mercredi 25 juin 2008 - par Sandro Ferretti

Sax’ aphone

C’est un fait divers de début d’été, un peu banal, un peu rauque, un peu lourd, comme la longue plainte d’un saxo. D’un sax-aphone, comme disait Bernard Lavilliers dans une superbe chanson sur la mort d’un de ses saxophonistes. La lecture de La Dépêche du Midi du 24 juin nous apprend que le saxophoniste Roger Olio, du groupe Jazzmagnac, est mort en scène d’une crise cardiaque lors du festival de Saint-Clar (Gers). Au quatrième morceau du concert, alors qu’il venait précisément de terminer un morceau en hommage à Jacques Gauthé, musicien français de la Nouvelle-Orléans, lui aussi victime d’une crise cardiaque. Il y a des jours comme cela où l’on se demande si le destin ne boit pas.

D’habitude, les histoires tristes, j’aime bien les écrire, parce qu’elles disent plus que les histoires gaies. Mais là, autant vous l’avouer tout de suite, je ne sais pas quoi dire. D’aucuns vous diront que c’est une belle mort, pour un saxophoniste, de mourir en scène par arrêt de l’arbitre. Je n’ai pas d’avis. C’est comme quand on était gosse, et qu’on se demandait si on préférerait mourir de faim ou de soif.

D’autres parleront de pied de nez du destin, de l’ironie du sort. Ou l’inverse. Pourquoi pas le sort de l’ironie, le nez du destin ou le coup de pied de l’ironie ?

Cette dépêche a été portée par un petit vent du Midi, comme les échos assourdis d’un chorus un soir de Fête de la musique.

Voilà, ce sera donc un court billet pour ne rien dire, ou plutôt pour dire l’inverse.

En hommage à cet inconnu, je laisserai parler Bernard Lavilliers, dans sa chanson - hommage à Eric Letourneux, un de ses saxophonistes décédé en 1978 :

Ta dernière note vibre encore
Et le matin jauni
Change encore de décor
Ton sax désossé
Au rancart de la mort
Pousse un dernier soleil
Vers le sang du dehors
A force de chercher
Une vie essentielle
A force de souffler
Les bougies du réel
A force de tourner
Les cartes du possible
Le printemps a givré
Ta musique invisible
Où joues-tu maintenant ?
Dans quel nuage rauque
Envoies-tu tes chorus
Un peu rauque, un peu doux
Dans quelle cave lointaine
Parleras-tu d’amour
Jusqu’au lever du jour

Je n’y crois pas encore
C’est une fugue un rien
T’es parti comme on sort
Tu vas téléphoner
Avec ta voix qui traîne
Demander des nouvelles
Des petits du poème
Qu’on écrivait ensemble
Dans nos nuits électriques
Tu es parti tout seul
Tu as coulé à pic
(…)

Papillons bleus et noirs
Découpés au couteau
Tournant dans les miroirs
Dévorant les photos
Et mitant ma mémoire
Emportée par le vent
Glacé du désespoir
Je te fais ce cadeau
A l’écriture fragile
Sur cette musique triste
Et belle du Brésil
Avec la voix cassée
Dérisoire inutile
Qui ne réchauffe plus
Ton cœur entre tes cils
T’es parti une fois de trop
C’est difficile
Et tout sera classé
Au fond d’un fait divers
On dit que c’est fini
Que c’est déjà hier
Et on sort prendre l’air

(Bernard Lavilliers, Sax’Aphone, 1978)

Décidément, comme dit Shakespeare dans Mac Beth, "La vie est une histoire, pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot à un sourd, et qui ne signifie rien".

NB : Crédit Photo : DDM.



25 réactions


  • pseudo pseudo 25 juin 2008 13:35

    Pourquoi n’avez vous pas inséré un extrait de sa musique dans votre chronique ? Dommage.

    Merci quand même.


    • Sandro Ferretti SANDRO 25 juin 2008 17:01

      En fait, c’est un ami du Sud-Ouest qui m’a signalé la dépèche, et qui m’a demandé si je ne pouvais pas essayer d’en faire un petit papier un peu plus joli et moins raide qu’une dépèche de presse, pour mieux lui rendre hommage.

      Je ne suis pas sur d’avoir réussi, et en tout cas, je n’ai pas pu trouver de document audio sur le concert ou ce jazzman.


    • sisyphe sisyphe 25 juin 2008 17:16

      Très bel hommage à un musicien

      Et très beau texte de Lavilliers que je ne connaissais pas

      La paix soit en son âme, et la note bleue...


  • ZEN ZEN 25 juin 2008 15:06

    @ Salut ,Sandro

    Mourir sur scène , comme Molière, c’est tout de même mieux que de finir grabataire...

    J’ai un ami qui est mort sur son vélo...C’est ce qu’il souhaitait, m’avait-il dit

    "Les bougies du réel" ne sont pas inépuisables...

    Mais je reste Zen , comme Epicure ("La mort n’est rien..."), comme Montaigne et Tchouang-tseu..


  • Yohan Yohan 25 juin 2008 15:49

    @ salut Sandro

    Bonjour tristesse. Bon, je me dis que le sax doit être un instrument qui fait travailler le palpitant. On oublie que la musique, c’est parfois du sport


    • Olga Olga 25 juin 2008 17:29

       

      Pfffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffffff ffffffffffffff


  • Alexis Brunet Alexis Brunet 25 juin 2008 16:26

    Pour en jouer de temps en temps, je confirme, le saxophone est un instrument physique. Mais, à la lecture de la dépèche mise en lien, et ayant compris (?) que M Orio était tubiste, et, enfin, prenant en compte le postulat précédent que "le sax c’est physique", le tuba, c’est nucléaire ! D’ailleurs, en élargissant, vous seriez surpris des "complications" probables qu’un musicien peut subir : tendinite, fracture de fatigue, calcification des articulations, jusqu’à la rupture d’anévrisme , comme les hautboïstes qui par exemple (il en faut de la pression d’air pour faire sonner un bout de bois comme ça !).

     


  • rocla (haddock) rocla (haddock) 25 juin 2008 17:44

    Beau billet Sandro .

    c’ est drôle j’ écris de Sfax en Tunisie ....


  • Olga Olga 25 juin 2008 17:44

     

    Je saigne un peu.
    c’est douloureux.
    Quelques gouttes
    sur la route.
    J’ai tout perdu.
    Je vais partir.
    Ne plus avoir
    De lendemains.
    Ne
    Plus
    Avoir
    De lendemains.
    De cauchemars
    Sans fin.
    Des larmes
    Sur la route.
    Un petit cœur
    Qui ne bat plus.
    Il a trop peur
    Il...
    Il ne veut plus.
    Il n’aime plus.
    Juste quelques gouttes
    sur la route.
    Ça ne fait plus mal
    On s’habitue.
    On oublie tout
    Pour un instant.
    Juste
    Une
    Dernière
    Goutte
    Sur la route.


    • Sandro Ferretti SANDRO 25 juin 2008 18:06

      Elle est belle, cette route de la déroute.

      C’est de vous ?


    • Olga Olga 25 juin 2008 18:50

       

      SANDRO

      La déroute c’est moi, la défaite aussi, la débâcle également...

      Ce n’est pas très glorieux, mais je ne connais pas la victoire...


  • vinvin 25 juin 2008 17:48

    Bonjour.

    Bien il y a le saxophone, (le sax-aphone de Lavillier,) et poui il y a le sexophone don ma copine joue tout le temps a chaque fois qu’ elle passe la nuit avec moi !............

    Et elle a du souffle, la Miss !.........

     

    Cordialement.

     

     

    VINVIN.


  • luigi 25 juin 2008 19:09

    digne et émouvant, une seule petite rectification Olio n’était pas saxophoniste mais jouait du tuba et soubassophone


    • jack mandon jack mandon 25 juin 2008 19:57

       

       

      @ Sandro

      Shakespeare et son humour subtil et décapant,

      Lavilliers aux accents rauques et percutants,

      Sandro, animateur ludique, dans son drapé d’esthète,

      une espèce de fête de la musique improvisée

      Merci Sandro


    • Olga Olga 25 juin 2008 20:12

       

      @jack

      Je ne sais pas si "fête" est le terme approprié...


    • jack mandon jack mandon 27 juin 2008 10:11

      @ Chère Olga

      Je voulais dire, le roi nous quitte, vive le roi !

      Dans ce sombre tunnel ou vous vous languissez avec beaucoup de grâce,

      il est une issu tendre et apaisante, pivotez légèrement sur vous même...

      sous un autre angle une solide prise s’offre à vous, saisissez-la

      comme une main qui se tend...puis je me permettre, vous respirez mal

      et ne fréquentez pas suffisament le plein air, le grand espace de la nature

      auquel il ne manque plus que votre confiance et votre abandon pour sourire et rire.

      Affectueusement à votre écoute.

      Jack


    • Sandro Ferretti SANDRO 27 juin 2008 10:44

      Jolie musique. Play it again, Jack.

      Je suis sur qu’Olga / Sinéad saura en faire une chanson, la sienne. Elle a les ressources.


    • jack mandon jack mandon 27 juin 2008 14:08

      @ Sandro

      Un petit service, j’ai sorti hier un papier sur : "L’’Homme de la Mancha. Le poète rejoint le mythe."

      Si tu veux jeter un oeil expert et juger du bien fondé de ton estimation, merci Sandro

      Jack


    • Sandro Ferretti SANDRO 27 juin 2008 14:42

      Lu et approuvé hier. Ne sait pas où cela en est.


    • Olga Olga 27 juin 2008 20:36

      Cher Jack

      Vous voyez juste... Merci...

      Je respire mal. Je suis même souvent très proche de l’asphyxie
      Je ne fréquente pas suffisamment le plein air. Ce plein air est un tel vide...
      Je ne fréquente pas suffisamment le grand espace de la nature  : Un tel espace me fascine d’abord et m’effraie ensuite.
      il ne manque plus que votre confiance et votre abandon : confiance totalement cahotique mais trop souvent inexistante ; l’abandon serait fatal...
      Si je sors du tunnel je ne suis plus rien...
      Et même si je le voulais, je crois que le mal est déjà fait.
      J’essaie quelquefois, je m’aventure, je vois la lumière au loin
      Mais c’est pour mieux retomber dans l’obscurité
      Frôler le fond qui se dérobe sans cesse
      Ça ne s’appelle pas vivre mais sousvivre
      On ne croise plus personne à ces profondeurs
      Quelques notes brisent le silence parfois
      C’est peut-être une illusion, une voix d’ailleurs
      Je cherche, je scrute ce que j’imagine être le haut
      Bien sûr il n’y a rien, ni aujourd’hui ni demain
      Alors on fait semblant et certains me croient vivante
      Je m’en veux de leur mentir pour ne pas les peiner
      D’autres ont tout compris et ne le supportent pas
      C’est ainsi, je ne peux vivre que tout en bas.


  • vinvin 26 juin 2008 21:40

    Aucun sens de l’ humour.........

     

    V.....


  • Estelle 28 septembre 2008 23:24

    Sax’ aphone : Jeu de mots intéressant, qui le serait d’autant plus s’il était exact. Cet article est basé sur l’article de La Dépêche du Midi du 24 juin 2008 ? Si c’était le cas, vous auriez noté que Roger Olio s’il est effectivement mort sur scène à Saint-Clar dans le Gers le 22 juin 2008, l’a été en jouant du tuba et qu’il était trompettiste de formation en plus des nombreuses cordes instrumentales qu’il avait à son arc. Mais peut être avait vous été plus attaché au jeu de mots pré cité et plus inspiré par la chanson de Bernard Lavilliers que par ce drame pour vous rendre compte de l’essentiel : Roger Olio était un musicien de jazz talentueux et reconnu. Un artiste comme l’on en fait peu, et un homme rare de par la valeur de ses qualités ET de ses défauts. J’ose croire que votre erreur n’était pas mal intentionnée et que cet article est né d’une réelle attention qu’en à ce malheur. Et si je me permets de répondre ainsi à votre article, c’est que pour tout ceux qui l’ont côtoyé aussi bien professionnellement que personnellement l’exactitude a son importance. Merci de votre compréhension. Estelle, sa nièce.


    • Sandro Ferretti SANDRO 29 septembre 2008 14:24

      Vous étes d’autant plus pardonnée que l’exactitude est la politesse des rois.
      Je me suis déjà expliqué plus haut dans le fil sur cette inexactitude quant à l’instrument joué, qui fut déjà relevée par d’autres lecteurs.
      Comme vous l’avez pressenti, il s’agissait juste, à la demande d’un ami qui m’a signalé la dépèche, de faire sortir un fait divers banal de l’ombre, au besoin avec "l’accroche " de Bernard Lavilliers et du jeu de mots, pour qu’il soit lu.
      Acceptez mes excuses. Paix à la mémoire de cet homme .


  • Estelle 1er octobre 2008 14:32


    Merci.


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