mercredi 14 octobre 2020 - par Bertrand Loubard

Rwanda : du 01-10-1990 au 01-10-2020 : « La guerre de trente ans africaine ». (2/2.1)

Dans ma précédente « livraison » j’avais esquissé les grandes lignes de l’« ère » qui a précédé le Génocide des Tutsis du Rwanda et j’évoquais celle qui a suivi la « libération » de ce même Rwanda, c’est-à-dire l’ère des « Des deux guerres mondiales d’Afrique Centrale » comme cette période, de 1993 à 2003, a été appelée par les Congolais eux-mêmes.

Mais cet effroyable trentième anniversaire de l’invasion du Rwanda le 01/10/1990, correspondait également avec un aussi triste dixième anniversaire le 01/10/2010 : celui de la publication du « Mapping Rapport[1] » que Navanethem Pillay[2] (ancienne membre du TPIR)[3] a rédigé et qui reprend les termes « qualifiant de génocide possible » les crimes commis par le FPR en RDC[4], s’ils devaient faire l’objet d’une incrimination à la CPI (ce qui ne sera « vraisemblablement » jamais le cas !). Il s’agissait, dans ce « Rapport » de ces deux guerres Mondiales d’Afrique Centrale dont je parlais précédemment ... Ce « Rapport », comme l’avait prédit Aldo Ajelo[5] a été enterré[6] ... On se demande comment cette prédiction d’Ajelo a-t-elle été possible et pourquoi elle s’est réalisée[7] si discrètement .... Serait-ce parce que les USA y seraient indirectement pointés du doigt. Peut-être ! Tant l’implication US dans le déclanchement et la non-intervention dans le Génocide semblent bien évidentes, 26 ans plus tard, comme tendraient à le prouver les faits suivants :

1) la présence de troupes US provenant de Stuttgart (Africom de l’époque, actuellement en Tunisie ?) plusieurs jours avant l’attentat du 06/04/1994, événement déclencheur du Génocide. Cette présence n’a jamais été niée ni expliquée, mais bien attestée par les membres des troupes spéciales de l’USS Peleliu arrivant de Mogadishio à Bujumbura via Mombassa et « entrant en conflit de voisinage » avec leurs compatriotes qui les avaient précédés là .... en attendant quoi ?

2) la mobilisation des troupes héliportées en vue d’un débarquement amphibie depuis l’USS Peleliu à Mombassa jusqu’à Bujumbura (Operation Distant Runner[8]), au moment de l’attentat, alors que ces troupes auraient dû avoir quitté la Somalie depuis plus de deux semaines. Le Général John Shalikashvili avait fait retarder le départ du Peleliu de Mombassa malgré que ce départ avait été planifié pour le 31 mars 1994, au plus tard, par le plan de retrait de Bill Clinton conçu après le drame « Black Hawk Down » du 03/10/1993 ... Et cela, pour des raisons de sécurité de citoyens et diplomates US ( !!!). Lesquelles raisons, lesquels citoyens et diplomates ?

3) la présence de « quelques deux douzaines de forces spéciales US » à Kigali dans les premiers jours qui ont suivi l’attentat du 06/04/1994, selon Samantha Power[9] ....

4) l’interdiction de l’Administration Clinton d’employer le mot « G » (pour génocide) ....[10]

5) le refus US de renforcer la Minuar et l’exigence du FPR d’évacuer, sous menaces militaires, toutes les troupes étrangères (pour « éviter la présence de témoins non-FPR,-fiables durant le génocide ?)..

Il peut être ajouté à cela que l’ex-Ministre belge des Affaires Etrangères de l’époque, Willy Claeys, et Secrétaire général de l’OTAN (durant un an) ayant maladroitement fait acheter par la Belgique, des « Agusta » (hélicos italiens en lieu et place d’hélicos US), avait été « vidé » de son poste de SG OTAN par le partenaire US. (Il faut reconnaître qu’il y avait aussi eu, alors, des « retro commissions » en faveur du parti Socialiste Belge Flamand de M. Claeys de la part d’Agusta. Le Pentagone et la CIA n’avaient pas voulu surenchérir, surtout au profit d’un parti « socialo-communiste »). Willy Claeys ne s’était pas fait prier, dès lors viré et libre de s’exprimer sans grand danger, pour déclarer comme Boutros Boutros Ghali l’avait fait par ailleurs : "Ce sont les USA qui sont responsables à 100%" .[11] ...... comme Dallaire d’ailleurs[12] l’a également soutenu, ainsi que tant d’autres qui se sont demandés, comme le Colonel Luc Marchal et l’Ambassadeur de Belgique Johan Swinnen : « dans quelle pièce nous avait-on fait jouer ? ».

 

Il a été admis que les condamnés d’Arusha (TPIR) ne l’avaient pas été pour la planification du génocide. Il est également admis que personne n’a été, même parmi, les condamnés mis en accusation pour l’attentat déclencheur du « Génocide ». Cependant en France un procès a condamné à tous les échelons un certain Pascal Simbikangwa

« Ce sont les Hutus qui ont abattu l’avion de Juvénal Habyarimana. Je suis bien placé pour le savoir » : c’est ce qu’a déclaré le capitaine Pascal Simbikangwa, ex-responsable du renseignement intérieur et premier Rwandais à avoir été jugé en France ....  Cette confession inattendue à la psychologue qui l’a examiné, et l’a trouvé sain d’esprit, est passée quasi inaperçue. Jamais revendiqué, l’attentat qui a coûté la vie au président rwandais le 6 avril 1994, donnant le signal du début des massacres, reste une énigme explosive. Une instruction judiciaire est en cours, en France, depuis plus de quinze ans. Trois enquêtes publiées récemment pointent l’implication, directe ou indirecte, de Paris. A charge, bien sûr, mais en rapportant parfois des faits troublants sur cette hypothèse monstrueuse » suivant Maria Malagardis[13] — dans Libération du 4 avril 2014. Pour la première fois un condamné Hutu désigne les Hutus comme « tireurs » de l’attentat et cela ne provoque aucune réaction du côté français puisque à partir de cette accusation les trois rapports dont parle Malagaris auraient dû y faire référence ? A moins que les Hutus coupables selon Pascal Simbikangwa auraient été les « petites mains » de la France, de la Belgique, des Usa, du Canada, d’Israël ou du ....FPR !!!! Mais pourquoi ces Hutus ne sont-ils pas nommés ?[14]

Mais à part ces quelques détails de l’histoire il faut également remarquer qu’il y a eu, depuis, lors quelques autres nouvelles à examiner ...

 

1 - D’abord la disparition et la mort probable de Gafiriti (ou Gafirita - nov. 2014), le dernier témoin du juge Trevidic, les avocats de Paul Kagamé (Lev Forster et B. Maingain) ayant reconnu qu’ils avaient fournis les informations nécessaires à la partie gouvernementale rwandaise pour localiser ce Gafiriti. Mais là aussi c’est un détail de l’histoire...comme les assassinats de Seth Shedashonga (ex-bras droit du big patron du FRP Paul Kagamé), de Gapyisi, de Karegeya, de Lizinde, de Gatabazi, Dusabumuremyi (FDU-Inkingi, parti d’opposition non reconnu), de Staelens, de Ngeze. Etc ; ? Etc ; ... Mais ce ne sont là que quelques une des pointes anciennes des icebergs rwandais déjà presque oubliées.....

 

2 – « La Cour d'appel de Paris a confirmé le 03 juillet 2020 le non-lieu rendu après vingt ans d'enquête sur l'attentat contre l'avion du président rwandais Juvénal Habyarimana.

Les avocats de la famille Habyarimana et de celles de l'équipage français de l'avion ont immédiatement annoncé qu'ils formaient un pourvoi en cassation contre cette décision.

A défaut d'un procès immédiat, ils espéraient a minima que la Cour ordonne la réouverture des investigations, afin que la justice française se fasse communiquer un rapport secret de 2003 du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), qui attribuait la responsabilité de l'attaque au clan Kagamé. Il a dénoncé une "chape de plomb" et "une connotation politique omniprésente" dans ce dossier, citant des propos récents du président Kagamé. "Vouloir rouvrir un dossier classé, c’est vouloir créer des problèmes", avait mis en garde cette semaine le président rwandais dans un entretien à l'hebdomadaire Jeune Afrique, au sujet de cette affaire qui empoisonne les relations diplomatiques franco-rwandaises depuis plus de 20 ans[15] ».

 

3 - Le 17 février 2020 c’est Kizito Mihigo, chanteur de gospel, auteur de chants liturgiques, organiste et compositeur rwandais militant pour la paix et la réconciliation, qui a été « suicidé » dans la prison « 1930 de Kigali » ... un peu comme Jeffrey Epstein en août 2019 à New York ....

 

4 - Dernièrement Félicien Kabuga, « financier du Génocide », un des derniers fugitifs recherchés par le TPIR a été arrêté en France qui le remettra au « Mécanisme »[16] .... « En mai 2001, le Bureau du procureur a tenté d’élargir ses recherches jusqu’au plus haut niveau du pouvoir. Un programme de travail a été transmis au ministre de la Justice avec une liste de noms et d’établissements. Les demandes incluaient des opérations effectuées après la guerre sur des comptes et des biens de personnalités de l’ancien régime décédées, poursuivies ou « recyclées » par les nouvelles autorités. Mais le jour même de la demande, un vent de panique a soufflé au sein des banques, notamment en Belgique, qui ont fait connaître leur totale opposition au plus haut niveau de l’État rwandais. Les enquêtes furent refusées au motif qu’elles pouvaient nuire à la « réconciliation nationale » et à la « reconstruction du pays » car elles susciteraient l’inquiétude de groupes économiques désormais à l’abri d’investigations.[17] Dans ces conditions l’instruction donnera-t-elle de nouveaux éclairages sur la planification du Génocide et surtout sur la réalité de l’attentat du 06/04/0994 ? On peut en douter car Kabuga a 85 ans ; un âge où il est courant de se suicider en prison....

 

5- Récemment c’est, un des derniers bras droits encore en liberté et/ou en vie de Paul Kagamé, le Général James Kabarebe[18], qui a proféré des menaces et intimidations à la télévision nationale rwandaise à l’encontre du Dr Mukwege (Prix Sakharof 2014 et Nobel 2018). Cet homme vit depuis plusieurs années sous la protection de l’ONU. Le film « L’homme qui répare les femmes »[19] qui le présente a connu un très grand succès. Le Dr Mukwege avait seulement rappelé, comme il l’avait d’ailleurs déjà fait à Stockholm, lors de la remise du Prix Nobel ; que le « Rapport Mapping » de Navanethem Pillay dont question ci-dessus, devait connaître la suite normale qu’il méritait ..... C’est-à-dire la création d’un Tribunal Spécial de l’ONU sur le Congo et sur l’histoire de ses trente dernières années où la vérité serait dite et où la justice sera rendue, vérité et justice sans lesquelles il ne peut avoir de paix et de réconciliation réelles.

 

6 – Fin août, c’est au tour du « héros » du film « Hôtel Rwanda », Paul Rusesabagina, à être « kidnappé » à Dubaïe et livré à Kigali via l’avion « personnel » de Kagamé où il a été arrêté .... On espère que son procès fera toute la lumière sur ce qu’il sait et ce dont il accuse le régime rwandais d’avoir été coupable dans les trente dernières années.(Faut-il craindre un suicide ?)

 

7 – Et pour terminer ce sous-chapitre (2/2.1 et en attendant la suite 2/2.2), il faut signaler que le livre « Rwanda : l’éloge du sang », de Judi Rever, journaliste canadienne dont j’ai parlé [20] du livre paru en anglais il y a 2 ans (et en néerlandais il y a 1 an), est enfin édité en français mais après quelques péripéties avec l’éditeur Fayard semble-t-il. Cette sortie suscite de nombreux commentaires et initiatives assez rocambolesques tentant à faire taire Judi Rever. A croire que ce qu’elle dit (ou révèle) fait réellement peur et que pour la faire taire une seule solution serait de la faire arrêter peut-être même la laisser se suicider en prison ...... pourquoi pas ?

 

Mais ce sont surtout les nouvelles peu rassurantes au sujet de la santé physique de Kagamé qui devraient attirer l’attention. Le caractère psychopathologique de la plupart des dirigeants de ce monde ne semble pas avoir épargné la plus part des dirigeants africains. Le harcèlement dont est victime Judi Rever[21] doit sans doute procéder de ce mal dont « tous ne meurent pas mais dont tous sont frappés »

(A suivre ?)

 

[1] Manifestation Rwandaise au Siège des Institutions Européennes à Bruxelles, le 01/10/2020

https://www.youtube.com/watch?v=ia4QxbSG8qg&feature=emb_logo

[2] Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

[4] De 1993 à 2003

[6] “UN mapping Report act of hostility towards Rwanda” https://www.newtimes.co.rw/section/read/25026

[7] Cfr déclaration du Dr Mukwege – Prix Nobel

[8] http://www.apnewsarchive.com/1994/Shalikashvili-Bids-Troops-Farewell-Asks-Navy-to-Remain/id-9865cd2660cf95810578e49c06900522

USS Peleliu (LHA-5) - 11th Marine Expeditionary Unit - Expeditionary Strike Group 3 - Leaving Somalia on 25 March 1994 in :” https://en.wikipedia.org/wiki/Expeditionary_Strike_Group_3

Le 13 mars 1994 “America's top general told a flotilla of sailors and Marines on Sunday they must remain off Somalia's shores for at least another six weeks as a ''security blanket'' for U.S. citizens and diplomats

[9] « A problem from Hell » America and the age of genocide » ISBN 978-0-06-112014-5 p 354

[10] American officials, for a variety of reasons, shunned the use of what became known as "the g-word". https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2001/09/bystanders-to-genocide/304571/

[18] Kabila avait nommé James Kabarebe chef d’état-major général de l’armée congolaise, en 1997.

https://afrique.lalibre.be/45145/rdc-polemique-apres-une-visite-amicale-du-chef-de-cabinet-de-m-tshisekedi-a-kigali/



1 réactions


  • Bertrand Loubard 16 octobre 2020 09:26

    Déjà près de 1.000 visites, score proche de ma moyenne saisonnière ... et toujours pas une réaction, pas de commentaire, un seul « like » (merci) et 5/5 pour les étoiles en 1 vote (merci). Et pourtant il doit encore y avoir beaucoup de pierres (ne fut-ce qu’orthographiques) dans mes lentilles littéraires. C’est à se demander.... !
    Bien à moi.


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