lundi 2 juillet 2007 - par wieeinstlilimarleen

Rébellion, violences réciproques, ordre de la loi et légitime défense

L’article 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dispose que « nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance ».

 

Cette perception de la nécessaire obéissance à la loi se retrouve dans notre Code pénal prévoyant et réprimant le fait « d’opposer une résistance violente à des dépositaires de l’autorité ou chargés d’une mission de service public, agissant dans l’exercice de leur fonction pour l’exécution des lois » (art. 433-6 et suivants du CP) tout comme le fait de « par des cris ou des discours publics, des écrits affichés ou distribués ou tout autre moyen de transmission de l’écrit, de la parole ou de l’image, directement provoqué à la rébellion » (art. 433-10 et 433-22 du CP).

Admettons que l’évocation régulière ces temps-ci du concept de « désobéissance civique », que j’ai abordé en détail là , ne peut que difficilement justifier l’opposition violente à l’application des lois. Laissons de côté cet aspect-là des choses pour le moment. Remarquons, par ailleurs, que l’infraction de rébellion suppose l’existence préalable d’infraction, d’un cadre juridique permettant la coercition de la part de dépositaires de l’autorité publique.

Rentrons dans le vif du sujet. Pour une juridiction répressive, la rébellion, comme l’outrage (qui vont généralement de pair ; celui qui se rebelle reste rarement muet, et la violence physique s’accompagne souvent de violence verbale) est souvent délicate à juger car contestée et alléguée par deux parties qui ont chacune un intérêt immédiat.

En effet, s’il y a eu rébellion, c’est donc qu’il y a probablement eu des violences volontaires commises au moins par le rebelle et, souvent, également par les dépositaires de l’autorité publique l’ayant appréhendé. Les violences commises par ces dépositaires de l’autorité publique ne sont pas pénalement répréhensibles, étant réalisées pour « accomplir un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires » (art. 122-4 du CP) et/ou étant défense, nécessaire, proportionnée et concomitante à une atteinte injustifiée constitutive d’un délit (art. 122-5 et 122-6 du CP). Donc, si l’individu appréhendé, le rebelle, a quelques blessures, il importe de la part des dépositaires de l’autorité publique de mentionner la rébellion dans leurs procès-verbaux, afin de parer à un éventuel dépôt de plainte contre eux pour violences volontaires, en mentionnant et justifiant dès le début de la procédure les violences qu’ils ont été contraints de commettre.

Les violences commises par le rebelle, elles, peuvent apparaître comme étant légitime défense et le fait de rébellion ne plus être constitué, si démonstration est faite que le rebelle n’avait pas connaissance de la qualité de dépositaire de l’autorité publique de celui à qui il s’est violemment opposé - une ligne de défense délicate à tenir face à des dépositaires de l’autorité publique revêtus de leur uniforme et insignes réglementaires. Mais, plus généralement, accuser les dépositaires de l’autorité publique de la commission de violences volontaires permet de les décrédibiliser, ce qui est particulièrement important si ce sont ces derniers qui ont produit les pièces à charge. Le dépôt de plainte du rebelle peut donc être un artifice, prenant néanmoins le risque d’une poursuite pour dénonciation calomnieuse (art. 226-10, 226-11 et 226-31 du CP) ou au moins de provoquer l’ire de la juridiction remarquant le subterfuge, sans autre suite pénale envisageable qu’un classement sans suite.

La rébellion est donc délicate à prendre en considération, constituée à la fois par le fait de ne pas obéir à la loi mais, de plus, de le faire avec violence.

Relatant le procès du 27 juin de « deux jeunes gars [...] inculpés [NDM : prévenus] d’outrage à agent pour l’un et de violences [volontaires] à agents pour l’autre » dans le cadre de manifestations contre les expérimentations sur les organismes génétiquement modifiés, un article nous apprend que « maître Girault [...] a rappelé avec ironie que le jeune homme se retrouvait menacé de 70 heures de TIG simplement pour avoir prononcé un mot (celui de "connard", donc) [alors qu’] au départ, il devait être inculpé également de port d’arme (des ciseaux qui se trouvaient sur le campement...) et de rébellion (aucune ITT - incapacité totale de travail - pour les flics, tandis que l’inculpé est sorti de garde à vue avec le bras en écharpe) ». En quoi l’incapacité totale de travail aurait-elle été nécessaire, puisque le fait poursuivi eut été la rébellion, et non de violences volontaires aggravées ? Faudrait-il comprendre qu’il ne peut y avoir rébellion que si les dépositaires de l’autorité publique ne parviennent pas à appréhender le rebelle sans être blessés ?

Autre exemple provenant d’une décision du 29 juin 2007 du très réputé (je ne dirai pas en quoi) tribunal de Bobigny reconnaissant un acte de rébellion comme étant légitime défense. Raffiné, le jugement condamne la soustraction à l’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière, mais accorde l’irresponsabilité pénale au titre de la légitime défense pour les violences volontaires sur dépositaire de l’autorité commises par Salif Kamaté, étranger illégalement présent sur le sol français, condamné préalablement pour trafic et consommation de stupéfiants. Toxicomane, sous méthadone, le Malien se serait « senti très mal ». Les policiers auraient ensuite usé de coercition pour l’amener à bord de l’avion devant le conduire hors du territoire de la République, coercition à laquelle il résiste en « mord[ant] le bras qui [dit-il] l’étrangle », entraînant 7 jours d’ITT (ajoutons qu’une morsure par un toxicomane incite à la méfiance, vis-à-vis de risques infectieux probables). Pour rendre un tel jugement, la juridiction a nécessairement considéré la coercition comme étant un « atteinte injustifiée ».

Une telle jurisprudence (qui, rappelons-le, n’est en France qu’une source de droit indirecte : notre droit n’est pas coutumier, une jurisprudence ne saurait prendre le pas sur la lettre et l’esprit des lois, si contradiction est relevée) risque de susciter une multiplication des cas de rébellions. D’autant plus que certains, notamment Richard Noyon de RESF, se déclarant « ravi » de cette « décision exceptionnelle », pourraient bien tirer des conclusions que n’avait pas envisagées la juridiction de Bobigny.

Car le paradoxe conséquent est que, si au moment où des dépositaires de l’autorité publique font usage légitime de la force, celui qui en fait l’objet résiste par la violence, se croyant en droit de le faire, il impose à ces dépositaires une escalade dans la violence afin de le maîtriser, eux-mêmes devant faire acte de légitime défense.



2 réactions


  • rafi2600 rafi2600 2 juillet 2007 15:53

    article intéressant et assez documenté. Attention néanmoins à ne pas caricaturer une décision de justice. On ne peut pas présenter une situation en 2 lignes et dire immédiatement ce que le travail de la justice a rendu comme sentence. En effet cela donne la désagréable impression que les décisions de justices sont prises à la va-vite, n’importe comment, sans aucun souci d’équité. On peut supposer que la situation est un peu plus « complète » que l’exposé que vous faites ici :

    « menacé de 70 heures de TIG simplement pour avoir prononcé un mot (celui de »connard« , donc) [alors qu’] au départ, il devait être inculpé également de port d’arme (des ciseaux qui se trouvaient sur le campement...) et de rébellion (aucune ITT - incapacité totale de travail - pour les flics, tandis que l’inculpé est sorti de garde à vue avec le bras en écharpe) »

    En fait, je ne dit pas que la justice ne fait pas d’erreur, ni même ne porte une apréciation sur ces sentences . Je met simplement en garde contre un jugement trop hatif du travail de la justice qui est souvent long et méticuleux. Le juge qui a pris ces décisions avait plus d’éléments dans son dossier que « une paire de ciseau et pas d’ITT pour les policiers » : -) à présenter une affaire judiciaire trop rapidement on peut être amené a se faire une opinion (trop ?) vite sur le travail des juges et la légitimité de la sentence choisie.

    Ne vous est-il jamais arrivé qu’apres une « crasse » de la part d’un ami, vous le jugiez trop vite ? Cependant apres avoir mené « votre petite enquête », vous avez éventuellement pu mieux établir la vérité et changer d’avis..


  • lyago2003 lyago2003 2 juillet 2007 21:06

    J’avais oublié que dans le système administratif judiciaire, la durée de vie des dossiers « homicide involontaire » n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan, empilés sur les bureaux des procureurs. Image même de la durée de vie de nos enfants, pas celle de leurs bourreaux.. Qu’on le jette doucement à la poubelle ! J’avais essayé d’analyser la notion même de mission de service public, mais cela ne pourra plus s’appeler la justice, elle s’éloigne au sens que nous avons donné à ce mot ! Les magistrats consacrent plus de temps à l’examen des questions de forme qu’au traitement de fond. Il en résulte un risque d’erreur de jugement , et d’innéfficacité ! Donc classement sans suite.Se débarrasser d’une affaire encombrante et sans intérêt... Décidément difficile d’inverser la tendance... Il y a trop d’espace profondément libre pour cultiver les mauvaise graines ! Concrètement, la voie est libre pour tous les criminels en puissance ! Dès lors que le statut de victime qui est souvent nié par les acteurs judiciaires qui cherchent la conciliation « dans les pires des cas une peine symbolique » envers des individus irresponsables et leurs victimes, qui sont surtout mal protégées et pas défendues, les droits humains des victimes sont spoliés, par un de ces drames atroces qui déclenchent au sein de la famille un cataclysme provoquant le chaos, la justice ne peut s’exonérer de la responsabilité morale qui en découle .

    Certes , nous sommes prisonniers de nos chagrins, de la douleur atroce de nos deuils, mais le simple fait qu’on puisse aller de l’avant dérange et souvent nous sommes confrontés à une telle marginalisation qu’on nous rend la vie impossible. Nous ne pouvons compter que sur nous mêmes . Naviguer sans boussole ! S’appuyant sur le passé moins long à raconter , pour tâcher d’avancer. Mais on ne prépare pas demain la tête plongée dans un album photo et des souvenirs étouffant à huis clos ! On rampe ! Ces traumatismes entraînent des conséquences physiques, psychiques, sociales et économiques désastreuses, et même certains renoncent à leur droits d’exister ! Et le pire dans tout ça, la justice avec des kilos de maladresses, quelques brins de cynismes non seulement elle ne nous aide pas à résoudre nos si nombreux problèmes, au contraire, avec un art redoutable, elle essaye par sa puissance destructive de nous étouffer.

    Ces technocrates, prêts à tous les coups au nom de la justice érigée en foi aveugle, dos à l’objectif, intimements convaincus que leurs décisions sont les mieux adaptes à ces drames , elles sont dangereuses, voire mortelles et coûtent très chères en terme de facteurs humains aux citoyens abusés, qui ne furent jamais à ce point méprisés.... Nous voyons que la justice est en train de disparaître sous nos yeux sans que nous en soyons tout à fait conscients en laissant derrière elle un vide ! Le plus grave est que personne ne s’en étonne plus ! Les évidences sont tellement évidentes qu’on ne les voit plus, comme d’habitude et par la force de l’habitude !

    L’État est l’unique garant fiable et régulateur de la justice qui est un service public et il ne veut pas prendre ses responsabilités ! en se servant du faux prétexte de ....« la justice est indépendante ». C’est l’essence même de la Démocratie que la justice soit indépendante. Mais sont-ils assez matures pour prendre le destin des citoyens en main ? Et quel est le rôle des parlementaires qui exercent le pouvoir législatif ?


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