mercredi 4 avril 2018 - par Daniel MARTIN

SNCF : interrogations et errements politiques ?...

Aujourd’hui la SNCF doit faire l’objet de deux réformes. L’une très urgente de réduction drastique de son endettement, l’autre, toute aussi urgente, s’adapter à l’ouverture à la concurrence. La question à laquelle doit répondre le Gouvernement est : comment peut-on faire et quelles solutions, si tant est qu’il y en ait, lesquelles, doit-on privilégier ? 

Il est évident qu’il y a urgence à s’attaquer à la dette abyssale de la SNCF, véritable tonneau des Danaïdes, dont la situation n’a cessé de croître de façon démesurée depuis le 19 ème siècle, pour cumuler aujourd’hui à plus de 54 milliards d’euros et si rien n’est fait à Plus de 60 milliards d’euros de dette en 2025. Son chiffre d’affaires étant de 32,3 Milliards d’euros en 2016 (En progression de +2,8 %) dont un tiers à l’international, malgré un total de subventions 28 milliards d‘euros, une situation de monopole et des facilités comptables. Un endettement qui, par ailleurs, a coûté plus de 1,4 milliard d’euros d’intérêts en 2016, avec en plus un chiffre d’affaire déclinant de 1%.

Le statut juridique actuel de la SNCF qui est remis en cause

En 1983, la Loi d’Orientation des Transports Intérieurs (Loti) a créé l’EPIC, SNCF. Par la suite, la loi du 4 août 2014 a donné naissance au nouveau groupe public ferroviaire unifié, aujourd’hui constitué de trois EPIC (Entreprise Publique Industrielle et Commerciale) : l’EPIC, SNCF - l’EPIC, SNCF Mobilités - l’EPIC, SNCF Réseau

Un EPIC est une entreprise publique chargée de la gestion d’une activité de service public industriel et commercial. Ce statut est également celui de La Cité de la musique, de la RATP, de la Comédie Française ou encore de l'Économat des armées.

Les effectifs des trois EPIC étaient de 146 623 salariés en 2016, alors qu'il y avait 260 000 retraités de la SNCF en 2017, soit 114 000 retraités de plus. Il y a près de deux retraités pour chaque cotisant à la SNCF, alors que dans le secteur privé en France, il y a 1,3 cotisant pour un retraité. Les effectifs de la SNCF ont en effet été divisés par trois en 70 ans et par deux depuis 1980.

Pourquoi supprimer le statut juridique d’EPIC et transformer la SNCF en société anonyme et quelles conséquences ? 

Selon le rapport SPINETTA, commandé par le Gouvernement, cette transformation aurait deux vertus. La première : mettre la France en conformité avec la jurisprudence européenne qui exige une séparation plus stricte entre l'entreprise publique et l'Etat. La seconde : instaurer plus de discipline budgétaire. Jean-Cyril SPINETTA propose que cette transformation soit ouverte uniquement à des capitaux publics. Or, un EPIC suffit à cela. Avec le changement juridique, à terme et malgré les assurances du Premier Ministre Edouard PHILIPPE, l’intérêt d’une Société Anonyme (SA) pour la SNCF c’est précisément d’ouvrir le capital public à des actionnaires privés, comme ce fut le cas de France Télécom, EDF, GDF Suez ou plus récemment Aéroports de Paris. Bien que l’Etat reste actionnaire majoritaire, on peut comprendre les craintes du personnel, car cela signifie pour eux la fin progressive du statut particulier, dont ils bénéficiaient.

Mais avec un nouveau statut de société anonyme, cela pose aussi la question des missions de service public, notamment pour certaines dessertes régionales dites « de vie quotidienne » que la SNCF ne souhaite plus desservir. Si on se réfère au même rapport SPINETTA, elles sont aujourd’hui déficitaires et sont vouées à la fermeture, ce qui n’est guère encourageant pour la reprise par des investisseurs privés, dont l’objectif, outre le fait de diversifier souvent leurs activités, c’est de ne pas perdre de l’argent, mais surtout d’en gagner. 

Pour rappel, depuis plusieurs décennies la SNCF a supprimé de nombreuses circulations de trains et de lignes principalement utilisées pour les transports voyageurs de vie quotidienne, au prétexte qu’elles n’étaient pas rentable et qu’elle préférait privilégier le TGV, se délestant ainsi de sa mission de service public au service des territoires, pour le plus grand plaisir de l’industrie automobile et du transport routier… 

Les transports express régionaux de vie quotidienne font actuellement l'objet de contrats entre les Régions et la SNCF, dont il convient de souligner que les Régions regrettent l’abandon par l’Etat de la moitié du réseau sur les lignes dites « UIC 7 à 9 », petites lignes recouvrant 46% du territoire français, et son absence d’engagement sur le financement de cette partie du réseau ferroviaire ( http://regions-france.org/actualites/actualites-nationales/contrat-de-performance-etat-sncf-reseau-regions-constatent-desengagement-de-letat/ )

Plutôt que de supprimer les lignes déficitaires, comme le recommande le rapport SPINETTA qui semble servir de référence, une mission de service public implique de repenser et développer la politique ferroviaire du quotidien, c’est une nécessité pour mieux desservir le territoire afin de relier les différents bassins de vie entre eux. Pour parvenir à ces objectifs on doit le conjuguer éventuellement avec un mixage de transport en commun routiers en zone rurale quand il est impossible de desservir par rail. C’est une mission de service public qui a, certes un coût, mais que l’on ne saurait sacrifier sur l’autel du seul aspect quantifiable budgétaire, quand on sait que des investissements non utiles sont privilégiés, alors qu’ils sont de véritables tonneaux des Danaïdes sur le plan financier, avec des effets désastreux sur le plan énergétique et en rejets de gaz à effet de serre, type : complexe autoroutiers ou distractifs, tel des parc de loisirs ou les J.O. de 2024 à Paris…

L’avenir ne passe-t-il pas par une réduction drastique des mobilités et par un retour vers le rural, y compris vers des zones actuellement délaissées, ce qui supposerait un regain du ferroviaire de vie quotidienne ?

Outre la maîtrise et la régulation démographique qui s’impose, la nouvelle révolution du numérique va incontestablement contribuer à restreindre les déplacements, mais surtout permettre de stopper les politiques de densification urbaine et des concentrations dans et autour des grandes villes, pour encourager toute une nouvelle génération dite du « Big Data » à réinvestir des zones rurales aujourd’hui délaissées. Bien qu’il soit difficile aujourd’hui de prévoir les nouvelles activités que génèrera cette nouvelle révolution du numérique des mégas-données, comme il était impossible de prévoir dans les années 80 l’émergence des nouvelles activités des plateformes numériques dues à la création et au développement d’internet, on peut toutefois penser que de très nombreuses personnes travailleront à distance sur de nombreux paliers des activités générées par la nouvelle révolution numérique, sans avoir à effectuer les déplacements qu’ils font aujourd’hui. Ce qui va traduire un nouvel attrait des zones rurales où la qualité de vie est meilleure que dans les grandes zones urbaines. Cela suppose la mise en place d’un maximum de desserte ferroviaire et complémentaire par cars pour assurer à ces populations des déplacements, les moins impactant possible pour l’environnement. Certes, cette évolution qui risque toutefois d’être confrontée à la problématique démographique ou les besoins en électricité vont croître démesurément, ainsi que les Terres Rares qui sont aussi une énergie venant du sous-sol. Sans terres rares, pas « d’intelligence artificielle », avec les guerres du pétrole, celles des terres rares en perspectives… Mais il s’agit d’un autre sujet qui ne peut être abordé ici.

L'ouverture à la concurrence résoudra-t-il le problème de l’endettement ?

L’ouverture à la concurrence pour le transport ferroviaire voyageurs est imposée par des décisions Européennes, Bruxelles a fixé la date de l'ouverture à la concurrence à fin 2019 pour les TER et les Inter-cités et à 2021 pour le TGV. A l’évidence, l’objectif de cette décision n’est pas de s’attaquer aux endettements ferroviaires des Etats de l’UE, ou à des problématiques écologiques liées aux déplacements, mais d’organiser le libre échange commercial des transports ferroviaires. D’après La ministre des Transports, le calendrier en France serait le suivant : Pour les TGV, elle commencera en décembre 2020 avec des incitations pour forcer les nouvelles compagnies de train à rouler sur des liaisons moins rentables comme, par exemple, aller depuis Paris jusqu'à Valence ou Montélimar plutôt que de s'arrêter à Lyon. Mais là, d’une part on peut s’interroger sur la volonté que pourraient avoir des compagnies privées d’investir sur des liaisons peu rentables et d’autre part ne s’expose-t-on pas à des sanctions de Bruxelles pour entrave à la libre concurrence ?... Pour les trains régionaux, la concurrence s'étalera entre décembre 2019 et décembre 2023. Mais en Ile-de-France, il n'y aura pas de concurrence avant 2023 à cause du trafic déjà dense et des travaux prévus. Les régions décideront toutefois de leur propre calendrier.

Avec le statut dont bénéficie les agents SNCF, on y inclue souvent les conditions de travail, la durée, l'organisation des roulements des personnels roulants ou sédentaires en 3X8 etc., alors et ça ne relève pas du statut. C’est de ce point de vue que les entreprises privées se proposent de faire des gains. C'est la différence entre le coût du ferroviaire en France et en Allemagne ou en Suisse. Il y a un écart de 20 ou 25%, et il faut le combler. Mais là encore faut-il veiller à ce que cela ne se fasse pas au détriment de la sécurité des voyageurs, de la formation et la santé des personnels. On peut toutefois douter que cela permette de combler les plus de 50 milliards d’euros de déficit.

Le statut des cheminots a t-il pour autant une responsabilité de la dette de la SNCF et participe-t-il à la situation désastreuse dans laquelle se trouve une partie des infrastructures ferroviaires des lignes autres que celles des TGV ?

En visant d’abord, ce qu’une partie de l’opinion peut considérer à tort comme la clé de voute de sa dette, à savoir le statut particulier des cheminots, le Gouvernement ne pouvait que s’attendre à des réactions d’hostilité, voire d’incompréhension des salariés de la SNCF.  Quand on sait que la responsabilité de l’explosion de la dette est du essentiellement aux choix politiques de l’entreprise par rapport à ses investissements, choix soutenus depuis des décennies par les gouvernements successifs, notamment, par les décisions d’investissement dans de nouvelles lignes TGV, en particulier en 2007, lors du « Grenelle de l’environnement ». Ces décisions, qui sont des décisions d’Etat, ont été prises dans un contexte économique particulièrement dégradé pour le modèle TGV. Il convient de souligner à cet effet, par exemple, que la hausse du coût de l’infrastructure est passée de 4,9 millions d’euros actuels du kilomètre pour l’axe Paris- Lyon en 1981 à 23 millions d’euros du kilomètre pour Tours- Bordeaux en 2015. Celle-ci a par ailleurs entraîné une augmentation des péages, qui a rendu le TGV nettement moins profitable, voire déficitaire sur certaines lignes.

Bien qu’il puisse en partie faire l’objet d’une réforme, à l’instar de tous les régimes spéciaux des retraites qui doivent être dissous dans le régime général, faire auprès de l’opinion du statut des cheminots l'un des principaaux boucs émissaires de la dette est une erreur. Celui-ci a probablement empêché une partie des gains de productivité, ce qui a impacté les coûts d’exploitation, si on considère que l’augmentation moyenne des salaires qui a été, entre 2003 et 2012, systématiquement supérieure à l’inflation, mais le statut des cheminots n’est pas la cause principale de l’endettement, même s’il participe, pour une part très minoritaire, mais réelle, d’un système ferroviaire cher et déficitaire. A lire toutefois l’article de « Capital » qui souligne que sa suppression pourrait coûter plus cher que son maintient : https://www.capital.fr/entreprises-marches/la-suppression-du-statut-des-cheminots-pourrait-couter-plus-cher-a-la-sncf-1277703

Il est également évident que le statut particulier des cheminots, tant décrié n’est en rien responsable du manque d’investissement indispensable pour l’entretien de certains axes ferroviaires secondaires particulièrement dégradés ou du fait que des trains soient supprimés ou arrivent en retard. 

Pour que la notion de service public fût compatible avec l’ouverture à la concurrence, l’Etat doit conserver la main mise sur le transport ferroviaire grâce à un EPIC qui aurait en charge la propriété et la gestion des infrastructures, ainsi que celle du personnel, y compris celui qui serait détaché auprès du concessionnaire privé sa formation et le suivi de son aptitude. 

Service public et ouverture à la concurrence ne sont pas incompatibles à condition de conserver la maitrise par l’Etat en répondant aux exigences sociétales de mission du service public. On peut ainsi très bien concevoir que les contrats Région-SNCF soient allégés d'une partie des services, qui incombent à la SNCF et soient attribués à de nouveaux entrants sur le marché. Sous réserve d’un cahier des charges très rigoureux de délégation de service public concernant la sécurité des circulations, l’entretien du matériel la gestion du personnel et le suivi de son aptitude. Comme le suggère par ailleurs le rapport SPINETTA, bien que lui-même n’y soit pas très favorable, le personnel de l’établissement ferroviaire national devant être détaché auprès des concessionnaires privés nationaux ou régionaux qui ne pourraient pas recruter eux même. Toutefois, dans le cadre d’un accord d’entreprise, la définition, l’organisation de l’activité et la rémunération du personnel resterait à charge du concessionnaire privé. Dans ces conditions, si les coûts des nouveaux opérateurs sont inférieurs à ceux de la SNCF, c'est autant de gagné pour l'autorité organisatrice qu’est la région. Si cela ne dispense pas l’Etat de participer à l’effort d’une mission de service public, c’est bien la région et non l’Etat, avec toutes les collectivités locales qui sont au plus près des besoins des territoires pour déterminer les besoins et leurs priorités pour les dessertes territoriales ferroviaires. L’ouverture à des opérateurs ferroviaires privés, notamment dans le cadre d’un partenariat public (région)- privé peut être une probabilité plus grande de conserver des lignes qui sont aujourd’hui menacées de fermeture, voire d’en rouvrir d’autres à moyens financiers équivalents voire moindres.

Pour conclure

Lorsque l’on observe de l’extérieur cette réforme ferroviaire, entre une mesure plus ou moins libérale annoncée pour faciliter l’ouverture à la concurrence, conformément aux décisions de Bruxelles, telle le changement juridique de statut qui par ailleurs n’est pas nécessaire et l’assurance donnée aux personnels SNCF, par rapport à leur statut, à l’évidence contradictoire, il y a de quoi s’interroger sur ce que l’on serait en droit de considérer comme des errements politiques sur ce sujet.

 



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