samedi 10 février 2018 - par Michel J. Cuny

Sigmund Freud : après l’effet Bernheim, l’effet boomerang…

Avec Sigmund Freud, nous reprenons le fil de l’hypnose du 17 mai 1889 au matin :

« Pour essayer de la débarrasser de cette crainte des animaux, je les passe tous en revue en lui demandant s’ils lui font peur. Pour les uns elle répond « non », pour les autres : « il ne faut pas que j’aie peur. » » (page 924 du PDF)

Dans le second cas, nous savons qu’au moment où Emmy von N… lui fait face, Freud est persuadé de retrouver le résultat de ce que nous pourrions appeler « l’effet Bernheim », c’est-à-dire de la suggestion appuyée qu’il lui a faite d’avoir à s’interdire de s’effrayer pour si peu de choses…

Mais, une nouvelle fois, une note tardive a été ajoutée par Freud lui-même qui n’en finit plus de s’étonner de ses maladresses initiales :
« Ce n’est pas une très bonne méthode que j’ai suivie là. Tout cela n’était pas assez approfondi.  » (Idem, page 924)

De même, revenant sur le retour du bégaiement et du claquement de langue que, dans un premier temps, il croyait avoir éliminés, d’abord, sous l’effet d’une suggestion, puis en atteignant les événements à l’occasion desquels ils s’étaient produits pour la première fois, il rédige une seconde note de correction :
« La malade expliqua elle-même pour quelle raison le succès ne fut pas total. Elle avait pris l’habitude de faire claquer sa langue et de bégayer chaque fois qu’elle avait peur. C’est pourquoi ces symptômes finirent pas être associés, non seulement aux traumatismes initiaux, mais encore à toute la chaîne des souvenirs liés à ces derniers et que j’avais omis de supprimer. » (Idem, page 924)

Cet effet de chaîne est une première découverte de caractère technique. Il signifie qu’il existe une piste dont il faut découvrir le point de départ et le point d’aboutissement, tout en se rendant capable de désigner les jalons qui la spécifie en détail, et de marquer le temps d’arrêt nécessaire à l’interprétation de chacun d’eux. Sur ce dernier point, Sigmund Freud aura très rapidement compris l’importance de la temporalité dans le mouvement que doit suivre l’analyse :
« J’appris alors pour la première fois ce dont je pus avoir d’innombrable preuves par la suite, c’est que, dans la suppression hypnotique d’un délire hystérique récent, les malades, dans leur récit, inversent l’ordre chronologique ; ils décrivent d’abord leurs dernières impressions et les moins importantes, puis arrivent aux émotions primordiales, probablement les plus importantes, parce qu’elles ont déclenchés les troubles. » (Idem, page 925)

Il est donc inutile de se précipiter pour atteindre, dans les meilleurs délais, l’événement initial. Celui-ci doit être retrouvé par le patient lui-même et selon le rythme qui est le sien. Mais, en présence d’Emmy von N…Sigmund Freud n’en est pas encore là. Et lorsque vient pour lui le moment de prendre un peu de recul par rapport à ce premier cas de confrontation avec l’hystérie, il ne peut que s’inquiéter des failles du traitement qu’il a prétendu lui appliquer :
« Comme je ne m’appliquais pas à étudier indépendamment les symptômes morbides et leur origine, mais que j’attendais tranquillement que quelque chose me révélât ses pensées terrifiantes ou que la malade les avouât, les séances d’hypnose devinrent bientôt infructueuses et je ne les utilisai plus que pour lui donner des instructions. » (Idem, page 926)

Sigmund Freud constate donc qu’à refuser de suivre les différentes pistes qui lui ont été offertes durant ces quelques jours, il se trouve dans une impasse dont il ne peut plus se dégager. Ainsi, à force de se comporter comme un chasseur qui tire (à coups de recommandations) sur tout ce qui bouge, il a réussi à faire le vide devant lui… L’hypnose elle-même ne peut plus lui être d’aucun secours dans la pénétration des phénomènes qui échappent à la conscience de sa patiente. L’huître s’est, en quelque sorte, refermée.

Cependant, lui-même en était venu à accorder un crédit illimité à ces oukases en quoi consistaient ses instructions :
« Celles-ci devaient rester toujours présentes dans son esprit, et la prémunir, surtout une fois rentrée chez elle, contre le retour d’états semblables. » (Idem, page 926)

Sans doute madame Emmy von N… est-elle guérie… Après sept semaines de traitement, Freud lui donne son accord pour qu’elle rejoigne son domicile sur les bords de la Baltique… La suite lui reviendra par une voie détournée – mais pas tant que ça :
« C’est au bout de sept mois environ qu’elle donna de ses nouvelles, non à moi, mais au Dr Breuer. Sa santé avait continué à être bonne pendant plusieurs mois, puis une nouvelle secousse psychique était survenue. » (Idem, page 927)

Mais, surtout, une dérivation s’était mise en place qui allait valoir à Freud de perdre l’essentiel de son influence sur les symptômes d’Emmy von N… La fille aînée de celle-ci…
«  avait, à l’image de sa mère, souffert de crampes à la nuque, de légers états hystériques et surtout de douleurs en marchant, par suite d’une rétroversion de l’utérus, s’était fait traiter, sur mon conseil, par le Dr N…, un de nos gynécologues les plus réputés. » (Idem, page 927)

Nous voici donc embarqué(e)s, avec Freud, dans une histoire de médecins…
« Quelque temps après son retour à la maison, les douleurs réapparurent et Mme Emmy s’adressa au gynécologue de la ville universitaire la plus proche, qui fit appliquer à la fillette un traitement à la fois local et général. Ce traitement eut pour conséquence de provoquer chez cette enfant de graves troubles nerveux. » (Idem, page 927)

Ayant réussi, à travers ses « instructions », à faire prévaloir son désir sur une mise en paroles détaillée et pertinente qui aurait été le fait de sa patiente, Sigmund Freud se trouve soudainement balayé du jeu :
« Elle en arriva, par une voie que je n’avais pas prévue, à conclure que le Dr N… et moi-même étions responsables de l’état de sa fille parce que nous lui avions représenté cette maladie grave comme peu inquiétante. Elle supprima, dans une certaine mesure par un acte volontaire, l’effet de mon traitement, et se retrouva aussitôt en proie aux troubles dont je l’avais débarrassée. » (Idem, page 927)

Effet boomerang qui n’allait pas tarder à rétablir le futur inventeur de la psychanalyse dans sa fonction initiale : ayant eu raison des troubles une première fois, pourquoi serait-il incapable de les écarter – même momentanément – une fois de plus ?

NB. Pour comprendre dans quel contexte politique de fond se situe ce travail inscrit dans la problématique générale de l'amour courtois...
https://freudlacanpsy.wordpress.com/a-propos/




Réagir