Relire Phillip Kerr
C'est souvent un peu par hasard que nous découvrons les écrivains d'envergure. Je ne connaissais Phillip Kerr que de nom, j'ai rencontré Bernie Gunther dans queqlues exemplaires de romans acquis d'occasion pour quelques euros dans une librairie Gibert jeune.
Philipp Kerr fut un écrivain de polars historiques et de romans pour enfants (il est décédé en 2018). Universitaire reconverti dans la publicité puis dans le journalisme, il est l'auteur de la trilogie berlinoise qui met en scène un policier solitaire, taciturne et désabusé (Bernhard Gunther) dans les frasques de l'Allemagne nazie, puis de la guerre froide. Un héros, à l'image sans doute de son créateur, sans illusion sur la politique et ses contemporains, qui tente de bien faire son travail dans le contexte de la dictature dont il montre le vrai visage, la corruption des proches d'Hitler, leur débauche, les trafics, le petit peuple et ses combines.
Bernie Gunther, fait rare dans ce type de littérature, n'est pas un résistant, il a même été policier SS. En suivant la voie officielle, en essayant de sauver sa peau sans commettre de crimes de guerre. Il enquête sur des faits de droits commun dans la France occupée, témoin de la cruauté de ses congénères, de leurs collaborateurs, en restituant le climat ambiant. C'est le talent de Philipp Kerr, ajouter des détails qui nous placent en immersion à Vichy, Berlin, Prague, Katyn en Pologne (où s'est produit le massacre des officiers polonais).
En bon loup solitaire, Bernie Gunther n'échappe pas à l'après-guerre et aux camps soviétiques d'où il parvient à s'extirper. Il doit composer avec chaque force en présence, reconverti détective privé puis garçon d'hôtel. Dans Vert de gris, il se fait dérouiller par la CIA, puis il fuit la terrible Stasi de l'impitoyable Erich Mielke dans Bleu de Prusse. Réglements de compte, intrigues et manipulations, personnages historiques décrits à la perfection (le sinistre SS Heydrich, la brute communiste Mielke...), synopsis à rebondissements, Phillip Kerr a su concilier polar d'espionnage et reconstitution historique en montrant des personnages crédibles, ni bons ni méchants, prisonniers de leur logique idéologique.
Notre écrivain journaliste fut aussi connu pour des reportages en ex-URSS, par des entrevues avec d'anciens cadres du KGB. Il a beaucoup voyagé, ce qui entretenu une rumeur de liens avec le MI-5, les services secrets britanniques. Ce qui expliquerait aussi sa parfaite connaissance des milieux du renseignement.
Si les "pilotes" de ses polars furent les plus primés, je préfère personnellement ceux qui nous décrivent le Berlin en ruine de 1945 et le conflit naissant entre anglo-américains et communistes germano-soviétiques. On y découvre les camps de prisonniers de guerre, les méthodes de recrutement des taupes, les outils des espions (le fameux poison "bleu de Prussse"), les belles femmes fatales au double-jeu (Anne Franck). Ian Fleming, Eddie Constantine et Robert Paxton l'historien semblent avoir fusionnés pour nous offrir Phillip Kerr.
Notons aussi l'influence de Kerr sur d'autres jeunes auteurs, comme David Young et sa série Stasi Child, injustement méconnue mais vraiment géniale.
N'hésitez-pas à récupérer quelques ouvrages des aventures de Bernie Gunther, dans les brocantes, les librairies d'occasion... Vous voyagerez dans le temps tout en vous laissant bercer par des intrigues bien ficelées.