mercredi 24 octobre 2018 - par Clark Kent

Retrait du FNI : ici, on joue en cash-game

Le traité sur les Forces Nucléaires à portée Intermédiaire (FNI en français, INF en anglais) était un traité visant le démantèlement, par les États-Unis et l'URSS, de missiles à charges nucléaires et à charges conventionnelles signé à Washington par Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev le 8 décembre 1987, ratifié par le Sénat des États-Unis le 27 mai 1988 et entré en vigueur le 1er juin de la même année.

En 2007, Vladimir Poutine l'a mis en cause comme desservant les intérêts de la Russie.

En octobre 2018, Donald Trump a annoncé qu'il retirait les États-Unis du traité.

Cela signifie que cet accord historique vieux de 31 ans rejoindra dans la poubelle de l'histoire deux autres accords destines à éviter que les puissances nucléaires anéantissent toute forme de vie sur terre, le traité de 1972 sur les missiles anti-balistiques entre l’Union Soviétique et les États-Unis dont ce dernier état s’est retiré en 2002, et le plan d'action global commun de 2015 qui visait à empêcher l'Iran de développer des armes nucléaires dont les États-Unis se sont retirés en mai de cette année.

 

Le traité de 1987 interdisait à Washington et à Moscou de posséder, de produire ou de tester des missiles de croisière au sol d'une portée entre 500 et 5 500 km. Les missiles interdits en vertu de cet accord étaient capables de détruire les cibles ennemies, et du même coup des dizaines de millions de civils, en un rien de temps.

Le FNI a permis de sortir de l’impasse de la course aux armements de la guerre froide et de débloquer une situation qui a permis une détente entre les grandes puissances. Non seulement il interdisait la détention et l’utilisation d'armes nucléaires meurtrières, mais il avait mis en place des protocoles de vérification précis pour garantir la conformité des arsenaux des puissances signataires. Dans la pratique, cet accord avait tout simplement éliminé la possibilité, que l’Europe devienne la zone de croisements d’un affrontement nucléaire sans précédent. 

Le président Trump a déclaré avoir décidé de renoncer à cet accord en s’appuyant sur deux arguments contradictoires. D’une part, pour lui, la Russie le violait déjà, et d’autre part, pour lui, la Chine qui possède ses propres armes nucléaires terrestres à courte et moyenne portée aurait dû être partie prenante d’un tel accord qui ne limitait que les capacités nucléaires de la Russie et celle des États-Unis.

Sur le premier point, les États-Unis estiment que le système de missile russe Novator 9M729, doté de capacités nucléaires, surnommé SSC-X-8 par l'OTAN, est une violation de l'accord de 1987 car il a une portée de plus de 500 km - le seuil fixé par le traité FNI. De leur côté, les Russes indiquent que leur nouveau système de missiles a une portée beaucoup plus courte, bien en deçà de ce que permet le traité, sans fournir d’éléments pour le prouver. Mais pourquoi ne pas avoir eu recours aux procédures de vérification ou à d’autres moyens diplomatiques pour amener la Russie à se conformer aux conditions du traité ? Maintenant que les Etats-Unis (et donc l’OTAN) ont choisi d’abandonner l’accord, ils n’ont plus aucun moyen de contraindre les Russes à se conformer à la loi.

Pour leur part, les Russes disent que ce sont les États-Unis et non eux qui ont violé le traité pour la première fois, en déployant des systèmes de missiles à travers l'Europe et en provoquant une escalade.

Et en effet, la première fois que les États-Unis ont réellement exprimé leurs préoccupations concernant d'éventuelles violations de la part de la Russie, c'était en 2014, mais un an auparavant, ils avaient annoncé leur décision de déployer des défenses antimissiles balistiques en Europe. Les défenses antimissiles ont peut-être conforté les Américains dans leur sécurité, mais ils ont surtout amené les Russes à se sentir menacés et à développer des moyens pour neutraliser ce bouclier antimissiles. Or les missiles nucléaires à portée intermédiaire en cause répondraient assez bien à cet objectif.

Quels que soient les responsables du démantèlement du traité FNI, on constate encore une fois que, depuis l'intervention de la Russie en Ukraine en 2014, les relations russo-américaines se détériorent progressivement, et l’accusation d'ingérence de Moscou dans l'élection présidentielle américaine de 2016 et sa tentative présumée d'empoisonner un ancien espion en Grande-Bretagne n'ont pas amélioré la situation.

 

Quelles sont les perspectives maintenant ?

“Logiquement”, la course aux armements entre la Russie et les États-Unis devrait s'accélérer, et les concepteurs d'armes russes et américains n’ont probablement pas attendu cette levée des restrictions pour se mettre au travail. La nouvelle génération d’armes nucléaires terrestres courtes ou intermédiaires pourra être développée ou modifiée à partir de plates-formes marines ou aériennes existantes et l’incitation sera de les redéployer autour de l’Europe des deux côtés, ce qui rappelera aux plus anciens la situation de tension qui existait dans les années 1980, quand l’Europe était devenue le champ de manoeuvres d'un jeu de défi entre les États-Unis et l'Union soviétique. 

On peut dès lors craindre la remise en cause du traité de réduction des armements stratégiques de 2010 entre les États-Unis et la Russie, qui fixe des limites au nombre de missiles à longue portée et de plates-formes de lancement, et sur lequel Trump a déjà émis des réserves, probablement parce qu'il a été rédigé sous la direction d’Obama.

Il sera très difficile d'inverser la situation et d'éviter une nouvelle et intense course aux armements entre la Russie et les États-Unis.

Une course aux armements pourra-t-elle être enrayée par la signature d’un nouvel accord plus intéressant avec la Russie, qui inclurait également la Chine comme l’envisage la Maison Blanche ? Il est peu probable que la Chine accepte un accord sur les armes nucléaires terrestres courtes et intermediaries à un moment où les deux pays sont en pleine guerre commercial, que les négociations en cours avec la Corée du Nord sont en suspens, et que des préparatifs déjà bien advances annoncent des affrontements en mer de Chine méridionale.

Il ne sera pas plus facile de convaincre les Russes de signer un accord similaire à celui de 1987 si l'administration Trump refuse de reconnaitre le bien-fondé des raisons pour lesquelles ils ont créé le système Novator 9M729 et de négocier une solution permettant aux deux parties de se sentir en sécurité. 

Pour envisage la signature d’un tel accord tripartite, un climat de confiance réciproque est indispensable. Or l’ambiance actuelle ressemble davantage à celle qui règne autour d’une table de poker qu’à celle d’une salle des mariages. Surtout quand on joue en cash-game où chacun a la liberté de quitter la table et d'échanger ses jetons contre de l'argent.



9 réactions


  • leypanou 24 octobre 2018 08:31
    et le plan d’action global commun de 2015 qui visait à empêcher l’Iran de développer des armes nucléaires dont les États-Unis se sont retirés en mai de cette année : en vertu de quoi certains pays s’arrogent le droit d’avoir toutes les armes possibles et imaginables et interdisent à certains autres de faire pareil ?

    Sur ce point, la Russie et la Chine ne valent pas mieux que les autres et elles ont voté la dernière sanction du Conseil de Sécurité contre la Corée du Nord.

    • Clark Kent Chourave 24 octobre 2018 08:49

      @leypanou

      ... et les Européens, pour la plupart membres de l’OTAN disent « amen » au fait de servir de champ de bataille à une puissance qui considère son propre territoire comme un « sanctuaire » !

      Non seulement l’« Europe » n’existe pas sur le plan géopolitique, mais les petites monarchies (France comprise) font allégeance à un suzerain qui les méprise et s’arroge le droit de disposer de leurs fiefs.

  • zygzornifle zygzornifle 24 octobre 2018 16:17

    La France offre une prime a la casse pour vos vieux missiles ....


  • zygzornifle zygzornifle 25 octobre 2018 10:37

    “Logiquement”, la course aux armements entre la Russie et les États-Unis devrait s’accélérer


    La France fabrique des armes mais les Russes et Américains ne leur font pas confiance et de toute façon elles sont dépassées eux au moins achètent chez eux .....

  • microf 25 octobre 2018 17:01
    La photo sur les deux personnages, en dit très long...
    Le Président Poutine fait une mine, dépité, découragé, désabusé, pendant que le Président Trump est figé, perdu.

    Pauvre monde.

    • leypanou 25 octobre 2018 18:57

      @microf


      Poutine a l’air de se dire « ce type est vraiment irrécupérable », comme il avait dit une fois : « comment voulez-vous discuter avec des gens qui confondent l’Autriche et l’Australie ».

    • Clark Kent Chourave 25 octobre 2018 20:25

      @leypanou

      La blague préférée de Poutine date de l’époque soviétique.

      Un espion vient à la Loubianka (QG de la police secrète soviétique à Moscou) et dit : 
      — Je suis un espion, je veux me rendre. 
      — Pour qui travaillez-vous  ? 
      — L’Amérique.
      — Bien, allez au bureau 5. 
      Il va au bureau 5 et dit : 
      — Je suis un espion américain et je veux me rendre.
       — Etes-vous armé  ?
      — Oui, je suis armé. 
      — Allez au bureau 7, s’il vous plaît. 
      Il va au bureau 7 et dit :
      — Je suis un espion américain, je suis armé et je veux me rendre. 
      — Allez au bureau 10. 
      Il va au bureau 10 et dit : 
      — Je suis un espion et je veux me rendre  ! 
      — Avez-vous des contacts avec les Américains  ? 
      — Oui. 
      — Allez au bureau 20. 
      Il va au bureau 20 et dit : 
      — Je suis un espion, je suis armé, je suis en contact avec l’Amérique et je veux me rendre. 
      — Avez-vous été envoyé en mission  ? 
      — Oui. 
      — Alors, allez remplir votre mission  et arrêtez d’embêter les gens pendant qu’ils travaillent  ! 

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