Réflexions sur le système de santé algérien (2)
Suite de "Réflexions sur le système de santé algérien".
Répartition de la population par tranches d’âge ( )
Source : CNES. |
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Une remarque s’impose : - Les personnes âgées entre 15 et 59 ans représentent plus de 64 ce qui fait que dans les prochaines années, l’Algérie aura à faire face à deux défis majeurs : l’emploi et les problèmes de santé de personnes âgées.
Evolution de l’espérance de vie à la naissance
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Hommes |
Femmes |
Ensemble |
1970 |
52,6 |
52,8 |
52,6 |
1980 |
55,9 |
58,8 |
57,4 |
1991 |
66,9 |
67,8 |
67,7 |
2000 |
71,5 |
73,4 |
72,5 |
2008 |
74,9 |
76,6 |
75,7 |
Ce tableau montre une amélioration de l’espérance de vie à la naissance. Celle-ci est passée de 52,6 ans en 1970 à 75,7 actuellement. Dans les pays à haut niveau de vie, celle-ci est légèrement supérieure aussi bien pour les hommes que pour les femmes.
En fait, pour évaluer correctement un système de santé, les paramètres que l’on vient d’étudier ne suffisent pas. D’autres paramètres sont aussi à prendre en considération.
- L’indice de développement humain : « l’indice de développement humain est devenu le principal référent au niveau international pour mesurer les efforts déployés par chaque pays pour améliorer le niveau de vie, la santé et l’éducation de ces populations. » (2)
« Il s'agit d'un indice composé qui mesure la qualité de vie moyenne de la population d'un pays. Théoriquement, l'indice va de 0 à 1. Il tient compte de trois dimensions du développement humain. D'abord, la possibilité d'avoir une vie longue et en santé en se fondant sur l'espérance de vie à la naissance. Ensuite, le niveau de scolarisation, évalué à partir du taux d'analphabétisme et de la fréquentation des différents niveaux du système scolaire. Enfin, le standard de vie, calculé à partir du Produit intérieur brut par capita en tenant compte de la Parité du pouvoir d'achat (PPA) ». C’est ce que montre le tableau suivant.
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2006 |
2007 |
2008 |
Indice de l’espérance de vie à la naissance
|
0,845 |
0,845 |
0,845 |
Indice du niveau d’instruction |
0,715 |
0,730 |
0,746 |
Indice du PIB |
0,719 |
0,728 |
0,746 |
Indice du développement humain |
0,760
|
0,768 |
0,779 |
A NOTER que l’INI et le PIB ont augmenté ces dernières années.
- L’indice sexo-spécifique de développement humain (ISDH) : égalité en espérance de vie, en instruction et en répartition du revenu qui est loin d’être le cas actuellement en Algérie.
- Indice de participation de la femme à l’économie.
Morbidité et mortalité.
Les campagnes de vaccination mises en œuvre dès le lendemain de l’indépendance ainsi que l’accès à l’eau potable sur pratiquement tout le territoire national ont fait que les maladies contagieuses (poliomyélite, diphtérie, rougeole) et les maladies à transmission hydrique (choléra, fièvre typhoïde) ont pratiquement disparues ou en tous les cas ne sévissent plus à l’état endémique comme auparavant. Des cas sporadiques sont signalés de temps à autre particulièrement dans les zones où la couverture sanitaire fait encore défaut, mais la situation est vite maîtrisée.
Par ailleurs, il convient de signaler qu’en matière de tuberculose pulmonaire et extra pulmonaire, l’équipe du CHU de Bénimessous, sous la conduite des Pr Chaulet (décédé récemment et auquel on rend, ici, un vibrant hommage) et du Pr Larbaoui, avait, dès les années 80, été la pionnière dans la lutte contre cette maladie en instituant la quadrithérapie (lors de la phase d’attaque) qui a permis de réduire de façon importante la durée du traitement : de deux ans à six mois. Malheureusement, ces dernières années, tous les rapports émanant des centres antituberculeux de l’intérieur du pays font état d’un retour inquiétant de cette affection pneumo-phtysiologique. Et le pire, c’est que, comme pour tous les produits médicamenteux, on est souvent en manque d’antituberculeux qui fait que le traitement risque de devenir inefficace et peut même entrainer des résistances du Bacille de Koch.
Notons aussi que la pathologie thyroïdienne avec ses goitres endémiques et « historiques » en même temps qui sévissait de façon endémique dans les régions montagneuses de la Kabylie connaît son déclin actuellement, et cela, par une mesure diététique simple : l’adjonction de l’iode au sel de table.
Les Hauts-plateaux, qui sont des régions agropastorales par excellence, étaient jadis connus par l’infestation du Kyste hydatique du foie et du poumon. Mais, depuis que l’abattage est réglementé, que des spots de sensibilisation sont diffusés à la télévision nationale à chaque veille d’Aïd El adha (fête du sacrifice), que les chiens errants sont systématiquement abattus, les cas de KHF ou de KHP sont devenus relativement rares... et les chirurgiens rongent leurs freins !
De tout ce que l’on vient de voir, il est permis de conclure que l’Algérie se trouve actuellement en phase de transition aussi bien démographique, particulièrement avec la hausse du nombre de personnes âgées (plus de 60ans) qu’épidémiologique avec la disparition de certaines maladies transmissibles et, en revanche, l’apparition de maladies liées à la vie moderne et son corollaire le stress telles que l’HTA et le diabète, par exemple, comme le montre le tableau ci-dessous.
Morbidité chez l’individu de 35 à 70 ans (en %)
Insuffisance rénale |
0,25 |
Cancers |
0,34
|
Broncho-pneumopathies obstructives et asthme. |
4,33 |
Pathologie cardio-vasculaire |
3,69 |
Diabète |
8,78
|
HTA
|
16,23 |
|
|
Pour ce qui est de la mortalité, notons que son taux n’a pratiquement pas varié de façon notable et ce depuis les années 70. Il est toujours autour de 4,5‰ comme on l’a déjà vu sur un tableau précédent. Par ailleurs, il est important de signaler que les décès les plus nombreux surviennent aux âges extrêmes de la vie : 23,7% pour la tranche d’âge de 0 à 4 ans et 38,7% pour les plus de 70 ans.
Ce qui a changé par contre ce sont les causes des décès.
Ainsi parmi les causes de ces décès, les maladies cardio-vasculaires se taillent la part du lion avec un taux de 26,1% suivies ensuite des affections périnatales (13,5%) en ce qui concerne les enfants, les cancers (9,5%) et les traumatismes (8,6%).
Par traumatisme, on entend les lésions corporelles résultant :
- d’un accident de la route, et là vous n’êtes pas sans savoir que l’Algérie en détient, malheureusement, le record mondial de par l’état catastrophique de ses routes et de par le manque de vigilance et de conscience de ses usagers de la route.
- D’un accident de la voie publique et là ce sont surtout les enfants qui en font les frais car, il faut bien le dire, nos enfants n’ont pas de structures sportives ou culturelles pouvant les accueillir en dehors des horaires de l’école, par exemple. Ajoutez à cela la mentalité de la plupart des parents qui font leur l’adage algérien qui dit « tayech ourabi yâich ».
Pour l’anecdote, une femme reçue en consultation de gynécologie, a eu comme réponse, à la question posée par le gynécologue qui s’enquérait sur le nombre de ses grossesses, ceci : J’ai eu dix enfants, mais j’en ai perdu la moitié, l’un écrasé à l’âge de deux ans par un camion, l’autre tombé dans un puits à l’âge de cinq ans,…etc. Au total, cinq de sa progéniture sont passés de vie à trépas dans des conditions dramatiques et de façon bête qui n’a rien à voir avec une quelconque fatalité. Sous d’autres cieux, de tels parents auraient été passibles de prison et l’assistance sociale leur aurait enlevé la garde des autres enfants pour négligence caractérisée.
- d’un accident de travail sachant que sur nos chantiers des travaux publics, par exemple, les ouvriers ne tiennent compte d’aucune mesure de sécurité et de protection qui fait que les chutes d’échafaudages sont souvent mortelles.
- Autres : Sous cette rubrique, on peut mettre tous les autres traumatismes quel que soit l’organe atteint. En fait, dans ces cas-là, souvent, il s’agit de poly traumatismes, résultant de calamités naturelles (séismes, inondations), …etc.) qui font que les personnes concernées meurent souvent sur le lieu du drame.
Cas particulier de la mortalité maternelle.
Pour ne pas vous ennuyer davantage avec des tableaux et des chiffres, nous vous donnons juste le taux de mortalité maternelle qui reste assez élevé dans notre pays : 215 pour 100.000 naissances. Ceci s’explique par le fait que dans la plupart des maternités de l’intérieur du pays, il y a un manque flagrant de médecins gynécologues dans le secteur public et les accouchements sont pratiqués soit par des sages-femmes soit, dans le pire des cas, par de simples accoucheuses sans véritable formation médicale. En cas de complications, les parturientes sont évacuées au secteur sanitaire le plus proche, même d’une autre wilaya, qui se trouve, souvent, lui-même submergé à tel point que ces parturientes rendent l’âme avant leur admission au bloc opératoire. Ceci d’une part. D’autre part, il faut dire que, même en 2013, beaucoup de femmes de l’intérieur du pays accouchent encore à domicile.
On a vu que depuis l’indépendance à ce jour, la population algérienne a plus que triplé. Ceci ne pouvait donc que générer des dépenses de santé beaucoup plus importantes. Mais, ces dépenses sont-elles vraiment utilisées de façon rationnelle ? Sont-elles bien réparties sur l’ensemble de nos infrastructures sanitaires ? Ne profitent-elles pas seulement à une catégorie d’algériennes et d’algériens, notamment via les prises en charge pour soins à l’étranger ? C’est à cet ensemble de questions que nous devons répondre de façon claire et nette à la fin de cette étude.
Comment est organisé le système de santé ?
Evidemment, le premier responsable de la santé des algériens est le Ministère de la santé et de la réforme hospitalière.
Viennent ensuite :
- Les organismes de sécurité sanitaire : l’INSP, le laboratoire de contrôle des produits pharmaceutiques, l’Agence nationale du sang, le Centre national de pharmacovigilance, le Centre national de toxicologie.
- Les organismes d’appui logistique : l’Institut Pasteur d’Algérie, la pharmacie centrale des hôpitaux.
- Organismes de formation et de documentation : Ecole nationale de santé publique, écoles de formation paramédicale.
- 48 DSP (dans chaque wilaya)
Les soins sont assurés par deux secteurs, l’un public et l’autre privé. Ce dernier est devenu, en quelques années, plus attrayant que le secteur public, notamment pour les personnes disposant d’un revenu mensuel conséquent, non pas par la qualité des soins qu’il prodigue aux malades mais parce que les rendez-vous pour y être pris en charge ne s’étalent pas sur des semaines voire des mois comme c’est le cas dans le secteur public. Pour le secteur privé, le malade n’a pas à prendre son mal en patience. Le privé est animé par une logique de rentabilité, il s’insère bien dans l’économie de marché tant prônée ces dernières années.
Voyons d’abord de quoi est constitué le secteur public.
Les structures du secteur public.
Les chiffres à notre disposition ne concernent que les toutes dernières années.
|
2005 |
2006 |
2007 |
|
Nombre lits |
Nombre lits |
Nombre lits |
EHU (Oran) |
1 740 |
1 740 |
1 740 |
CHU |
13 13837 |
13 12697 |
13 13387 |
EHS |
32 6046 |
36 7306 |
54 9785 |
EPH |
232 33837 |
234 33917 |
240 35157 |
Maternités |
505 3205 |
505 3285 |
511 3450 |
Total lits |
57665 |
58005 |
61829 |
CHU :
assure une double fonction : soins et formation médicale.
EHS : Etablissement hospitalier spécialisé (Cardiologie type Bousmail pour les enfants, orthopédie, psychiatrie).
EPH : Etablissement public hospitalier où il existe au moins les quatre spécialités de base (Chirurgie, Gynécologie, Pédiatrie, médecine interne).
Les structures du secteur privé.
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2005 |
2006 |
2007 |
|
Nombre lits |
Nombre lits |
Nombre lits |
Cliniques médico- chirurgicales et obstétricales |
151 3218 |
161 3354 |
165 3408 |
Cliniques médicales |
23 26 |
23 65 |
23 65 |
Cliniques d’hémodialyse |
48 577 |
58 581 |
64 643 |
Total lits |
3821 |
4000 |
4116 |
La remarque que l’on peut faire concernant le secteur privé c’est qu’il reste relativement faible par rapport au nombre de lits qu’il propose aux malades. Mais, il prend de plus en plus de l’ampleur et permet de régler de nombreux problèmes notamment dans le cadre de la chirurgie dite ambulatoire, par exemple. Par ailleurs, les cliniques d’hémodialyse, même si elles constituent un pis-aller, contribuent d’une certaine manière au soulagement des insuffisants rénaux dans l’attente d’une hypothétique transplantation rénale qui est toujours considérée comme une chirurgie de luxe par les pouvoirs publics actuels. A notre connaissance, il n’y a que deux ou trois cliniques en Algérie qui pratiquent cette transplantation mais de façon, disons, occasionnelle. Le problème réside non pas dans la non-maîtrise de la technique opératoire par nos chirurgiens mais dans la législation algérienne qui ne permet pas actuellement le prélèvement d’organes sur cadavres. Quant aux donneurs vivants apparentés avec le receveur, rien ni personne ne peut les obliger à mettre leur vie en péril pour sauver celle de leur proche ! Il faut les comprendre. Les hommes de loi et les religieux devraient, à notre humble avis, faire les efforts nécessaires, l’ijtihad, dans l’interprétation des textes coraniques pour rendre possible ces prélèvements d’organes.