jeudi 13 septembre 2012 - par Le Canard républicain

Réponse de André Bellon à Anicet Le Pors

Réponse de André Bellon, Ancien Président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Président de l’Association pour une Constituante à Anicet Le Pors Ancien ministre, Conseiller d’État honoraire (Institut d’histoire de la CGT – 5 avril 2012).

Dans un texte largement diffusé le 5 avril 2012 et intitulé « Le rôle de l’État et son évolution », Anicet Le Pors analyse la question des institutions à la fois sur un plan historique et quant à l’opportunité de faire de ce problème une question centrale du moment.

Disons tout de suite que ce texte est particulièrement utile en cette période ; il prolonge d’ailleurs d’autres écrits du même auteur et je souhaite particulièrement qu’il puisse être à l’origine d’un débat bien nécessaire.

Au-delà d’un survol de l’Histoire des institutions en France, Le Pors cible sur la période actuelle en y voyant, avec raison d’ailleurs, une volonté de nos responsables de banaliser la France, d’en gommer les singularités, en particulier les options républicaines. Il déclare ainsi : « Comme l’a écrit le philosophe Marcel Gauchet : “Le programme initial du sarkozysme, c’est un programme de banalisation de la France”, phrase d’ailleurs reprise dans le préambule du texte. Rien de plus vrai, mais pourquoi spécifiquement Sarkozy ? C’est là le programme de tous les gouvernements successifs depuis plusieurs décennies. Il serait plus juste de dire que le Président de la République, assez omnipotent par rapport à son peuple, est, pour l’essentiel, le porte parole de Bruxelles en matière économique et financière.

Cette remarque serait accessoire si elle n’expliquait pourquoi le peuple, en tant que tel, n’apparaît pas comme acteur dans ce texte, au-delà des références nécessaires à la démocratie. Car s’il est bon de se poser la question de l’équilibre des institutions, en particulier quant au rôle du Parlement, il conviendrait évidemment de se demander en amont si le Parlement sert encore à quelque chose. Car, s’il ne sert à rien, est-il vraiment nécessaire de se poser la question de l’équilibre des pouvoirs sur l’espace national ? J’avais moi-même posé la question de cet équilibre dans un article du Monde diplomatique de mars 2007, (http://www.pouruneconstituante.fr/spip.php?article130) intitulé « changer de Président ou changer de Constitution ? », mais je concluais en déclarant que l’élection d’une Assemblée Constituante au suffrage universel était à l’ordre du jour.

C’est là que réside une divergence profonde avec Anicet Le Pors. Celui-ci nous déclare : « La même argumentation (que celle opposée aux partisans de la 6ème république -souligné par nous-) pourrait être opposée aux partisans d’une Constituante. Toutes les constituantes sont survenues après des évènements majeurs et sur les décombres de l’ordre précédent. Ce n’est pas la situation actuelle et une telle proposition permet de ne rien dire du contenu. C’est encore une facilité ». Le moins qu’on puisse dire est que limiter la réponse à l’idée de Constituante à une soixantaine de mots dans un texte qui en comporte environ douze mille est une remarquable facilité.

Dans l’Histoire, on ne peut proclamer que des évènements étaient « majeurs » qu’après ces évènements. Par exemple, comme le dit Claude Nicolet, grand Historien de la République, la Révolution de 1848 aurait sans doute pu être évitée si Louis-Philippe avait tout simplement triplé un corps électoral exsangue dans le système censitaire qu’il avait créé. Qui décide donc que les évènements justifient un changement radical ? Qui, sinon les citoyens ? Qui considère qu’ils s’accommodent très bien de la situation dramatique dans laquelle s’enfonce le pays ? N’ont-ils pas d’ailleurs répondu le 29 mai 2005 et qui a décidé que leur avis n’avait pas d’importance ?

La vraie question n’est d’ailleurs pas là. Elle est de savoir qui décidera d’un nouvel équilibre des pouvoirs. Qui, sinon le peuple ? Et qui a les moyens de passer outre aux diktats de Bruxelles ? Qui, sinon les citoyens ? Au nom de quelle enquête a-t-on décidé qu’ils n’avaient pas plus d’idées que les quelques experts qui proposent des modifications institutionnelles ? Ceux-ci ont-ils, plus que l’ensemble des citoyens, la capacité d’imposer des réformes ? En fait, la question posée par la Constituante est la reconnaissance du rôle éminent du peuple en tant que corps politique souverain dans une phase de contradictions majeures. En aucun cas, cela ne saurait signifier une vision romantique du peuple trouvant naturellement la voie du salut. Les appels aux élus, aussi bien nationaux que locaux, que nous avons lancées prouvent, de notre part, la recherche d’une solution équilibrée.

En revanche, le refus de donner la parole aux citoyens, au nom d’une situation qui ne le justifierait pas, porte en germe des révoltes qu’on déclarera plus tard ne pas avoir voulues.

André Bellon



4 réactions


  • Romain Desbois 13 septembre 2012 09:54

    Bah oui on a le choix de décider par le vote , par ses actes au quotidien au tant que que consom’acteur ou de faire un coup d’Etat. La révolution par un coup d’état n’a jamais été démocratique.


  • jean-marc R jean-marc R 13 septembre 2012 10:43


    Les appels aux élus, aussi bien nationaux que locaux, que nous avons lancées prouvent, de notre part, la recherche d’une solution équilibrée.

    Cher André,

    Je vous vois.
    Ce que vous recherchez, ce n’est pas une solution « équilibrée » comme vous dites.

    Ce que vous recherchez, sans le savoir peut être car vous et votre mouvance croule sous le poids des dévotions, c’est à ne pas surtout pas regarder le peuple dans les yeux.

    Car les peuples veulent dans leur sagesse un changement profond, et celui ci a pour nom « Démocrazia Real », et cela se voit partout en Europe jusqu’aux Usa et au Québec.

    Vos appels répétés à des élus devenus majoritairement démunis de légitimité et confiance populaire est DANS LES FAITS une tentative d’empêcher le peuple d’inventer SA démocratie pour SON époque, en le bordant de tous côtés par des « notables », des « élus », des « universitaires », des « maçons », des « de gauche », en un mot des pseudo-élites,

    ceci lors d’une Constituante soit disant « élue » au suffrage universel direct, comme l’est soi disant le Parlement, ou comme le sont soi disant les caciques du Front de Gauche ou du Ps.

    Ce n’est pas l’équilibre que vous cultivez.
    C’est la continuation du déséquilibre entre votre philosophie politique et l’air du temps,
    c’est la continuation du déséquilibre entre représentants et représentés,

    et par conséquent la continuation d’un déséquilibre profondément philosophique et structurel entre Société et Institutions, qui ne peut que mener à court ou moyen terme à un rééquilibrage d’autant plus brutal qu’il aura fait l’autruche la tête plantée dans le sable de son piédestal.

    Vous êtes à présent dé-phasé de la Société, vous n’en connaissez en fait plus que ces cadres et filtres qui lui ont été placés et superposés tant et plus depuis quelques 200 ans, au point qu’on ne voit plus rien de la Société dans l’expression institutionnalisée de la Société.

    Ceci est tout sauf intelligent que de prétendre DE NOS JOURS préserver cet « équilibre » qui n’en est pas un, son contraire même, et si dangereux pour Démocratie et République comme essences.

    Bien à vous, mais... !


  • bernard29 bernard29 13 septembre 2012 11:05

    Et pourtant cher Monsieur Bellon,

    « Toutes les constituantes sont survenues après des évènements majeurs et sur les décombres de l’ordre précédent. »

    S’il n’y a ni événements majeurs, ni effondrement d’un ordre établi, pourquoi voulez vous remettre tout à plat, par une constituante ?.

    la question que nous devrions nous poser est de savoir si la question démocratique est aujourd’hui centrale et prioritaire. Si oui et je le pense, il nous revient de proposer des changements, des améliorations, des rénovations, des chamboulements, et d’essayer de trouver les moyens de les faire aboutir.

    c’est pour cela , qu’on peut dire que, faire actuellement et simplement une proposition de convocation d’une constituante, en se permettant de ne rien dire du contenu, est une facilité.
     
    De mon point de vue c’est même contre-productif, puisque les pouvoirs en place (de décision et de communication ..) ont les moyens de nier les réalités. Ainsi ils nous disent que les présidentielles (ou les primaires) sont des grands succès démocratiques qui montrent la solidité, l’adaptabilité du systéme français, mais sans s’intérroger sur le fait majeur de notre systéme qui est l’abstention et le désintérêt lors de toutes les autres élections. 

    En revanche, il serait intéressant de constituer une sorte de groupe de travail, une organsation qui n’aurait comme seul objectif que celui de la rénovation ou la transformation de notre systéme démocratique et qui chercherait le moyen d’utiliser les élections pour promouvoir cette question démocratique.

    J’ai bien aimé sur la question de l’Ecologie , la proposition de Pacte Ecologique qui a été un succès médiatique. C’est pour cela que depuis plus de sept ans, j’avance l’idée d’établir un Pacte Démocratique pour replacer cette question au centre du débat politique et pour changer la république.

    Si cela vous intéresse, j’ai deux blogs ; http://pacte-democratique.blogspot.fr/ et  http://changerlarepublique.over-blog.com/ 


    • jean-marc R jean-marc R 13 septembre 2012 11:56

      « Ce monde ne changera que lorsque le dernier cerveau formaté à la »moderne« sera mort. »
      Je vous trouve un peu radical, et pessimiste  smiley

      Mais il faut bien admettre que les « formatages à la moderne »
      font des ravages
      ,
      pour preuve également ce texte de Anne-Cécile comparse de André dans ce projet « très flou » de Constituante :
      http://www.pouruneconstituante.fr/spip.php?article598

      Une manifestation de plus de dévotion et de manque d’imagination terriblement handicapant pour Démocrate et République, et à des milliers d’années lumière de la Société contemporaine et de son air du temps, une fois de plus.

      Car bon, l’argument en fond de ce court « appel » est la mise en avant du modèle « moderne » de la Cour Constitutionnelle de Karlsruhe, qui serait donc si bon par rapport à son catastrophique et devenu traitre équivalent français.

      Tout ça tourne en rond comme après une saoulerie, que c’en est affligeant de déséquilibre !

      Bise amicale Anne Cécile, j’hésite même à t’appeler pour t’offrir une aile...


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