mardi 12 février 2013 - par Dancharr

Retour dans le passé

Jeunes enfants, maintenant plus vieux, vous vous rappelez des joyeux films de R. Zemeckis dans le temps, surtout passé. Plus que de Wells, il s’inspirait de nous, les français, qui adorons voyager dans le rebours. Avec une délectation qui fait peine à voir nous recréons, obstinément, tous les malheurs de nos ancêtres. 

Nous retournons à belle allure dans nos époques guerrières où les coalisés nous encerclaient prêts à défoncer nos frontières et où, à l’intérieur, la guerre civile ravageait villes et campagnes.

Aujourd’hui, comme toujours – mais c’est consubstantiel, idiosyncratique, ontologique, intrinsèque – nous livrons bataille.

Le front intérieur mobilise tous les civils en état de se battre. On ne les appelle pas encore gardes civiles. Ils sont aux premières lignes. L’ennemi est connu mais insaisissable, se fond dans le décor, fait dans la défense passive, dresse des embuscades, joue de la surprise, aime les coups bas, les traquenards, sabote les armistices.

Malgré leur bonne volonté, leurs bonnes intentions, de bonnes paroles, nos troupes n’arrivent pas à contenir le chômage, la pauvreté, le cancer, l’insécurité, la hausse des prix. Leur moral est en baisse, presque en berne. 

Mais, me direz-vous, ce que vous décrivez c’est une guerre citoyenne. Elle a raison de galvaniser les forces vives de la nation. J’y vois de la grandeur, pas de la faiblesse. Moi aussi, rassurez-vous, mais, pour la gagner il nous faudrait des grands esprits, de belles âmes, du courage, de l’imagination, des idées. Le moule est perdu. On ne nous mène pas à la victoire mais à l’abattoir, nos irresponsables, des hiérarques issus de l’énarchie sont aux commandes – depuis toujours –. Ils entretiennent sournoisement, pour garder leurs palais, leurs fonctions, leurs prébendes, le pouvoir, une guerre civile larvée, rampante, comme au bon vieux temps de Ravaillac, des bleus et blancs, de la Commune. Ils la nourrissent en flattant les corporatismes cramponnés à leur conservatisme hérité des bâtisseurs de cathédrales. Ils la cultivent en arrosant grassement des syndicats croupions, acharnés à défendre des avantages acquis, temporaires pour ceux qui ont encore du travail et définitifs pour les enfants des troupes de l’État. Pour ne laisser personne démobilisé, ils ressuscitent le mariage, un mythe disparu, pour faire s’affronter dans la rue des unipolaires frustrés et des bipolaires furieux pour qui forniquer sans être béni par un vieux célibataire vierge ou castrat est un péché.

Nos avatars gouvernementaux fractionnés en options, tendances, nuances s’étripent dans leurs congrès, leurs palais, même au conseil suprême. Les autres, dans l’opposition, s’opposent entre eux, n’arrivant pas à décider qui a la plus grosse. Les écologistes déglingués par toutes les cochonneries qui leur permettent d’exister s’épuisent en sorcellerie.

Le ministre des armées intérieures mobilise ses gardes qu’il tenait immobiles, leur envoi en renfort ses compagnies de sécurité renforcée pour réduire à néant des innocents et des fugueuses retranchés dans des champs de muguet et de mâche. Un autre de ses collègues, tout aussi inspiré fait la chasse aux riches, responsables du malheur des pauvres. Il renoue ainsi, ce ministre régalien, avec un glorieux et royal ancêtre qu’il nous avait caché : Louis XIV qui, dans un geste auguste et solennel avait signé, le 18 octobre 1685 la révocation de l’Édit de Nantes condamnant à l’exil 200.000 protestants. Ils avaient été accueillis, toutes cloches carillonnantes, en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Hollande, en Angleterre. Ces ennemis de la France n’en revenaient pas de ce royal cadeau fait d’or, d’intelligence, de savoir-faire, de savoir-vivre. Cette saignée nous a rendus anémiques pour toujours.

Comme je vous le disais, plus on avance, mieux on recule. L’état-major de l’ennemi extérieur regroupé à Bruxelles aiguise ses couteaux avec les gnomes de Zurich cachés dans leurs coffres-forts, les traders félons de la City retranchés dans leurs backrooms infâmes et les mercenaires de Wall Street prêts à tirer leur épingle du jeu avant l’effondrement de la Baliverna. Ils n’attendent qu’un instant de faiblesse pour exiger le remboursement des prêts, la satisfaction de leurs revendications et l’abdication de notre indépendance. Mais il faut détourner l’attention de ces menaces étrangères, ne pas laisser cauchemarder sur ces cohortes mercenaires qui voudraient faire la loi dans nos cités avant de la faire dans nos foyers.

Nos gouvernants renouent avec la folie guerrière de Napoléon - quoi de mieux que la tradition ? – sans retenir les leçons de son échec. Au début, il lui fallait attaquer pour éviter d’être obligé de se défendre. L’épuisement venant, il lui a fallu se défendre contre les attaques et comme il n’en pouvait plus, ce fut Waterloo.

Nous n’en sommes pas là. Malgré la concurrence sauvage, les faux amis, les faux alliés, l’inertie, l’aboulie nous avons encore la force de tenir debout grâce aux stimulants autorisés, de garder le moral grâce à une surconsommation de tranquillisants antidépresseurs remboursables, de ne pas mendier grâce à l’assistance sociale générale. Nous sommes même capables de projeter nos dernières forces dans des offensives off-shore. Incapables de faire la paix entre nous, nous aimons jouer les faiseurs de paix dans des pays incertains, de constitution fragile, aux frontières floues, sûrs d’y laisser des plumes, d’en partir plus ou moins chassés, forts d’un masochisme ancestral, armés d’une amnésie congénitale. Nous y partons sous les vivats des bellicistes et des pacifistes sachant déjà qu’on en reviendra avec des rescapés, des éclopés, des cercueils pleurés par des veuves et des orphelins. Une fois de plus, on aura joué à la guerre perdue d’avance, là-bas aussi mal qu’ici. 

 




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