samedi 3 janvier 2015 - par Serge ULESKI

Retour sur le cinéma de Claude Sautet

 Sommes-nous seulement encore capables de comprendre à quel point les films de Sautet - films à l'image de son époque : une époque hyper-matérialiste et privée de transcendance -, nous rappellent que les années 70 ont reposé sur trois fois rien, sur si peu de choses finalement qui peuvent néanmoins, semble-t-il, occuper, combler, remplir (colmater ?) une vie, toute une vie d’hommes et de femmes : une petite bande de copains, des coups à boire, un repas au restaurant, quelques maîtresses, quelques amants, des amours sages de cadre moyen à supérieur, des carrières professionnelles bien rémunérées qui permettent de changer de voiture tous les ans ?

Aussi, est-ce surprenant aujourd'hui le fait que tout puisse s’écrouler si facilement et que tout soit démantelé : contrat de travail, rémunérations, protection sociale... santé et retraite, rapports sociaux (homme/femme inclus) et rapports de force ?

Bien que l’on sache que les capacités d’adaptation des hommes sont bien bien supérieures à leurs capacités de révolte, là encore, est-ce si surprenant que cette remise en cause ne rencontre que très peu de résistance ? Car, c’est bien dans l’indifférence quasi générale que le démantèlement de ces années-là s’impose à tous ; derrière cette indifférence, la résignation ; et derrière cette résignation n’y trouve-t-on pas le sentiment que tout ce qui a été acquis dans les années 60 et 70 jusqu’aux années 80 l’a été non seulement à crédit mais bien plus important encore… sur le dos de la vie, la vraie, dans un climat d’amnésie générale quant au passé, là d’où l’on vient, toute une génération étant portée par un confort à la fois matériel et moral sans précédent ?

Et c'est alors qu'une culpabilité à caractère disons ontologique, tantôt consciente, tantôt inconsciente, à peine refoulée finalement, comme errant au bord, tout au bord de notre conscience d'être au monde - mais pour quoi déjà ? Une culpabilité qui peut parfois emprunter des itinéraires surprenants, vous laisse sans réaction et sans voix au moment où il est question de tout reprendre de ce confort d'un matérialisme aussi naïf qu'insouciant et sans responsabilité.

Bien mal acquis, ou bien bêtement... ne profite qu'un temps ?

 

 Autre symptôme d’une amnésie et d'un oubli dommageables : l’absence, dans les films de Claude Sautet, d’une France pourtant tout aussi présente qu’aujourd’hui : la France des Français issus de l’immigration ; et pas sûr du tout que ce ne soit qu'un détail !

On remarquera aussi la quasi absence des enfants ; ces derniers étant cantonnés aux rôles de figurants, comme des biens meubles qui viennent compléter un cadre réservé en priorité aux adultes et à leurs histoires : métiers, carrières, coucherie, argent, loisirs.

 

 

  La droite et la bourgeoisie qui vote PS (qui ne fait pas d’enfants ou qui n’en a pas faits), Télérama et les animateurs-journalistes de télés d'un certain âge vouent un véritable culte aux films de Claude Sautet. Faut dire que les films de Sautet sont des contes pour adultes car les années 70 sont un conte de Noël… une négation d’une réalité, d’une seule : celle qui engage l’avenir face et contre une autre réalité reflet d'un état en mouvement mais figé, un état propre à toutes les périodes agitées mais « stériles » (Jacques Tati a eu des choses à dire à ce sujet) qui ont la prétention d’arrêter le cours de l’Histoire qui, elle, finit toujours par trouver le temps long ; il faut alors qu'elle bouge : « Tout leur est donné, vous dites ? Et si on leur reprenait tout ? »

 

 Les années 2000, et nous n'en sommes qu'au début, verront la décomposition des années 70 ; et c’est alors que les films de Sautet n’en prendront que plus d’importance  : un véritable bain de jouvence hyper-matérialiste accompagné d’un confort moral de carton-pâte mais encore résistant et étanche, les films de Sautet ! C'est sûr !

Et c’est sans doute la raison pour laquelle ces films prennent toute leur saveur trente ans après, non pas comme peut le faire un bon vin, mais bien plutôt comme peut opérer le charme discret et pernicieux mais irrésistible de la nostalgique ; une nostalgie... dernier refuge contre le devoir d’affronter une nouvelle réalité qui semble vouloir, d’une main, rependre tout ce qu’elle a plus souvent accordé que cédé, de l’autre : "Avant, on n’avait pas à penser à l’avenir et moins encore à ce qui était important, à savoir : que deviendrions-nous si nous perdions tout ?"

Perdre tout ? Un confort matériel, et seulement matériel qui nous permet seul de tenir debout ?

 

***

 

  Hyper-matérialisme, absence de transcendance, cinéma sans dépassement, cinéma refermé sur lui-même et sur la sociologie de ses personnages...

 

 Et Dieu dans tout cela ?

 

Il semblerait que d’autres, en revanche, est déjà anticipé cette question ; faut dire qu’ils ont eu tout le temps d’y penser, laissés sur le bord de la route qu’ils étaient pendant toutes ces années à la « Claude Sautet » au rythme du tic-tac d’une bombe à retardement, nous tous aujourd'hui K.O.

 

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11 réactions


  • Fergus Fergus 3 janvier 2015 09:51

    Bonjour, Serge.

    Bonne analyse du cinéma de Sautet. On peut être séduit ou agacé par ces rassemblements de personnages appartenant quasiment tous aux classes moyennes supérieures. Mais cela n’enlève rien à la maîtrise du cinéaste.

    Et si l’on regarde avec plaisir les films de Sautet, « Les choses de la vie » reste un très grand film.


  • Passante Passante 3 janvier 2015 10:14

    meilleur que le vin reposé, plus fort que la nostalgie même,

    que des adultes.

    mais ici le paradoxe : d’un côté ils vivaient de riens sur rien, mais bien,
    de l’autre nous vivrions mal, de perdre, ces riens.

    y ajouter à partir de là votre erreur pronostique sur l’avenir immédiat
    comme « dissolution des seventies » -
    faux diagnostic sur les seventies, et justement là, les riens :
    votre refoulé, votre sauté du jour c’est 68, 
    or les seventies en france c’est pas les mêmes exact ailleurs, 
    il s’agit, là, de refouler vite, de digérer le coup 68, 
    grand mensonge, splendide cependant, des seventies.

    pourquoi donc s’inquiéter de perdre un mensonge ?
    par ailleurs, les seventies comme floraison réelle s’originent loin, 
    mais surtout dans cette bombe, planétaire, de 68, 
    or nulle explosion de vie ne vient précéder cette reprise dialectique en négatif des seventies 
    que vous dites imminente.

  • Yohan Yohan 3 janvier 2015 14:13

    Pour moi Claude Sautet, ce sont les pelleteuses qui s’activent dans les banlieues, les auberges à 30 bornes de Paris où l’on vient bouffer du sanglier entre copains le samedi soir, les hôtels deux étoiles pour un 5 à 7, la clope au bec pour tout le monde, les bagnoles bruyantes sans ceinture de sécurité. Question, le monde d’aujourd’hui est-il meilleur, sauf l’hypocrisie... ?


    • dithercarmar dithercarmar 3 janvier 2015 20:35

      « Question, le monde d’aujourd’hui est-il meilleur, sauf l’hypocrisie... ? »
      Le monde d’aujourd’hui ne fait que révéler les possibilités manquées d’hier.
      Dans les années 70, la vie c’était : maintenant, tout de suite, on ne connait pas alors on essaye. La ceinture avec les bretelles c’était pour les fontionnaires. D’ailleurs, il était mal vu de devenir fontionnaire (c’était plutôt une tare). Les flics étaient cons et ridicules avec leur képi et uniforme : maintenant ils sont toujours con mais beaucoup plus agressifs et terroristes incitant plus à la haine (violence).
      La lumière de cette époque était plus chaude, un peu jaune mais pas blanche. La religion n’était pas omniprésente et les gens n’en voulaient plus... Donc le sexe plus « ouvert », « libre ».
      Par ailleurs, il existait une catégorie de personnes qui réflechissaient par elles-mêmes, mais ces gens-là n’existent plus aujourd’hui. Les gens s’abordaient plus facilement pour les échanges (y compris d’idées) sans s’agresser forcément.
      Quand aux bagnoles, ce ne sont aujourd’hui que des véhicules.Et encore....
      Et tout ça sans hypocrisie.
      On arrête là parce que....


    • dithercarmar dithercarmar 3 janvier 2015 20:51

      Nous, on est du genre Rhum (un bon vénézuelien) avec un colombo de porc, en écoutant de la bonne zique sur des vieilles (mais top) enceintes menbranes papier.
      Le tout planqué dans la montagne avec ce qui vit autour.
      Salut..


  • TSS 4 janvier 2015 19:45

    Et Dieu dans tout cela ?

    Que vient faire dieu dans cette histoire ?


    • Serge ULESKI Serge ULESKI 5 janvier 2015 11:29

      Dieu ou la métaphysique... si vous préférez...

      Dieu ou la transcendance...

      Quelque chose qui nous « dépasserait »...

      Quelque chose au-dessus de nous...

      Quelque chose vers lequel lever la tête...


  • Serge ULESKI Serge ULESKI 5 janvier 2015 11:30

    Quelque chose qui serait plus grand que nous... qui nous dépasserait disons d’une tête, sinon deux.


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