mardi 17 novembre 2020 - par Bruno Hubacher

Richard Stengel is watching you

 

La parole est libre. A condition qu’elle soit convenable.

Pendant que la gauche « progressiste » en Europe se déchire sur la question à qui la donner, la parole, outre-Atlantique on s’affaire d’ores et déjà, en catimini, sous les auspices de la nouvelle administration, à bien l’encadrer. Sachant qui contrôle la communication numérique planétaire il y a de quoi s’inquiéter.

Ancien rédacteur en chef du magazine « Time » entre 2006 et 2013 et ancien Sous-secrétaire d’Etat à la « diplomatie publique » dans l’administration Obama entre 2013 et 2016, Richard Stengel est appelé à nouveau à occuper une fonction publique, celle de « watchdog » des médias, à la tête de l’USAGM ou « Broadcasting Board of Governors », dans l’équipe de transition du nouveau président.

Dans le domaine des relations internationales, la « diplomatie publique » est une discipline qui date de l’époque de la Guerre froide, ayant pour but « d’encadrer » la communication gouvernementale en matière de politique extérieure, notamment à l’intention des peuples étrangers, soit à travers de médias, émettant dans leur langue et sur leur territoire, tels que « Radio Free Europe », « Voice of America » ou « Radio Free Asia », tous à l’origine crées par la CIA d’ailleurs, soit à travers de groupes de réflexion (think tanks) tels que « Atlantic Council », accessoirement vérificateur de faits pour « facebook », « Council on Foreign Relations » ou, plus tard, le « think tank » néolibéral « National Endowment for Democracy », ainsi qu’à travers des réseaux humains au sein des élites (universités, cinéma, littérature). 

Fondée en 1953 par le président Dwight Eisenhower, la « United States Information Agency » finançait, entre autres, une campagne médiatique contre le gouvernement guatémaltèque du président Jacobo Arbenz pour préparer l’opinion publique américaine à un coup d’état, orchestré par la CIA. (Wikipedia) Church Committee 1975, Operation Mockingbird (1)

Transformée en 1999 en « Broadcasting Board of Governors » ou « US Agency for Global Media » USAGM, dont Richard Stengel est censé préparer « l’après Trump », est une agence de régulation indépendante sous la responsabilité du gouvernement des Etats-Unis, chargée du contrôle les radios et télévisions internationales, financées par les pouvoirs publics.

Dans une intervention devant un parterre du « think tank » « Council on Foreign Relations » en 2018 Richard Stengel révéla le fond de sa pensée, en déclarant que, je cite « mon poste en tant que Sous-secrétaire d’état fut essentiellement celui d’un propagandiste en chef. Je suis favorable à la propagande. Toutes les nations font de la propagande, même à l’intention de leur propre population, ce qui est plutôt une bonne chose. » fin de citation

Devant un autre parterre, celui du « Atlantic Council » cette fois, le 16 octobre 2019, il déclara, je cite : « Nous (les Etats-Unis ndlr) avons perdu la bataille globale contre la désinformation qui a empoisonné les élections de 2016 (Russiagate ndlr) et nous devons faire en sorte à ce que nous regagnions le contrôle (sur l’information ndlr) ».

Mister Stengel songe également à « repenser le sens du Premier amendement de la Constitution », amendement interdisant au Congrès américain de légiférer contre la liberté d’expression, de presse, de religion, ainsi que le droit de s’assembler pacifiquement. (Grayzone)

Il faut dire qu’à ce stade il avait déjà bien préparé le terrain en tant que Sous-secrétaire d’état dans l’administration Obama en équipant toutes les ambassades américaines de « profils numériques » sur tous les réseaux sociaux dans le but de « façonner l’image digital des Etats-Unis » à travers le monde.

Le tabloïd new yorkais « The New York Post », déjà à l’origine de sulfureuses « révélations » au sujet du fils prodige du nouveau président, s’étonne des projets du nouveau propagandiste en chef qui veut faire du « discours haineux » un crime. Tiens, cela rappelle quelque chose.

Richard Stengel voit deux exceptions, toutes personnelles, au droit à la liberté d’opinion et d’expression, en cas de blasphème, Mr. Stengel pense à l’autodafé du Coran, et la désinformation russe qui aurait sévi pendant les élections présidentielles de 2016. « Ce n’est pas parce que tout le monde a un « mégaphone » (facebook ndlr) qu’il peut dire ce qu’il veut. »

Mr. Stengle sera secondé dans ses efforts par des volontaires dépêchés par Airbnb, Alphabet, Amazon, facebook, Dell, DropBox, Linkedin, Lyft, Stripe et Uber.

(1) https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/mockingbird-de-qui-se-moque-t-on-227577&nbsp ;



2 réactions


  • robert 17 novembre 2020 16:39

    Intéressant, j’ai entendu ce matin sur FInter qu’ils allaient mettre en ligne leurs émissions sur différentes plateforme notamment américaine. A la question pertinente de la journaliste : « pourront-ils modifier les contenus ? » la directrice est restée pour le moins réservée....


  • Clark Kent Séraphin Lampion 17 novembre 2020 17:07

    « Pendant que la gauche « progressiste » en Europe se déchire sur la question à qui la donner, la parole, outre-Atlantique on s’affaire d’ores et déjà, en catimini, sous les auspices de la nouvelle administration, à bien l’encadrer. »

    Pourquoi n’avez-vous pas mis de guillemets à « gauche » ?

    En fait, en Europe, la « gauche » en matière de politique s’est calquée sur la grille officielle étasunienne bipolaire : un groupe qui affiche des convictions de tolérance « sociétale » (et non pas sociales) qui n’ont rien de « progressistes » : ne pas être raciste, homophobe et/ou machiste n’est pas progressiste mais « humaniste », si l’on veut, et l’autre groupe qui affiche une préférence WASP.

    L’un a mauvaise conscience, l’autre non, mais la tartufferie des « démocrates » ne peut pas dissimuler leur attachement viscéral, comme les « républicains », non seulement à l’économie de marché, mais aussi à la privatisation de tout ce qui n’est pas fisc et armée (pas la police qui est de plus en plus relayée par des milices communautarises, et donc privées).

    Comme les règles du jeu de l’empire sont définies outre-Atlantique, les larbins européens ne font que singer leurs maitres pour ce qui est de savoir qui est éligible ou non pour s’exprimer. Mais à force de zèle ils en sont souvent la caricature ?


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