vendredi 12 avril 2019 - par Taverne

Refonder le lien avec soi-même dans un monde fracturé

Tout se délite dans la société. Serait-ce la faute des élites ? C'est ce que le peuple semble penser. Mais en attendant, plutôt que de chercher des fautifs, ne faut-il pas mieux retrouver le chemin qui nous conduit à nous-même ? Car ce lien avec nous-même, nous l'avons perdu peut-être autant que lien social avec les autres et qui faisait société. Le constat de délitement est quasi unanime. Et si le début de la reconquête du "vivre ensemble" passait par la refondation de chacun avec soi-même, par la mise en application du précepte socratique "connais-toi toi-même ?"

I - Tout se délite, la faute aux élites ?

Les cassures sont verticales (perte de repères et d'autorité), horizontales (divorces, désagrégations familiales...) et culturelles.

Les liens verticaux

Tout le monde semble penser, et beaucoup le crient, que l'autorité est en perte de vitesse, qu'elle n'inspire plus le respect. Elle ne véhiculerait plus de valeurs et n'aurait plus aucune vertu exemplaire. C'est même une défiance assez généralisée envers l'autorité sous toutes ses formes qui se répandrait dans notre société. Le soupçon envers les élites dirigeantes s'est répandu dans la société et les enseignants autant que les médecins en font aussi les frais, se voyant contestés dans leur autorité et leurs savoirs. Plus aucune autorité ne semble épargnée. La religion catholique aussi traverse une passe difficile du fait de certains scandales qui poussent des croyants à l'apostasie.

Le lien de confiance étant ainsi perdu avec l'autorité, chacun croit pouvoir être son propre médecin, son propre créateur de vérité en donnant foi à des thèses quelquefois fantaisistes sur les événements, puisque les médias sont suspects de collusion avec les élites.

Les liens horizontaux

On découvre un phénomène nouveau, celui de l'appauvrissement des retraités divorcés. Les retraités, qualifiés par le nouveau pouvoir de nouveaux privilégiés, ne vivent pas tous dans l'aisance. Les divorcés vivent des situations très difficiles car le divorce entraîne l'acquisition de deux logements, deux voitures. Tout se multiplie (sans oublier les abonnements de nécessité, assurances et autres dépenses). Le phénomène des femmes seules avec enfants - pudiquement dénommées "familles monoparentales - est aussi source de pauvreté et de précarité. Mais sont-ce là les seules ruptures horizontales ? Non, il faut compter aussi sur le déclin des syndicats, stigmatisés sous le nom de "corps intermédiaires" par Sarkozy puis par Macron. Le monde associatif n'est pas toujours non plus en odeur de sainteté (financements en berne) et, de toute façon, le monde associatif ne peut pas réparer toutes les cassures de la société. Les dons sont en chute libre et l'on voit à quel point la générosité des riches était en réalité surtout intéressée : ne pouvant plus faire de leurs dons un levier d'optimisation fiscale (par la déduction au Fisc), ils préfèrent garder leur précieux argent.

Les liens culturels

Les bien-pensants, qui s'agitent en belles paroles au sein de la sphère politique ou médiatique, nous rabâchent qu'il faut "retisser du lien social", recréer du "vivre ensemble", "ré enchanter" la vie politique. Mais on est loin du début du commencement du ré enchantement quand la nécessité de tous les jours occupe toute la pensée des individus (frigo vide, fins de mois, dettes, peur de perdre son logement...) et que l'avenir de leurs enfants s'assombrit. "Ré enchanter" ! Non, mais, ils s'entendent ? Dans quelle sphère vivent-ils ? Quand des expériences de genres nouveaux de vivre ensemble tentent de se mettre en place, le Pouvoir ne les favorise pas, bien au contraire il les réprime.

Le Pouvoir ne fait rien pour réparer ces liens cassés. Pour ce qui est de la verticalité, il a recours à solution éculée de la Vème République qui est de placer le Président au centre de toutes les décisions. On remet de la verticalité à sens unique (du haut vers le bas). Le Grand débat l'a encore montré. Pour les liens horizontaux, c'est encore plus cynique car, au lieu de recoller les morceaux, de tendre à faire un et de créer de la solidarité, le Pouvoir agit en selon ses intérêts propres, en politicien en campagne ! Il avive les inimitiés : les actifs contre les retraités, les salariés contre les fonctionnaires, les manifestants (souvent amalgamés avec les casseurs) contre les policiers, certaines catégories de contribuables contre d'autres, et, plus généralement, le "bon" peuple (libéral et prétendu progressiste) contre la peste brune des fascistes.

Face à ce constat, il semble que le meilleur remède soit de permettre à tout individu de retrouver le chemin vers lui-même.

Après le constat, le recours proposé : le précepte "connais-toi toi-même".

II - "Connais-toi toi-même !"

Echapper aux manigances des chasseurs de voix, des chasseurs d'audimat et des mercantilistes, s'extraire du flux perpétuel du bavardage médiatique et politique, et prendre le chemin qui mène à soi-même, à son vrai soi-même, en laissant loin de soi les excès de l'ego (quand l'ego devient "haïssable") quand il ne jure et ne peut vivre que dans la recherche permanente de stimuli pour activer ses réactions, par opposition pour se sentir exister, par des mises en scènes frisant l'indécence sur les réseaux sociaux pour des gains bien vains en nombre de soi-disant "amis".

Tout fait écran entres les individus qui ne ressemblent plus à des personnes humaines quand leur unique souci est de suivre l'écume des choses comme si leurs vies en dépendaient. On ne fonde rien de profond ni de durable sur du superficiel ou sur du "vite appris et vite oublié". Avant, on vénrait le gsete, quand il était grand et noble. Aujourd'hui, avec l'écran tout-puissant, on préfère relayer les scandales et les petites polémiques et ce qui va mal. L'écran a jeté le Geste dans l'oubli.

Connais-toi toi-même !

Cela veut d'abord dire "aime-toi toi-même". Si tu te hais, tu haïras aussi les autres. Si tu te négliges, tu négligeras aussi les autres. Si tu sais t'aimer au sens nécessaire et suffisant du mot, tu "aimeras ton prochain comme toi-même". Même les non croyants adhèrent à cette idée, il me semble. "Aime-toi toi-même" sans égoïsme, autrement dit pas par l'intervention du seul ego (celui-là n'aime que ses intérêts) mais par la force de ton être véritable, profond, sincère, authentique et humain.

Libère ton être authentique !

C'est aussi ce que veut dire ce précepte. Il invite à découvrir le vrai Moi caché sous l'ego qui ne pense qu'à se parer des plus belles apparences et se berce d'illusions trompeuses. La recherche de la libération de son Soi singulier et de son Soi humain (le Soi profond que nous avons en commun avec tous les autres êtres de notre espèce), passe par la liberté.

Qu'est-ce que la liberté quand on parle de se connaître soi-même ?

La première de toutes les libertés, c'est la liberté de penser et d'exister. Elle a été énoncée par le cogito cartésien et c'est la plus essentielle. C'est celle-là qu'il nous faut rechercher et défendre par-dessus tout. D'accord, mais dans la vie plus pratique ? Et bien, la liberté peut se décliner d'au moins trois manières :

- La libération : se défaire des préjugés (à commencer par les plus dangereux et les plus nocifs à la libre pensée au sens de liberté d'exister pleinement), des contraintes superflues, des cages qui nous retiennent (cadres imposés, cage du langage, d'une certaine éducation...) du regard des autres qui nous juge. La lecture des œuvres littéraires est un moyen de renouer le rapport de soi à soi ainsi que d'établir un rapport de soi aux autres par le moyen d'univers mentaux transcris dans la fiction.

- La création : elle est, avec la pensée, la preuve de notre liberté humaine. Créer peut prendre toutes les formes mais l'une d'elle, hélas trop utilisée, est le mensonge. Il faut opter pour des formes de création qui nous fassent du bien sans nuire aux autres et mieux encore, quand c'est possible, qui soient partageables avec les autres. Créer, c'est être libre ; créer c'est être soi-même.

- La capacité à appréhender tout l'éventail des choix possibles qui se présente à nous et à opérer des choix judicieux et consentis.

Un "contrat social du regard"

Dans une société fracturée, la recherche de soi-même comme moyen refondateur est forcément bénéfique. C'est le chemin de tous les possibles. Il permet de s'affranchir de la pression trop grande du regard que la société fait peser sur chacun. Il permet d'échapper aux travers de l'ego qui vit par comparaison, imitation, réaction immédiate et mises en valeur de choses parfois vaines.

Je suis convaincu qu'un retour vers soi-même peut refonder les individus et leur permettre de se réconcilier ou du moins de retrouver des échanges et des discussions plus profitables que les débats auxquels on assiste sur les réseaux sociaux et dans la sphère médiatique et politique.

Retrouver le chemin vers soi peut permettre de fonder une sorte de "contrat social du regard" grâce auquel la compréhension entre les individus sera plus grande, où une confiance sera de nouveau possible et aussi (c'est à souligner en ce moment avec le phénomène des Gilets Jaunes) où l'invisibilité n'aura plus court. Car le regard social, mal éduqué, et ne faisant pas l'objet d'un tel contrat, est jugeant, inique et source de bannissement, de honte et d'invisibilité totale de certains individus que personne ne regarde plus. Cette funeste invisibilité qui fait passer à la trappe des catégories entières de population dans le tréfonds de campagnes ou dans les banlieux surpeuplées, par exemple.

La perte des liens entre les gens conduit aujourd'hui à un phénomène des plus absurdes : le lien direct supposé de Soi avec le sort de la planète ! Puisque tous les liens intermédiaires sont morts, certains se prennent pour des sauveurs de la Nature, comme étant attachés personnellement par un lien privilégié et unique avec l'Univers. Les médias parfois se prennent au jeu et composent leurs hagiographie !

Le délitement total n'a-t-il pas ainsi conduit à la forme de vanité la plus aboutie ?

Alors, qu'en pensez-vous, le chemin de chacun vers soi-même peut-il aboutir à un contrat social de type nouveau - le contrat social du regard -, permettant des voies ouvertes vers le dialogue, la tolérance et une meilleure justice, en quittant définitivement tous ces travers dus aux cassures des liens fondamentaux ?



6 réactions


  • ddacoudre ddacoudre 12 avril 2019 20:57

    Bonjour

    Il à pas de doute sur les fractures si elles soient liés à la nécessité n’est pas suffisant si l’on n’a pas une vision de l’organisation systémique dans laquelle nous vivons. La liberté de se connaître dépend du regard de l’autre, et il vaut mieux que celui-ci ne soit pas un ignorant . J’ai écrit un article qui s’intitule l’egologie qui est un néologisme créé par le sociologue Mermet Il reprend ce que j’ai développe sur le fond Cordialement ddacoudre OverBlog


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 13 avril 2019 08:59

      @ddacoudre

      Lire Jean-François Vézina. Apprivoiser son propre dictateur : 

      Face à une décision qui nous fait peur ou devant un obstacle, à qui ou à quoi donnons-nous notre pouvoir ? Est-ce à une croyance, à une personne, à un objet ou à une substance ? Le petit dictateur peut revêtir tous ces costumes pour s’inviter dans notre vie ! Lorsqu’il prend les commandes, il nous fait croire que nous avons besoin de moyens extérieurs pour nous sécuriser (comme un doudou pour un enfant) et nous donner de la valeur. Par conséquent, il nous dérobe de notre véritable pouvoir et appauvrit notre monde intérieur. Ce livre nous montre comment il est possible d’apprivoiser nos petits dictateurs pour enfin laisser le droit de parole aux multiples voix qui existent en nous. C’est ce que l’auteur appelle la « démocratie du coeur ». Avec humour et clairvoyance, ce manuel nous propose un parcours en quatre étapes pour pratiquer la démocratie du coeur au quotidien : localiser notre petit dictateur à l’aide d’un « détecteur à dictateur » découvrir ce qu’est la démocratie du coeur et faire connaissance avec les quatre ministres principaux de notre pays intérieur : l’Imagination, l’Intégrité, l’Energie et la Beauté imaginer notre nouveau pays intérieur et formuler des propositions concrètes que nous nous engagerons à réaliser ratifier un accord de paix avec notre petit dictateur et sceller un engagement à protéger les richesses uniques de notre pays intérieur.
      « Moins


    • L'enfoiré L’enfoiré 13 avril 2019 15:51

      @dd,
       Ne serait-ce pas en accord avec le mien intitulé « L’égo de la communication » ou cet autre « Que t’es beau ! » dans la catégorie « humour » ?
       


  • L'enfoiré L’enfoiré 13 avril 2019 15:46

    Bonjour Paul,

     "Mais en attendant, plutôt que de chercher des fautifs, ne faut-il pas mieux retrouver le chemin qui nous conduit à nous-même ?

    « 

     Absolument. Dans le passé, j’étais partisan de Socrate.

     Puis j’ai changé. Je suis passé à la version inverse de Platon »connais l’autre pour mieux te connaitre".

     Ce sont aussi les autres qui t’obligent à corriger tes instincts innés.

     La sacro-sainte solidarité devient tout à coup, une solid_hila_rité.

     Les forums, les discussions qui deviennent dures parfois sans fondement, mais qui se font et se défont avec des partis-pris.

     On repasse alors quand on a quelques piges en plus à l’individualisme.

     On regarde dans son miroir qui avec l’âge a perdu son tain. 


  • Taverne Taverne 17 avril 2019 16:31

    Merci aux contributeurs. Comme vous l’aurez remarqué, j’étais absent.

    Aux lecteurs qui passeraient par là, je ne résiste pas à l’envie d’ajouter que le précepte « connais-toi toi-même » n’empêche pas tout risque d’hybris quand ce précepte est mal appliqué. En bref, il ne suffit pas de s’enfermer seul à l’Elysée pour trouver la recette. J’expliquerai dans la suite de cet article les écueils à éviter pour assurer une observation efficace du précepte socratique. La suite est prête mais un certain évènement d’importance m’oblige à attendre un peu.


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