph-kabila-a-ete-impose-en-2006-aux-congolais.html.

[5] Jean-Pierre Bemba sera par la suite capturé en Belgique et envoyé en prison à la CPI.



3 réactions


  • Alpo47 Alpo47 21 décembre 2016 17:45

    Il a du travail Joseph, dans la Palestine occupée, Mahmoud Abbas est encore au pouvoir 5 ans après le terme de son mandat.
    Simple, il sait que s’il fait des élections, il sera battu, alors, il ne fait rien. Et les observateurs étrangers ne disent et même ne font aucun commentaire.

    Horreur ! Pourvu que « Flamby » ne fasse pas de même.


  • Sergio Sergio57 21 décembre 2016 22:50

    Scénario 1 : 

    Kabila organise des primaires avec lui tout seul comme candidat. Il demande une participation de quelques francs congolais par électeur, ensuite avec le fruit de sa combine, il organise sa réélection, et comme disaient les belges « C’est pas ça qui va nous ramener le Congo » mais c’est ça la démocratie. 
    Scénario 2 : 
    Kabila perd les élections. Afin de le remettre au pouvoir, les français et les belges, à défaut de recruter les bons et loyaux services de feu Bob Denard et consort, exportent pour faire le travail, la main d’oeuvre hautement spécialisée de nos expatriés revenus du djihad, évitant pour le coup l’ubérisation de leurs méfaits à venir sur le territoire français.
    Scénario 3 : 
    Je prends mon vélo équipé de ma selle SMP à décharge périnéale, j’invite VELOSOLEX équipé de son portique à bretelles, et je lui propose de faire un tour du monde loin de tout ça

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