mardi 19 décembre 2006 - par Argoul

Sous Paris avec les cataphiles

Par la grâce du professeur H. et de Gilles, spécialiste, j’ai eu l’honneur de vagabonder quelques heures sous la capitale. Nul n’imagine ainsi les dessous de la ville lumière. Dans les entrailles de l’haussmannien, de l’officiel et du populaire grouille toute une vie, sombre et ignorée mais bien présente. Mon « voyage au centre de la ville », pour paraphraser Jules Verne, n’a pas connu ces ouvertures mirifiques, ces cathédrales minérales, ces océans souterrains, ni même ses monstres de l’obscur du romancier. Mais, ramené au rationnel français et au cartésianisme parisien, ce fut un beau voyage.

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A pied, comme il se doit, avec les cataphiles. Lesdits cataphiles sont les amateurs de visites clandestines des carrières souterraines ; ils diffèrent des spéléologues en ce qu’ils préfèrent explorer l’industriel et l’urbain plutôt que le naturel à la campagne. Selon l’étymologie grecque, le cataphile serait « amateur du royaume des morts ».

paris-carrieres-02.jpgCeci est un tantinet réducteur car si, sous Paris, sont effectivement conservés les ossements de centaines de milliers d’ex-habitants, sous Paris coule aussi une rivière (la Bièvre), sous Paris le calcaire blond étend aussi ses couches horizontales exploitées en carrières, sous Paris les égouts aussi drainent l’usure de la civilisation (cet « intestin » du romantique bourgeois Hugo, écœuré de fonctions si matérielles), sous Paris courent les réseaux du téléphone, sous Paris enfin s’éveillent chaque matin les métros. Tandis que le « forfait EDF » brûle de toutes ses lumières inutiles les nuits entières. Mais que fait donc Monsieur Hulot ? Avant de faire de la démago à la télé, nos gouvernants comme nos postulants suprêmes devraient plutôt se pencher sur les gaspillages d’Etat. En voici un - écolo - et de taille !paris-carrieres-03.jpg

C’est l’une des innombrables découvertes que nous permet Gilles, professionnel des sous-sols, passionné du sous-Paris, auteur d’articles et de livres. Nous entrons par une entrée tenue secrète, réservée aux initiés, quelque part dans le Sud de la capitale. Nous laissons de côté les catacombes, ces ossuaires fort célèbres mais qui ne représentent qu’à peine 2% du sous-sol : mieux vaut faire la visite officielle place Denfert-Rochereau, tout y est aménagé et fort bien expliqué. Nous laissons de même les égouts, peu ragoûtants, fort glissants et dangereux pour les rencontres d’animaux inopinés que l’on peut y faire. Nous laissons enfin le réseau du métro, réservé aux professionnels, et où passe un courant de très fort voltage. Nous nous contentons des carrières.

paris-carrieres-08.jpgCar Paris s’est élevé sur son sous-sol. Les bancs de craie du Bassin parisien sont célèbres pour leur densité et leur qualité pour la construction. Nous retrouvons la blancheur et le grain des murs de Paris dans les souterrains. Les carriers ont laissé leurs marques d’exploitation, soit une référence de la couche, soit un schéma de la voûte à consolider, soit une date, soit enfin une indication de rue pour s’y retrouver.

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Aujourd’hui, le rôdeur du sous-sol se trouve comme dans un gant retourné de la ville. La plupart des rues en surface ont leur envers sous terre, que marquent les plaques. On passe ainsi d’Alésia à Tombe-Issoire, de Réaumur à Chemin-Vert.

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Le passant souterrain, écoutant là haut sonner les pas des promeneurs sur les plaques de fonte de la voirie, se prend à croire qu’il découvre l’envers du décor. Cette paranoïa sied bien à l’époque où la surinformation, dans les cerveaux peu préparés, désoriente et fait croire aux complots. La nuit serait au jour ce que la transgression serait à la morale : dans les souterrains, tout serait permis, puisque caché. Des « teufs » s’y déroulent sans aucun doute, en témoignent les restes de bougies, les cadavres de bouteilles divers (tous d’alcools) et les tags de certaines salles. Des ébats plus intimes ont sans doute lieu en des coins reculés, des orgies nues enduites d’argile grasse, comme en témoignent les traces de doigts nombreuses des poches de terre filtrée. Mais le goût d’explorer est sans doute, des fantasmes, le plus fort. En journée et en semaine, nous ne croiserons qu’un explorateur solitaire mais, le soir venu et surtout le week-end, les sous-sols sont presque aussi remplis que les boîtes, croit-on.

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S’il fait plutôt sec (votre soif en sortant vous le fait savoir), il n’y fait pas froid, la température y est constante, « de cave » mais pas inférieure. Il y fait clairement sombre et nul rai ne filtre, sauf au bas de rares puits montant jusqu’en surface. L’air y est pesant mais ne manque pas, tant le réseau est vaste, un petit courant d’air indiquant souventes fois une sortie. L’eau y est à profusion, jusqu’aux chevilles ou aux genoux dans certaines galeries, filtrée par la roche, transparente et pure lorsque la nappe phréatique affleure en un puits. Pas un rat : rien à bouffer ici, ils préfèrent et de loin les égouts. Et un vrai labyrinthe où ne pas s’engager sans réserve de piles alcalines, de quoi manger et un plan pour s’y retrouver. Les carriers ont en effet laissé des piliers tournés pour soutenir la voûte et des amas de bourrage entre lesquels le chemin serpente, de quoi désorienter. Il vous faut parfois avancer à genoux, d’autres fois fort courbé, ou debout dans un boyau formaté science-fiction, plus étroit pour la tête, plus large pour les épaules, se rétrécissant vers les hanches...

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Rappelons cependant que l’Arrêté préfectoral du 2 novembre 1955 stipule : « Art.1. Il est interdit à toute personne non munie d’une autorisation émanant de l’Inspection générale des carrières d’ouvrir les portes et trappes d’accès aux escaliers et puits à échelons ou autres des anciennes carrières, de descendre dans ces ouvrages, de pénétrer et de circuler dans les vides des anciennes carrières s’étendant sous l’emprise des voies publiques de la Ville de Paris. » La raison ? Le risque physique de se perdre, d’être victime d’un effondrement, d’une agression. Transgresser cette loi de bons sens se fait aux risques et périls de chacun. Comme en montagne, comme en mer, comme en randonnée dans la nature, le bon sens exige de ne pas partir seul, de prévenir au moins quelqu’un, de ne pas se fier aux plans trouvés sur le Net mais de se faire guider par quelqu’un qui connaît bien, d’emporter de quoi subsister quelque temps, notamment de la lumière, de se vêtir de robuste et de ne pas craindre de se salir. Fort de cela, vous verrez la Ville autrement !

Quelques sites :
http://www.amazon.fr/Atlas-Paris-souterrain-Alain-Cl%C3%A9ment/dp/2840961911 « le » livre
http://www.parissouterrain.net/index.htm
http://www.catacombes.info/conseils/index.php

http://lapagedeckck.blog.lemonde.fr/2006/02/11/2006_02_le_paris_souter/ Ckck
http://hrundi.blog.lemonde.fr/2006/07/10/2006_07_catatumba/ Hrundi
http://mundus.subterraneus.free.fr/paris/index.htm livres
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cataphile
http://www.italica.com/FREETIMEAREA/KTAS/KtasIndex.htm carte et entrées

http://www.mnhn.fr/mnhn/geo/collectionlutetien/carrieres.html technique carrières
http://gothic.centerblog.net/rub-CATACOMBES-2.html blog de Gothic
http://zonedombres.org/spip.php?rubrique46 blog de fan
http://thetunnel.free.fr/upresse.html anciens articles sur le Paris souterrain
http://www.canalu.fr/canalu/chainev2/utls/programme/745968267/vHtml/0/canalu/affiche/

Université de tous les savoirs, conférence audio ou vidéo téléchargeable



14 réactions


  • Marie Pierre (---.---.231.194) 19 décembre 2006 14:41

    Belle promenade et une question à vous poser : avez-vous vu le réseau des Pneumatiques ?

    Ces tuyaux qui expédiaient les plis urgents, que Proust semblait utiliser plusieurs fois par jour.


    • Marie Pierre (---.---.231.194) 19 décembre 2006 15:01

      Désolée, cette page existe bien, mais ne marche pas en accès direct. Le nouveau lien et vous visualisez le document


    • Thomas (---.---.110.3) 20 décembre 2006 09:02

      Désolé mais le réseau de pneumatiques, où du moins ce qu’il en restait entre administrations (le tryptique Sénat / Assemblée Nationale / Journal Officiel) a été abandonné en 2004. On a parfois bien raison d’utiliser comme référence la vitesse de pointe d’un train de sénateur (au repos ?), car ces messieurs ont enfin découvert d’autres moyens de transmission de l’information. Les « pneus » circulait par le truchement du réseau d’égouts, et l’on peut encore voir place du pont de l’Alma (donc au niveau de la visite publique) les derniers tuyaux toujours en place. Il reste des pneumatiques à l’intérieur de certains grands buildings (administratifs ou commerciaux ; donc à usage local et privé) + un petit réseau entre 3 bâtiments de la Ville de Paris, dans lequel circulent non pas des tubes, mais des valises acceptant les documents de format A4 non pliés (Qui a dit que des valises circulaient entre certains bureaux de ladite Mairie ?)

      L’immobilisme est en marche, rien ne pourra l’arrêter !


  • (---.---.174.78) 19 décembre 2006 19:16

    Bon article, bonne visite dans les entrailles de Paris


  • salsera (---.---.87.241) 19 décembre 2006 20:28

    Pour répondre à Marie-Pierre, les Pneumatiques sont visibles lorsqu’on fait la visite des égoûts (métro Pont de l’Alma). Il n’y en a pas dans les carrières.

    Moi j’ai une question : vous êtes passés à Chemin Vert ??? smiley


    • Thomas (---.---.110.3) 20 décembre 2006 09:05

      Pour les pneumatiques voir ma réponse au premier commentaire, pour la voirie verdoyante, ce n’était pas le « Chemin » qui était vert, mais la « Rue de la voie » !


    • salsera (---.---.206.24) 20 décembre 2006 16:23

      Désolée, pour les Pneumatiques, je n’avais pas vu le commentaire posté (il n’était pas apparu).

      Mais tout de même, par rapport au vert, le texte dans l’article dit « On passe ainsi d’Alésia à Tombe-Issoire, de Réaumur à Chemin-Vert. » smiley


  • dionysos (---.---.232.178) 20 décembre 2006 09:49

    est ce que l’on peut encore aller sous l’Opera et se baigner dans le lac ?


    • Thomas (---.---.110.3) 20 décembre 2006 16:17

      Oui si on est Sapeur-Pompier et que l’on va y faire un entrainement à la plongée spéléo !


  • alex (---.---.58.163) 20 décembre 2006 11:47

    J’ai visité les catacombes l’été dernier. On a passé 7 heures à l’intérieur en marchant depuis Alésia jusqu’au Val de Grace. Ca a tout simplement été une ballade géniale dans une ambiance à la fois glauque et chaleureuse (paradoxal ?).

    Pour peu que vous soyez un petit peu aventurier, c’est une chose à tester !


  • Sorcière (---.---.107.29) 20 décembre 2006 16:42

    Un très belle article merci d’avoir mis en lien le site de la zone d’ombres... Juste un petit mot pour ajouter se lien http://cata.riffzone.net/ se site est à mon sens la plus belle balade sous terraine que l’on puisse faire sur internet. Comme spécifié en bas de l’article ne vous aventurez JAMAIS sans un guide de confiance ... Le réseau évolu vite, plus vite que les plans ...


  • mezigue (---.---.101.50) 20 décembre 2006 18:50

    Plus de cata depuis près de vingt ans ... et si j’emmenais les enfants ? Ils aiment la spéléo, pas de problème...

    J’ai toujours plans et notes d’époque mais sûr que les entrées ont changé... J’irais bien dormir encore à la plage...

    Quid du réseau du 13°, de la porte de la plaine ?

    Si une bonne âme à ses entrées... mezigue chez free.fr


  • jean-laurent (---.---.128.229) 26 décembre 2006 11:25

    c’est un article sympa, je suis moi-même en train de plancher sur le sujet depuis quelques jours dans le cadre d’un bouquin. Je voulais juste préciser que le plus intéressant dans tout ça, c’est à mon avis la culture cataphile, qui est vraiment une culture underground à tous les sens du terme ! bien loin de l’underground institutionnalisé du Paris de surface, je trouve ces cataphiles bien plus proches de l’esprit contre-culturel - activité illégale, un peu dangereuse et assez bizarre ! - que ne le sont les innombrables lieux et gens autoproclamés underground à Paris.


  • 10guy 26 septembre 2009 21:55

    Un article qui n’a pas vieilli mais le réseau se contracte sous les injections des galeries au gré de la pression immobilière

    un bon site pour regarder les sous sol de paris et aussi de la banlieue en espérant qu’il ne devienne pas un site témoin dans quelques décenies

    catacombes de paris


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