« Réforme » et « Pédagogie », ou la torture des mots
Le jeudi 12 Mais 2016, Arte a diffusé à travers l’émission 28’ un condensé de l’idéologie dominante actuelle, « ultra libérale » ou « néoconservatrice » comme on voudra.
http://sites.arte.tv/28minutes/fr/jean-tirole-reforme-en-france-pourquoi-ca-coince-28minutes
Le spectacle comprenait deux parties :
- Une « leçon d’économie », conférence assistée de Jean Tirole, prix Nobel de l’économie au même titre qu’Obama est prix Nobel de la paix, lélèbre fondateur et patron de la « Toulouse School of Enonnomics », le petit conservatoire des néocons.
- Un « débat », sur le modèle de la grand-messe dans laquelle les invités récitaient les litanies et les animateurs répondaient « amen ».
Inutile de paraphraser les discours que le lecteur pourra découvrir en cliquant sur le lien fourni. Le lecteur ne découvrira d’ailleurs rien du tout, puisque le fond du discours (non-dit mais sans lequel on ne peut pas comprendre les orateurs) était celui de tous les chroniqueurs de l’économie patentés et homologués par les matrices officielles :
- le capitalisme est bon, il est naturel, il n’y a pas d’autres système économique possible, pas d’alternative (TINA) et ceux qui prétendent le contraire sont des imposteurs.
- les règles du jeu ont été perverties en mettant des contraintes à la gestion des entreprises et en taxant les profits liés à la spéculation
- les salariés sont trop protégés, ce qui freine les inititiatives des employeurs.
Pour entendre ce discours, il suffit de regarder n’importe quel JT.
L’intérêt de ce show n’était donc pas le sens des propos, mais les mots-clés devenus rituels qui ponctuaient chaque intervention. L’idée, c’était : « la réforme est-elle impossible en France ? ». Car il faut savoir que « la réforme » (sic) est nécessaire, elle est bonne, mais les bénéficiaires (qui, au mieux font preuve d’un esprit routinier, sont au pire de dangereux syndicalistes presque terroristes) résistent au changement.
Donc, le mot « réforme » était présent dans toutes les phrases, et aucun des « journalistes » présents n’a éprouvé le besoin d’en définir le contenu, puisque l’important, c’est de réformer et non pas de savoir ce qu’on réforme, ni comment on veut le réformer.
Alors, Mesdames et Messieurs, vous aurez compris que la racine du mal, l’explication des dysfonctionnements de notre économie, le taux de chômage et tout ça n’a qu’une origine : la résistance au changement de la masse laborieuse (ou chômeuse, ce qui est encore pire) qui ne comprend pas, et vous aurez compris aussi qu’on veut faire son bien malgré elle.
Et alors ? Mesdames et Messieurs ? Comment le magicien va faire sortir le lapin de son chapeau ?
Avec la pé-da-go-gie. Une fois que le mot-miracle a été émis par le prix Nobel de l’économie (ce qui équivaut un peu au statut de demi-dieu dans la mythologie classique), les chanoines et les enfants de chœur présents ont été atteints sur le plateau d’une crise aigüe de psittacisme et ne pouvaient plus retenir leurs borborygmes : « pédagogie », il faut faire de la « pédagogie », la solution, c’est la « pédagogie », de l’Obs aux échos en passant par le politologue, tous étaient réunis dans cette foi : la vérité est dans la « pédagogie », au point que même la chef d’orchestre, Elisabeth Quin, ne pouvait dissimuler son amusement qu’avec peine.
Or, sans le savoir, les officiants venaient de redonner au mot pédagogie (παιδαγωγία) son sens premier : « direction des enfants », et non pas « techniques d’enseignement », comme on l’utilise aujourd’hui. Le propos des orateurs était bien de montrer deux réalités qui pour eux ont valeur de dogme :
- Nous connaissons la route pour atteindre notre cap.
- La masse populaire est assimilable à un enfant auquel le maître doit monter la direction à suivre.
La novlangue ne se contente pas se supprimer des mots ; elle limite la définition de ceux qui restent au seul sens qui va dans son intérêt.