vendredi 12 avril 2019 - par Desmaretz Gérard

Respirer « comme » un poisson dans l’eau !

 

Un article publié par un Webzine russe a rapporté : « Le vice-Président du gouvernement russe Dmitri Rogozine a montré au Président serbe Aleksandar Vucic les élaborations russes les plus avancées, y compris un projet unique de respiration de liquide. (...) Un teckel a été mis dans un réservoir avec un liquide spécial, et quelques minutes après, il s’y est habitué et a commencé à respirer normalement ». Le vice-Président du gouvernement russe a souligné : « que ce n’était qu’une des élaborations de la Fondation des recherches avancées, fondée en 2012, qui est spécialisée dans les recherches de pointe dans divers domaines de la science et des technologies ». Une telle application concerne différents domaines : les grands prématurés, la plongée militaire et l'évacuation d'un sous-marin en perdition. Les Russes auraient-ils abusés de la vodka à l'herbe de bison ou ont-ils repris et amélioré les travaux antérieurs ?

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Les biologistes pensent que la vie est apparue dans les mers peu profondes il y a 2,5 milliards d'années avant de se diversifier. Les poissons (téléostéens), à la différence des hommes, possèdent généralement quatre branchies de chaque côté de la tête qui offrent une très grande surface pour extraire l'oxygène dissous dans l'eau et diffuser très rapidement dans le sang. L'adaptation des amphibiens leur permet de se déplacer, se nourrir et respirer aussi bien sur la terre que dans l'eau douce. « L'oxygène de l'air ou de l'eau se dissout dans le film humide qui recouvre la peau, traverse cette dernière et pénètre dans le sang à travers les parois des capillaires. Il se combine à l'hémoglobine, et la circulation l'emporte vers le cœur et dans le corps entier. Le gaz carbonique est éliminé de manière analogue ; il s'échappe des vaisseaux sanguins dans l'atmosphère à travers la peau. La respiration s'effectue donc par l'intermédiaire de cette dernière, tant dans l'air que dans l'eau ». Le fœtus qui baigne dans le liquide amniotique respire grâce aux échanges gazeux entre le fœtus et la mère. Le cœur de l'enfant pompe le sang par le cordon ombilical, le diffuse dans tout l'embryon et le placenta, puis dans le cordon ombilical. Dès que le bébé sort, la circulation ombilicale cesse, il a un besoin urgent d'air.

L'air atmosphérique contient 79 % de diazote (molécule composée de deux atomes) et 21 % de dioxygène (chiffres arrondis). L'homme au repos respire 14 fois par minute et inspire ou expire environ 0.5 litre d'air à chaque mouvement respiratoire, soit un débit moyen de 7 litres minute ce qui représente près de 10 000 litres d'air ventilé chaque jour. Nos poumons fournissent l'oxygène à l'organisme et éliminent le dioxyde de carbone (CO2) par la circulation sanguine, les échanges gazeux ayant lieu dans les alvéoles pulmonaires (surface d'échange de 100 m2). La respiration est commandée par la concentration du CO2 et du pH sanguin acheminés au bulbe cérébral. La réserve d'O2 de l'organisme étant d'environ 600 cm3 (nota : les êtres vivants consomment plus particulièrement l'isotope de l'oxygène 16), l'homme ne peut retenir sa respiration volontairement quelques dizaines de secondes (apnée). S'il veut augmenter cette durée, il peut emmagasiner plus d'oxygène en respirant profondément plusieurs fois (hyperventilation) ou respirer de l'oxygène pure, mais une fois le sang saturé en oxygène, les limites physiologiques sont atteintes.

A mesure que le plongeur s'immerge sous la surface, la pression hydrostatique augmente d'une atmosphère (1013 hectopascals) tous les 10 mètres (masse de la colonne d'eau). A 20 mètres, le corps supporte une pression absolue de 3 atm/cm2. Sachant que nos muscles inspiratoires ne peuvent vaincre une pression supérieure à 160 gr/cm2, le plongeur se doit donc inhaler le mélange respiratoire à la même pression que l'eau qui l'entoure. L'air emmagasiné dans les cavités creuses : oreilles moyennes, sinus maxillaires, carie, estomac, doit s'équilibrer (Valsava, descente contrôlée) afin d'éviter les barotraumatismes (les apnéistes profonds inondent leurs sinus). Une surpression de 0,3 bar suffit pour provoquer une distension alvéolaire, soit une variation de profondeur de 3 mètres, au-delà, les alvéoles se déchirent.

La pression a une répercussion sur les gaz qui se diffusent selon leur pression partielle et la nature des tissus : sang, muscles, graisse, etc. Le plongeur qui respire de l'air par 50 mètres, respire l'azote sous une Pp 4.74 atm (6 atm x 0.79%) et l'oxygène sous une Pp de 1.26 atm. Si l'oxygène est indispensable à la vie, il devient toxique dès que sa pression partielle approche 1.6 bar pour une courte durée (effet Paul Bert) et moins sur une durée de plusieurs heures (effet Lorain-Smith). Si la Pression partielle d'O2 est trop élevée, le plongeur risque l'hyperoxie, si le taux est faible, l'hypoxie puis l'anoxie. La Pp du gaz carbonique ne doit jamais dépasser certaines limites, le plongeur risque l'essoufflement, ou pire, l'intoxication. Ces accidents bien connus des nageurs de combats et plongeurs démineurs représentent un risque global estimé à 1/6000 (Marine nationale 2002).

L'appareil respiratoire se doit donc d'assurer un débit constant adapté au mélange respiratoire et à la profondeur (sur les recycleurs, une partie du mélange expiré est récupérée, purifiée (chaux sodée) et réintroduit dans le cycle respiratoire suivant). En ce qui concerne l'azote, ce gaz est responsable de l'ivresse des profondeurs (narcose) et des accidents de désaturation (décompression). Le plongeur doit remonter en respectant un protocole (profondeur et durée) permettant au gaz inerte (ni comburant, ni combustible, ni corrosif) : azote, hélium, etc., de s'évacuer sans formation de bulles. Si l'azote est remplacé par l'hélium (heliox) ou l'hydrogène (hydrox), voire un mélange ternaire, la profondeur reste limitée par l'apparition du syndrome nerveux haute pression également constatée lors d'expériences de respiration liquidienne.

La ventilation liquidienne a été expérimentée lors de la Première Guerre mondiale pour le traitement des gazés. Les médecins ont utilisé le perfluorocarbure sur les chiens, gaz qui permet de dissoudre de grandes quantités d’oxygène, de dioxyde de carbone, de désobstruer les alvéoles pulmonaires, d'acheminer l’oxygène dans les poumons et de prévenir l’effondrement des poumons (collapsus). Dans les années 50, l’équipe du docteur Johannes Kylstra de l’Université de Duke, a réussi à faire « respirer » des souris sous une pression de 160 atmosphères (1600 m) après que leurs poumons eurent été remplis d'une solution saline. Peu d'entre elles en sont revenues vivantes et l'extrapolation à l'homme n'est pas sans risque. La respiration liquidienne s'apparente à une noyade, le processus de réanimation est similaire. L'équipe du professeur Kylstra passa dans les années soixante, à l'expérimentation sur un condamné à perpétuité en échange d'une remise de peine. L'expérience porta sur l'inondation d'un seul poumon. En 1989, des nourrissons en insuffisance respiratoire sévère ont pu être traités grâce à la ventilation liquidienne et l'oxygénation extra-corporelle (machine externe) .

En 2014, un projet a parcouru la toile, l'élaboration d'un appareil respiratoire sous-marin artificiel miniature. Triton Gills allait permettre à son heureux possesseur de respirer pendant 45 minutes à 5 mètres de profondeur sans bouteille de plongée. Le principe consiste à prélever l’oxygène contenu dans l’eau ! La commercialisation fut annoncée pour décembre 2016, l'homme-grenouille allait enfin pouvoir devenir l'homme-poisson. La campagne de crowdfunding (Indiegogo) rapporta 880 000 dollars les huit premiers jours ! Les optimistes passèrent pré-commandes (180 $). Le site Web livrait quelques photos et informations techniques suffisantes pour douter de la mise sur le marché. Les membranes semi-perméables permettent seulement la récupération de l'air ! un chercheur d'expliquer : « pour récupérer 3 litres d’air, il faudrait filtrer 100 litres d’eau. Même si les membranes sont repliées sur elles-mêmes pour assurer une grande surface d’échange, la machine semble largement sous-dimensionnée ».

La respiration liquidienne appliquée à la plongée profonde supprime de facto les volumes de gaz dissous à l'origine des accidents lors de la mise en pression et libérés à la remontée (paliers de décompression). L'accumulation du gaz carbonique continu à poser problème, sa dissolution reste insuffisante dans l'eau salée, il faut en passer par une assistance respiratoire. Autre piste évoquée, des branchies artificielles de grande surface formées dans un matériau gaufré pour en accroître l'aire et recouvert d'un « film » chimique. Un chercheur du Royal College of Art (Londres) a conçu un vêtement (non réalisé) imprimé en 3D dans un matériau hydrophobe poreux permettant de prélever l'O2 contenue dans l'eau. Le concepteur reste prudent, il s'agirait d’un système prévu pour augmenter la durée d’une plongée libre et non de remplacer les systèmes de plongée sous-marine actuels.

Autre problème, la présence d'oxygène dans l'eau n'est ni uniforme ni homogène, elle résulte de la dissolution de l'oxygène atmosphérique par le brassage des eaux de surface et de la production par le phytoplancton (photosynthèse). L'oxygène peu soluble dans l'eau (10,1 mg/l à 0°C) s'équilibre à la surface avec l'atmosphère. La quantité d'oxygène dissoute dans l'eau dépend de la température, de la salinité, de la pression et de la vie aquatique. La quantité d'oxygène peut varier de 60 à 400 micromoles par litre (1 micromole d'O/kg équivaut à 0,032 mg/kg) selon le lieu. La partie comprise entre 30°N et 30°S présente environ 200 ҷmol/kg. La quantité d'oxygène nécessaire à l'organisme humain dépend de l'effort soutenu (0,5 à 3 l/min). Si le plongeur a besoin de 2 litres d'oxygène par minute et que l'eau en contienne 10 mg/l, l'appareil doit filtrer 270 litres d'eau minute ! L'azote doit ensuite être fixé par une « cartouche » de zéolite afin de pouvoir délivrer de l'O2.

Ces considérations suffisent à montrer les limites de l'appareil : lieu de la plongée - autonomie - profondeur - accidents spécifiques - risque d'inflammation ou d'explosion en présence graisses ou impuretés (l'O2 est un comburant). Le projet Triton Gills a été « repensé ». Il sera complété d’une cartouche d’oxygène liquide (1 litre donne 850 l de gaz) pour assister le système de filtration. D'autres problèmes restent en suspens, l’oxygène liquide maintenu à - 183°C doit être réchauffé, ce qui pose le problème de l'évaporateur, celui d'une alimentation à découpage et une source électrique puissante miniaturisée. Les micro-batteries 3D au sodium et super-condensateurs sont encore du domaine de la recherche fondamentale. Un appareil assez similaire avait été évoqué en 1990 par une firme japonaise, l'Enrichied Oxygen Breathing Apparatus. Ce circuit fermée (30 x 30 x 80 cm, poids 1,8 kg) devait permettre une autonomie d'une dizaine de minutes par 5 mètres. L'air expiré empruntait la partie gauche d'un tuyau annelé relié à une petite cartouche d'absorbant avant de revenir par le tuyau droit et d'être enrichie par deux cartouches de 25 cl, les tuyaux annelés faisant office de sac respiratoire.

Un chercheur israélien a émit l'idée, en 2005, d'extraire l'air qui représente environ 2 %. Une petite centrifugeuse amorce un effet vortex (tourbillon) permettant à l'air de se libérer à la manière des bulles lorsqu'on débouche une bouteille de boisson gazeuse. Après séparation, l'air est dirigé vers un « faux-poumon » (principe du circuit semi-fermé) pour délivrer un mélange azote-oxygène au plongeur.

Été 2014, une équipe de chercheurs du département physique, chimie et de pharmacie de l'université du sud du Danemark est parvenue à créer une hémoglobine solide à base de cobalt qui a la propriété de capter les atomes d'oxygène dissous dans l’air ou dans l’eau, de le stocker et le délivrer à la demande par élévation de température par paliers de 5°C à 140°C. Ces grains de cristal « de couleur rose, passent au noir tirant vers le rouge une fois saturés en oxygène, il en stocke trois fois plus qu’une bouteille d’air comprimé  ». Dix litres de ce matériau seraient capables de vider l’oxygène de toute une pièce (travaux publiés dans Chemical Science).

Les Russes se sont-ils inspirés de ces travaux ou ont-ils repris ceux de Langmuir, films monomoléculaires à base de molécules hydrophiles solubles dans l'eau et hydrophobes non solubles à partir de liquides ioniques composés d'un anion et d'un cation pour donner une molécule amphiphile (surfactant ou tensio-active) ? Passer de la recherche fondamentale à la recherche appliquée et à la commercialisation d'appareils fiables risque de prendre encore de nombreuses années.

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