jeudi 12 juillet 2018 - par Michel J. Cuny

Sigmund Freud dans les interstices de la petite vie de famille

Ayant posé la question de l’impact que peut avoir, sur une jeune vierge, la « première révélation du monde de la sexualité  », Sigmund Freud ajoute une courte note pour nous dire ce qu’a été, pour lui, l’apparition première du rapport causal qui unit la « terreur » devant le fait accompli de cette révélation à une importante production d’angoisse…
« Je traitais une jeune femme souffrant d’une névrose compliquée […]. » (Idem, page 984)

Un jour, elle se décida à répondre à la question qu’il lui avait posée à diverses reprises sur l’origine possible de ses angoisses :
« Je couchais à cette époque dans une chambre attenante à celle de mes parents, la porte était ouverte et une veilleuse brûlait sur la table. J’ai pu voir plusieurs fois mon père entrer dans le lit de ma mère et j’ai entendu quelque chose qui m’a beaucoup frappée. C’est alors que j’ai eu mes premiers accès. » (Idem, page 984)

La note s’achève sur ces mots, et nous en revenons à Katharina de la montagne, tout juste au moment où Sigmund Freud se lance dans l’aventure d’oser devancer les aveux qu’elle tarde à lui faire sur l’origine de ses accès d’angoisse à elle :
« Il y a deux ans, vous avez dû voir ou entendre quelque chose qui vous a beaucoup gênée, que vous auriez préféré ne pas voir. » (Idem, page 983)

La réponse est immédiate et criante de vérité, d’une vérité qui sort tout juste du puits :
« Oh ! doux Jésus, c’est vrai. J’ai vu mon oncle avec cette jeune fille, Franziska, ma cousine ! » (Idem, page 984)

La discussion à bâtons rompus se poursuit :
« — Fräulein Katharina, ce serait bien utile si vous pouviez vous rappeler ce qui s’est alors passé en vous, comment vous avez eu votre premier accès.
— Oui, si je pouvais, mais j’ai eu un tel choc que j’ai tout oublié. » (Idem, page 986)

Entre parenthèses, Sigmund Freud ajoute cette petite note de caractère technique :
« Dans le langage de notre Communication préliminaire, tout ceci signifie que l’affect crée lui-même l’état hypnoïde dont les productions restent ensuite en dehors de toute association avec le moi conscient. » (Idem, page 986)

Ici nous constatons que le moi se trouve présenté comme l’instance de la conscience. Or, pour sa part, l’affect d’angoisse est en situation d’agir en dehors du champ de cette conscience, et de construire son propre système de centralisation d’un certain type d’informations : celles qui viennent se ramifier autour du traumatisme initial, et qui échapperont désormais au moi.

Ce que le moi ne connaît pas se trouve manifesté par des symptômes qui occupent désormais la vie consciente : ils y prennent une place plus ou moins permanente sans qu’on puisse savoir ce qu’ils auraient à dire… Ce qui ne les empêche pas de le dire, mais d’une autre façon. C’est du moins ainsi que Sigmund Freud pressent le processus général qui aboutit à la maladie.

Dans le cas qui nous occupe, Katharina ayant évoqué des vomissements, il revient à sa collaboration avec Josef Breuer :
« Il nous était souvent arrivé de comparer la symptomatologie hystérique à des hiéroglyphes que la découverte de certains écrits bilingues nous avait permis de déchiffrer. Dans cet alphabet, vomissement équivaut à dégoût. » (Idem, pages 986-987)

Un phénomène physique peut donc être le résultat d’une attitude morale, une expression de celle-ci. Témoin d’un comportement choquant du point de vue d’une certaine éthique de vie, il sera toujours possible d’y répondre en affirmant que tout cela était « à vomir »… Une autre façon plus directe d’y faire face consistera dans le fait de vomir effectivement… De l’une à l’autre des méthodes, il paraît bien y avoir une sorte de traduction, sans que nous puissions encore savoir par quel bout commencer…

Quoi qu’il en soit, si Katharina vomit, ne pourrait-elle pas plutôt nous dire ce qui lui est resté sur l’estomac ? Mais, tiens, au fait…
« — Peut-être avez-vous aperçu quelque chose de nu. Comment étaient les deux personnes dans la chambre ?
— Il faisait trop noir pour voir quelque chose, ils étaient habillés tous les deux. » (Idem,, page 987)

Vient ensuite l’ordinaire des propos qui peuvent s’échanger, en présence de leur nièce, entre ces époux dont l’un est devenu l’amant de sa belle fille… désormais enceinte d’une oeuvre familiale des plus confondantes… On imagine Sigmund Freud essayant de démêler le tien du mien pour finir par y voir un peu plus clair dans cette affaire d’un dégoût qui peut, tout à loisir, dégouliner d’un peu partout…
« Puis, à ma grande surprise, Katharina lâche le fil de son récit et me raconte deux séries d’histoires antérieures de deux à trois ans à l’incident traumatisant. La première série comporte des faits où le même oncle chercha à la séduire elle-même alors qu’elle avait 14 ans. » (Idem, page 987)

Du plus croustillant… C’est-à-dire du plus apte à vous faire vomir bien plus tard une jeune fille qui ne croyait plus en savoir autant… De fait, le tonton était vraiment un acharné…
« Elle raconte encore d’autres faits survenus plus tard. Une fois, dans une auberge, elle avait dû se défendre parce qu’il était complètement ivre, etc. » (Idem, page 988)

De plus, il paraît que le gaillard était organisé comme pas deux…
« Après avoir énuméré tous ces souvenirs, elle en évoque immédiatement d’autres. Il s’agit de certaines circonstances où son attention fut attirée par ce qui se passait entre son oncle et Franziska. » (Idem, page 988)

Et ce dégoût, alors ?…

NB. Que l'accueil réservé en France aux travaux de Sigmund Freud dès avant la guerre de 1914-1918 ait été plus que froid - sauf à être coupé de la question de la sexualité -, c'est ce que permet de comprendre l'ouvrage que je viens de publier, et qui est accessible ici.



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