Robert Brasillach : martyr de la liberté d’expression ou criminel de guerre ?
Janvier 1945. Paris panse ses plaies, encore fumantes, d'une guerre qui l'a déchirée. Dans la capitale libérée mais hantée par le spectre de l'Occupation, un procès hors-norme s'ouvre. Robert Brasillach, jeune prodige des lettres françaises, figure de proue du journal collaborationniste "Je suis partout", comparaît devant la Cour de justice de la Seine. Accusé d'intelligence avec l'ennemi, il risque la peine capitale. Son crime ? Avoir manié la plume comme une arme, au service d'une idéologie mortifère. Mais derrière le polémiste virulent, se cache un artiste sensible, un poète à l'âme tourmentée. Le procès Brasillach, c'est le choc frontal entre la justice, avide de vengeance, et la liberté d'expression, bafouée puis réprimée avec une violence inouïe.
Un homme à abattre : Brasillach dans le collimateur de l'épuration
Dès la Libération de Paris, Robert Brasillach devient un homme traqué. Ses écrits haineux, son antisémitisme forcené et ses appels répétés à la collaboration avec l'Allemagne nazie lui ont valu une place de choix sur la liste noire des collaborateurs. Arrêté le 14 septembre 1944, il est incarcéré à la prison de Fresnes. L'instruction de son dossier est menée tambour battant. L'opinion publique, encore sous le choc de l'Occupation et des atrocités commises par le régime nazi et ses affidés français, réclame justice. Brasillach, avec sa plume acerbe et son talent de polémiste, incarne à lui seul la Collaboration intellectuelle et la trahison des élites. Son procès s'annonce comme un règlement de comptes, une catharsis collective pour une nation meurtrie.
Pourtant, Brasillach n'est ni un homme politique, ni un militaire. C'est un écrivain, un poète, un critique littéraire reconnu pour son talent précoce. Normalien brillant, il fréquente les cercles littéraires parisiens et se lie d'amitié avec de grands noms comme Jean Cocteau, Maurice Sachs ou Thierry Maulnier. Son engagement politique à l'extrême droite, son nationalisme exacerbé et son antisémitisme virulent le conduisent à rejoindre les rangs du journal "Je suis partout" dès 1934. Il en devient rédacteur en chef en 1937, transformant l'hebdomadaire en un organe de propagande nazie et en une tribune où s'étalent les plus viles attaques contre les Juifs, les résistants et les démocrates.
Durant l'Occupation, Brasillach ne se contente pas d'écrire. Il prend la parole lors de meetings, participe à des émissions de radio et collabore activement avec la Propagandastaffel, l'organe de propagande du régime nazi. Son engagement est total, fanatique. Il appelle à l'extermination des Juifs, justifie les crimes de guerre allemands et glorifie le "nouvel ordre européen" instauré par Hitler. Ses articles, ses discours, ses poèmes sont autant d'appels à la haine et à la violence. Il se fait le chantre d'une France purifiée, régénérée par le national-socialisme. Une France où il n'y aurait plus de place pour les "étrangers", les "déviants", les "traîtres".
"Intelligence avec l'ennemi" : l'accusation accable Brasillach
Le procès s'ouvre le 19 janvier 1945 devant la Cour de justice de la Seine. L'atmosphère est électrique. La salle d'audience est comble. Journalistes, résistants, victimes du régime de Vichy se pressent pour assister à la chute de celui qui fut l'un des plus fervents propagandistes de la Collaboration. L'accusation est représentée par le procureur général André Mornet, figure complexe de l'épuration, incarnant les contradictions de cette période trouble. S'il a requis la peine de mort contre Brasillach avec une sévérité intransigeante, il n'en reste pas moins qu'il a occupé des fonctions importantes sous le régime de Vichy, participant notamment à l'élaboration du statut des Juifs de 1940 et à la révision des naturalisations. Si son attitude a pu être ambiguë durant l'Occupation, il n'en demeure pas moins qu'il a été révoqué de ses fonctions en 1941 pour avoir refusé d'appliquer certaines lois discriminatoires, témoignant ainsi d'une forme de résistance au régime.
Mornet appuie son acte d'accusation sur des preuves accablantes : les articles de Brasillach dans "Je suis partout", ses discours, ses émissions de radio, ses contacts avec les autorités allemandes. Il démontre l'implication directe de Brasillach dans la propagande nazie et son rôle dans la persécution des Juifs. Il rappelle les appels au meurtre lancés par Brasillach dans ses articles, les dénonciations nominatives de résistants et de Juifs qui ont conduit à leur arrestation et à leur déportation. Mornet ne fait pas dans la demi-mesure. Il qualifie Brasillach de "traître à la patrie", d'"ennemi du peuple français", de "criminel de guerre". Il réclame la peine de mort.
"Je suis un écrivain, pas un assassin !" : la défense de Brasillach
Face à l'accusation, Brasillach choisit de se défendre seul. Il refuse l'assistance d'un avocat, préférant plaider sa propre cause. Son attitude est arrogante, provocatrice. Il nie toute responsabilité dans les crimes du régime nazi et se présente comme une victime de la "terreur intellectuelle" qui règne dans la France libérée. Il affirme n'avoir fait qu'exprimer ses opinions, aussi controversées soient-elles. Il revendique sa liberté d'expression et dénonce l'hypocrisie de ceux qui, après avoir collaboré avec l'occupant, se draperaient maintenant dans les habits de la résistance.
Malgré son attitude de défi, Brasillach ne parvient pas à convaincre. Ses arguments sont jugés faibles, ses dénégations peu crédibles. Les témoins à charge se succèdent à la barre, confirmant l'engagement collaborationniste de Brasillach et ses propos antisémites. Parmi eux, Maurice Bardèche, ancien collaborateur de Brasillach à "Je suis partout", qui témoigne de l'antisémitisme violent de l'accusé et de ses appels au meurtre des Juifs.
La défense de Brasillach, si elle est vaine sur le plan juridique, n'en est pas moins captivante. L'écrivain fait preuve d'une grande intelligence, d'une culture impressionnante et d'un certain charisme. Il se pose en martyr de la liberté d'expression, en victime d'une justice expéditive et vindicative. Il parvient à émouvoir une partie de l'opinion publique et à susciter la sympathie de quelques intellectuels et artistes. François Mauriac, Jean Cocteau, Max Jacob plaident en sa faveur, soulignant son talent littéraire et demandant la clémence du tribunal.
Le verdict : la mort d'un poète
Après seulement 5 heures d'audience et une délibération de 20 minutes, le verdict tombe. Robert Brasillach est déclaré coupable d'intelligence avec l'ennemi et d'atteinte à la sûreté de l'État. Il est condamné à mort. La nouvelle de sa condamnation provoque un véritable séisme dans le monde littéraire et intellectuel. Des voix s'élèvent pour dénoncer une justice politique, une vengeance masquée sous les traits de la légalité. Des pétitions circulent, demandant la grâce de Brasillach. Mais le général de Gaulle, chef du Gouvernement provisoire de la République française, reste sourd aux appels à la clémence. Il refuse de commuer la peine de Brasillach, estimant que "la justice doit passer".
Le 6 février 1945, à l'aube, Robert Brasillach est fusillé au fort de Montrouge. Il a 35 ans. Sa mort marque la fin d'une époque, celle de la Collaboration intellectuelle et de l'illusion d'une "révolution nationale" menée main dans la main avec l'Allemagne nazie. Elle ouvre une nouvelle ère, celle de la reconstruction et de la réconciliation nationale. Mais le procès Brasillach continue de hanter la mémoire collective française, posant des questions fondamentales sur la liberté d'expression, la responsabilité des intellectuels et les dangers de la haine et du fanatisme.