Sexe et évolution
Certains organismes se divisent en deux cellules filles identiques à la cellule mère, c’est la reproduction par clonage. Ce mécanisme est bien plus efficace que la reproduction sexuée pour assurer une descendance nombreuse ! Pourquoi la Nature l’a t-elle très majoritairement abandonnée ? Pourquoi l’ère post-moderne s’achemine-t-elle de nouveau vers le clonage ?
La Terre est âgée de 4,6 milliards d’années. La croûte terrestre s’est ensuite refroidie et de l’eau a pu se condenser. Lavoisier nommait l’eau « l’agent favori de la nature ». De fait, l’eau constitue un système complexe élémentaire qui met en évidence des phénomènes coopératifs : l’établissement d’une liaison hydrogène entre l’oxygène d’une molécule et l’hydrogène d’une autre change l’état de polarisation des deux molécules du couple et promeut la formation d’autres liaisons hydrogène, conduisant ensuite à des agrégats ordonnés. L’eau est souvent considérée comme étant constituée de morceaux de glace ‘flottant’ dans de l’eau moins ordonnée. Les phénomènes coopératifs sont indispensables à l’apparition de la vie ; l’eau peut être ainsi considérée, du point de vue de la Chimie, comme la plus rudimentaire des formes de vie.
Au sein du milieu aqueux, une vie plus achevée a tôt fait d’apparaître : archéobactéries, algues bleues… Les brins d’ADN (le chromosome) ne sont pas inclus par une membrane, il n’y a pas de noyau contrairement à la quasi-totalité des autres organismes vivants qui apparaîtront par la suite. Archéobactéries et algues bleues constituent les premières étapes de la vie proprement dite, elles apparaissent il y a environ 4 milliards d’années. Leur reproduction se fait par bipartition, ce mécanisme conduit à deux individus génétiquement identiques à l’organisme d’origine. Les cyanobactéries n'ont pas de reproduction sexuée même si des échanges de matériel génétique entre bactéries sont possibles. Le clonage, la division d’une cellule mère en deux cellules filles identiques, va constituer le mode de reproduction des organismes vivants pendant des milliards d’année mais il ne permet guère l’évolution, l’apparition de mutants mieux adaptés aux conditions externes, plus performants, plus à même de créer des collectivités.
Des microbes chlorophylliens apparurent qui étaient capables de transformer le dioxyde de carbone (CO2) en sucres et en oxygène permettant de changer radicalement la nature chimique de l’atmosphère terrestre. Grâce à l’oxygène atmosphérique dissous dans l’eau, la nature des cellules changent et gagnent en complexité. Les sucres engendrés peuvent être dégradés en présence d’oxygène en fournissant des quantités d’énergie impossibles à obtenir par les cellules jusqu’alors. Il y a environ 1 milliard d’années, naissent les cellules à noyau, grandes consommatrices d’énergie, elles permettront un mode révolutionnaire de reproduction avec une entité qualifiée de mâle et une autre qualifiée de femelle. Le sexe est entré dans la Nature. Cette introduction va conduire à une explosion inédite de la biodiversité et favoriser grandement l’évolution de l’ensemble des espèces vivantes. De l’ordre de 1 milliard d’espèces vont être engendrées, seul environ 1% d’entre elles subsiste encore de nos jours.
Les mammifères apparaissent il y a 300 millions d’années, suivront les primates 250 millions d’années plus tard, puis un singe bipède Lucy vieux de 3,2 millions d’années et enfin le premier hominidé du genre Homo datant de 2,8 millions d’années. L’Homo sapiens, toujours doté de la reproduction sexuée, apparaîtra finalement il y a environ 300 000 ans.
La sélection sexuelle n’existe, évidemment, qu’à la condition que les deux sexes de l’espèce soient distinguables. Les femelles sont censées choisir ce qu’elles pensent être le mâle le plus performant pour avoir des descendants optimisés selon ses critères. La probabilité d’avoir, grâce à l’union, une vie plus sûre, moins sujette aux aléas, plus propice aux plaisirs, intervient sans nul doute dans le pari fait.
La reproduction sexuée avec 23 paires de chromosomes chez l’Homme conduit à un peu plus de 8 millions de combinaisons possibles. Mais des échanges de segments de chromosomes peuvent intervenir durant la division cellulaire, alors le nombre de cellules reproductrices différentes peut être considéré comme presque infini. Tous les individus sont donc uniques et normalement irremplaçables !
La Nature aime la diversité car elle permit la survie de l’espèce en cas de difficultés imprévues (ou prévisibles). L’utilisation d’un couple homme-femme est particulièrement indiquée dans ce but. Encore faut-il qu’ils acceptent de s’accoupler en donnant les meilleures chances à leur futur rejeton. La génitalité des hommes varie quelque peu entre frénétique et obsessionnelle tandis que le désir féminin est complexe, fragile souvent fugace. Une dissymétrie offre-demande est souvent observée : admettons pour simplifier que c’est la femme qui opte pour un mâle reproducteur plutôt que pour un autre. Par quoi est-elle attirée : l’allure, son prestige, le caractère posé, la sécurité qu’il dégage, un regard dominateur, un sourire, la pilosité… ? Les paramètres sont multiples et s’enchevêtrent mais la décision est vitale pas seulement pour elle, mais aussi pour l’espèce. Les descendants de celles qui se trompent auront affaire à la sélection naturelle qui ne fait guère de quartier. Mais « Le problème, c’est que les gens intelligents sont pleins de doutes alors que les personnes stupides sont pleines de certitudes. ».
Avant ces préoccupations, l’Homme moderne a quitté l’Afrique il y a plus de 100 000 ans avec une très faible troupe, quelques milliers d’individus tout au plus. La sélection n’est pas seulement naturelle, au sens du plus ‘fort’, ou sexuelle, au sens du plus attrayant, elle concerne aussi les groupes et leur puissance respective. La force d’une collectivité réside bien plus dans sa cohérence, que l’on peut appeler solidarité, qu’en la qualité de ses membres pris individuellement. Cette sélection par le mécanisme de la puissance de groupe s’est illustrée massivement très tôt : lorsque les Homo sapiens ont gagné l'Europe, le continent était peuplé par l'homme de Neandertal : quinze mille ans plus tard, celui-ci avait disparu. Homo sapiens fit alors son chemin pour peupler le reste du monde et une différenciation entre groupes humains (blancs, jaunes, noirs…) se produisit à cause d’une longue séparation géographique entre les peuplements due probablement à un épisode glaciaire.
Des ‘races’ furent postulées pour décrire des classifications internes à l’espèce humaine. Au sein de ces supposées ‘races’, des territoires plus ou moins grands chapeautés par une élite se sont dessinés afin d’organiser le travail dans un système hiérarchique pyramidal. Dans une telle structure, la fécondité d’un couple, son comportement, ses habitudes, ses pensées se fondent presque totalement dans un tout, même si certains tentent plus que d’autres de résister, et peu à peu le comportement individuel est gommé pour ne plus laisser significativement subsister que les aspects collectifs. La coercition et l’éducation sont deux des moyens possibles de rendre semblables des individus qui ne le sont pas : « Seuls les fous et les solitaires peuvent se permettre d'être eux-mêmes. »
L’homme, en tant qu’entité sexuelle, est plutôt nuisible si l’on souhaite obtenir une descendance nombreuse si on le compare au clonage. Les cellules les plus simples se sont perpétuées durant des milliards d’années par ce biais sans évolution très importante. La reproduction sexuée est par contre fort utile pour obtenir une grande biodiversité, d’ailleurs la plupart des organismes vivants ont adopté ce mode de reproduction. Mais lorsque la vie en très grands groupes l’emporte sur celle au sein d’un noyau familial, d’autres mécanismes se mettent en place pour lesquels les gènes, leurs mutations et la sélection naturelle n’ont que des effets secondaires, la pression sociale et les moyens de communication deviennent prédominants.
Les sociétés dites hautement développées maîtrisent techniquement leur fécondité, d’une façon énergique comme lors de la politique de l’enfant unique en Chine, ou plus indirectement en offrant aux femmes des alternatives à leur rôle traditionnel. L’interruption volontaire de Grossesse (IVG), la procréation médicalement assistée (PMA), la gestation pour autrui (GPA) permettent d’influer considérablement sur la hauteur et le type de fécondité d’une population sans que la Biologie y soit pour quoi que ce soit. Dans cette optique, la place de l’homme tend à disparaître, ou à s’atténuer considérablement, indépendamment de tout précepte philosophique, moral ou sociétal. L’homme n’a plus besoin d’assurer la diversité puisque c’est l’uniformité qui est souhaitée. La biologie moléculaire va encore beaucoup plus loin dans cette direction car, avec les ciseaux moléculaires, les génomes synthétiques, la gestation en sacs plastique, c’est d’aussi la femme dont on pourra se passer.
Le post-Homo sapiens régnera seul, seul maître du vide.