lundi 7 novembre 2005 - par Rage

Stagiaire à durée indéterminée

Attention, dossier chaud ! Sortis de leur(s) silence(s), les stagiaires essayent tant bien que mal de faire entendre leur voix. Une grève générale est d’ailleurs avancée pour le 24 novembre 2005. Convention dépassée, rapport de force inégal, réalités opposées, le problème du stagiaire est avant tout lié à son statut. Le pire dans cela, c’est que les autorités publiques entretiennent cette fragilité par des dispositifs de compensation qui ne font qu’aggraver la situation.

Autant dire qu’il s’agit d’un sujet d’actualité, puisqu’il concilie précarité de l’emploi, mépris des jeunes, faillite de l’université et abus des employeurs. Pour éclaircir l’analyse, je me suis efforcé de synthétiser les éléments nécessaires pour comprendre ce qu’est un « stagiaire à durée indéterminée »

Tout d’abord qu’est-ce qu’un stage et un stagiaire ?
Le stage est une forme d’apprentissage dont l’objectif est de renforcer la formation des étudiants et de leur donner des éléments concrets sur un travail donné.
Le but initial d’un stage est d’être un tremplin pour l’emploi.
Aujourd’hui c’est une forme de contrat que l’on utilise pour ne pas employer à plein tarif.
Le stage est conclu entre trois parties, le stagiaire, le maître de stage (entreprise-collectivités, etc ;) et un enseignant de la formation, par une CONVENTION de stage.

Cette convention stipule que le stagiaire ne peut prétendre à aucune rémunération (au mieux une gratification de stage ne devant pas excéder 30% du SMIC brut soit 360€) et qu’il est tenu de respecter les règles de l’entreprise. De plus, à ce jour, les stages sont la seule forme d’emploi qui n’offre aucun jour de congé (ni indemnité compensatrice).

Pour faire simple, le stagiaire n’a pas le droit à rémunération, il ne fait pas partie de l’effectif de l’entreprise (je dirais que maintenant à moins de 26 ans, QUI en fait parti (sic) ?) et il doit se plier aux règlements locaux. Cela signifie aussi que le stagiaire est soumis à toutes les contraintes et ne peut bénéficier que de la clémence de son employeur.

Comme le dirait un étudiant de l’ENTPE (payé par l’ÉTAT) : « Les éléments appris en stage sont déjà une rémunération ». Autant dire que je ne partage absolument pas ce point de vue.

Le cadre du stage
Sous couvert de stage, tout peut se cacher. Du stage « photocopieuse et archivage » au stage dynamique et très valorisant, les réalités sont très diverses et souvent opposées.

Dans les grandes entreprises du CAC 40, forcément très sensibles à leur notoriété, le stagiaire est déjà bien rémunéré (L’Oréal, par exemple, rémunère à hauteur de 1300€ les stagiaires). Mais derrière quelques eldorados et 0,1% des stages, se cache une toute autre réalité. Cette réalité, c’est celle qui montre que le stage est devenu un très bon outil de précarisation et de dégoût durable des jeunes pour le milieu de l’emploi en France.

D’une part, le stage permet de ne pas embaucher, ou plus exactement, il permet d’embaucher une personne qualifiée à prix imbattable. Exemple : un stagiaire de DESS-Master, obligé d’effectuer un stage (et c’est à la base une très bonne chose), coûte au pire des cas 360€/mois à l’employeur et 0€ de charges patronales. Au mieux, c’est 0€ tout court pour un futur diplômé ! Autant dire, dans le privé comme dans le public, que les offres de stages ne manquent pas !

D’autre part, le stage permet de combler les trous et de ne pas employer des personnes en CDD ou en intérim. De plus, le stage est la meilleure arme pour virer une personne quand la tâche est terminée, puisque la convention l’autorise sous réserve de contraintes minimes (envoyer un courrier en recommandé). La rupture du contrat est immédiate dès ce moment.

De plus, coincé par l’obligation de rapporter une « note » dans l’établissement de formation, l’étudiant n’a le droit qu’à une chose : se taire et encaisser joyeusement.

Il va de soi que dans ce type de contexte, l’objet du stage, à savoir l’acquisition de compétences, est fréquemment « détourné ».

La rémunération du stage
Voici l’élément clé de voûte du problème : la rémunération. Le stagiaire ne coûte rien, il n’a droit à rien et n’a pas de contrepouvoir.

Il ne fait même pas partie des effectifs, ce qui signifie que même les syndicats ne peuvent pas l’aider via les délégués du personnel. Il advient également que l’inspection du travail ne puisse rien faire, d’autant plus qu’elle focalise actuellement ses actions (avec des effectifs dérisoires) sur le travail illégal. En somme, elle n’a pas que ça à faire, suivre une situation qui DEVRAIT être régulée par la loi.

Mais le plus fort reste à venir :

  • Un étudiant à Bac+0 en alternance, pour la même quantité de temps en entreprise (à savoir 50% contre 3 à 6 mois de stage plein temps / an ) gagne déjà plus de 50% du SMIC. Avec les années, son pourcentage augmente, ce qui est très logique et fonctionne très bien. De plus, les entreprises ne rechignent pas face à cette main d’œuvre, ce qui montre un dispositif viable fondé sur un CONTRAT d’apprentissage.
  • Un RMIste, à savoir une personne n’ayant aucune activité (au delà de 25 ans), touche une base de 390€/mois, soit déjà plus que les stagiaires les mieux placés ! Imaginez la sensation que l’on a, quand on a Bac+4 ou Bac+5, que l’on fait un stage dans une autre ville que la sienne et que l’on a au mieux 30% du SMIC pendant 6 mois, et parfois 1 an !

Mais ne nous plaignons pas, en dessous de 24 ans, le RMI, nous n’y avons pas droit...

  • Un stagiaire au Canada, en Angleterre, en Suisse, gagne souvent plus de 1000€/mois. Après, l’on s’étonne de la fuite des cerveaux vers l’étranger...

Y a-t-il comme qui dirait un souci de valorisation des stagiaires et des étudiants en France ?
La réponse me semble très claire : aujourd’hui, les jeunes sont considérés comme des moins que rien, particulièrement s’ils sont diplômés, et surtout s’ils peuvent prendre des postes à responsabilité.

Mais ce n’est pas fini.

La durée du stage
Un stage est adapté à tous les cas (ce qui est une erreur). Il n’est pas limité, ni en nombre ni en durée. Ainsi j’ai pu effectuer à titre personnel sept stages, tous très différents (d’où ma connaissance de la question !) Stagiaire à vie, alors ?

Je ne sais pas, mais en tous les cas, il existe vraiment de tout, surtout dans les grandes entreprises. Plus le titre est pompeux, plus vous êtes sûr de vous faire entuber. Les bureaux d’études sont des champions en la matière, avec des durées de stage d’un an, et parfois de 18 mois ! Autant vous dire qu’entre le stagiaire de collège d’une semaine, et celui de Bac+5 de 18 mois, il y a un canyon.

De plus, le stage est devenu tout business. En effet, il s’agit d’une convention tripartite. Cela signifie que sans école, pas de stage. Il n’est pas rare de voir des « jeunes » de plus de 30 ans se réinscrire en 1ère année de n’importe quoi pour pouvoir réaliser un ultime stage qu’ils espèrent salvateur. La perversité touche à son paroxysme quand ledit « stagiaire » touche une bourse d’études (3000€/an) et qu’il ne paye pas les droits d’inscription.

Cela signifie que pour produire 0€ de cotisations, pour être un diplômé précaire, pour tenter le tout pour le tout, ledit « étudiant » coûte à la base déjà 3500€ à l’État (bourses + inscriptions, etc.). Un gouffre, un de plus, dirais-je.

Et ce n’est toujours pas fini.

Les compléments de rémunération de stage
Conscients que les stages sont des statuts précaires, les régions, les départements, et que sais-je encore, ont mis au point des formules de compensation. C’est vrai, au lieu de traiter le problème sur le fond, pourquoi pas essayer de coller une rustine sur une surface qui n’adhère pas ?

Ainsi, des collectivités comme la Région Rhône-Alpes proposent, pour les PME-PMI, des « enveloppes » pour les stagiaires à hauteur de 30% du SMIC, soit 360€ environ. Initiative louable, si c’était au domaine public de gérer ce type de dispositif. Voilà que le contribuable paye pour un stagiaire, alors que l’entreprise qui « l’emploie » ne verse rien.

Prenons un exemple concret : un bureau d’avocat est une PME-PMI. Eh oui, avec moins de dix salariés, certains bureaux d’avocats n’hésitent pas un instant pour proposer ce type de chose : « On vous propose un stage, il ne sera pas rémunéré, cependant la Région peut couvrir votre rémunération à hauteur de 360€, nous avons le dossier sous la main. ». Et voilà tout le drame d’un détournement d’une aide qui, à la base, n’a pas lieu d’être.

Toute peine mérite salaire, me disait mon grand-père... Imaginons que 10 000 étudiants bénéficient de cette aide pendant trois mois en France, voilà la meilleure manière de dilapider 10M€, qui pourraient être affectés à l’achat de licences informatiques par exemple...

Fini ? Non, toujours pas ! Quand on aime, on ne compte... pas.

Qui offre des stages ?
Sous couvert d’engager le recrutement, la convention de stage est un dispositif du système social à la française qui produit exactement l’inverse de ce que l’on en attend.

Il faut comprendre par là que, là où il devrait avoir une régulation logique des offres de stage, une sélection par la qualité, on engage les employeurs de tout ordre à s’engouffrer dans la brèche et à proposer des stages qui n’en sont pas.

Une mission dérangeante ? Un accroissement temporaire de travail ? Pas de problème, les stagiaires sont là !

Bien sûr, il existe des employeurs qui s’investissent dans les stages des étudiants. Bien sûr, il y a certains stages productifs. Bien sûr, il y a des résultats et des acquisitions de savoirs. Mais dans quelle proportion ? 10% ? 25% ?

Globalement, les stages sont aujourd’hui détournés au bénéfice des employeurs, tout en portant à mal la valorisation des jeunes et des diplômes, et aussi en nuisant directement au marché de l’emploi.

Prenons un exemple : j’ai réalisé un stage à la SNCF de six mois selon les prévisions, et de quatre mois finalement. En effet, non seulement la durée de la tâche était mal estimée, mais en plus le stage d’emblée sans lendemain. Mais cela, je ne le savais pas au départ.

N’est-il pas possible de ne proposer des stages que lorsqu’il y a de réelles possibilités d’embauche, à court ou moyen terme ? N’est-il pas possible de limiter la durée des stages dont on sait qu’ils sont proposés uniquement pour former, et non pour embaucher ?

Un contrat en alternance a le mérite de proposer une formation complétée par un salaire, ce qui permet aux apprentis de vivre et de pouvoir se projeter à moyen terme.

Un stage a le démérite de ne pas forcément proposer une formation viable, et en plus de ne pas doter le stagiaire d’une rémunération. Par conséquent, dans 90% des cas, il est soit stérile, soit sacerdotal, soit très mitigé.

Pourquoi conserver un statut aussi précaire, alors ?

Je poursuis.

Qui peut changer les choses ?
A titre personnel, j’ai écrit un dossier à l’un des députés connus de ce pays (à la tête d’un mouvement centriste pour ne pas le citer). Ayant eu la décence de me répondre (le seul du reste), il semblait découvrir ce problème. Je pensais qu’en proposant un texte de loi (début 2005) il aurait été possible d’enfin modifier ce statut indécent qui décourage, démotive, crée de l’inégalité et du chômage.

Je n’ai encore rien vu à ce jour aboutir (comme d’ailleurs pour l’emploi, ceci dit en passant).

Et pourtant le problème est réel, et à ce titre, les universités et leurs présidents ont un rôle crucial à jouer, puisqu’ils sont l’un des signataires de la convention. Il suffirait d’un courant fort pour faire remonter le dossier et pour transformer cette convention dépassée en un contrat ou même en une autre forme de texte qui stipule clairement les DROITS de l’étudiant à une rémunération ET à la formation, tout comme pour les apprentis. Alors, et seulement alors, il sera possible de proposer des allègements de cotisations patronales modérés, afin d’inciter à la formation des jeunes.

Les pistes de réflexion en deux mots
- C’est en renforçant d’une part le STATUT du stage et d’autre part son ENCADREMENT (droits et devoirs des trois parties) qu’il sera possible de redonner goût et dignité aux jeunes diplômés.

De plus, l’idée d’allouer des jours de congés dans le cadre des stages me semble nécessaire : cela signifie donner aux stages un statut juridique, clairement explicité dans le code du travail.

Au niveau de la rémunération, celle-ci doit passer par des fourchettes de rémunérations adaptées (de 30% minimum à 70% net du SMIC brut ) afin de ne pas dissuader les organismes d’accueil qui mobilisent aussi des moyens techniques et humains, et de ne pas nuire au marché de l’emploi par un « stage à durée indéterminée ».

En ce qui concerne les effectifs, une proportion de 10% de stagiaires maximum (ou 1 à moins de 10 salariés) est envisageable pour les entreprises de 10 à 50 personnes. Au-delà le taux doit être dégressif, et évoluer aux alentours de 5% des effectifs, afin de ne pas être « stagiairovore » et d’assurer une qualité de suivi et de formation de la part de l’employeur.

Conclusion

Pour conclure, c’est en favorisant les jeunes diplômés français, particulièrement ceux issus des cycles supérieurs des écoles républicaines que sont les universités, que se créeront de nouveaux dynamismes durables. Cette dynamique globale sera valable pour tous les segments économiques du pays car, ne l’oublions pas, ces stagiaires diplômés seront les classes moyennes de demain, les cadres d’après demain et pour les meilleurs d’entre eux, les décideurs de l’avenir.

C’est aussi et surtout en valorisant le travail, aussi bien celui des jeunes que celui de toutes les classes « moyennes » du monde du travail, que l’on élève la qualité de vie d’une société et le dynamisme d’un pays. Les jeunes ont des potentiels qui n’attendent qu’une chose : qu’on leur fasse confiance.

Changer le statut des stagiaires serait un signal fort de confiance à durée indéterminée.



5 réactions


  • sam, paris (---.---.104.22) 7 novembre 2005 19:39

    Je suis bien d’accord avec vous, ce système est « écoeurant ».

    Mais à tout niveau : autant le petit entrepreneur est mis à mal par l’Etat tout comme le salarié. Je prends un exemple simple et concret : j’embauche 1 salarié à 1000€/mois, il me revient à 2000€/mois au total (CSG et RDS inclus, merci M.Rocard, je rappele que ce sont des impôts faussement indirects pour le salarié également). Si mon entreprise arrive à 10 salariés, je paie le double de charges encore une fois, y compris mes 9 premiers salariés. En résumé, il y a intérêt que mon entreprise fasse de bons chiffres d’affaires pour payer tout ceci (sans compter les récurrents). Si je fais faillite, en tant qu’entrepreneur, je n’ai pas droit au chômage. Et je dois payer des impôts supplémentaires. Alors je prends plusieurs stagiaires, que je rémunère comme je peux, non pas pour dormir tranquille, mais pour être honnète avec ces personnes (au-dessus des 30% du SMIC). Je ne m’appelle pas l’Oréal, quand mon entreprise a une fin de mois difficile, c’est mon propre salaire que je baisse en premier.

    Concernant vos stagiaires dits « qualifiés », 90% de mes stagiaires (dont 1 BAC+4) doivent apprendre la pratique, le terrain, la mise en oeuvre directe de leurs études. Pour la plupart c’est une redécouverte. Heureusement que je ne regarde pas à la rentabilité ! Je suis passé par ce système, et j’en suis fort content aujourd’hui. Donc non, je ne prend pas un stagiaire pour un moins que rien, bien au contraire. Je considère cette personne comme évolutive, et c’est l’entrepreneur qui a la responsabilité de lui donner le maximum de chances et lui donner de nouvelles optiques pour sa vie future.

    Je ne parlerais pas du RMI et des problèmes connexes, cela déboucherait sur d’autres problèmes politiques (du social, encore du social) fort complexes - autrement dit indémerdables (qui a dit que 35% de l’immigration d’origine nord-africaine n’avait pour objectif que de toucher le droit au RMI ?).

    Pour en revenir aux stages détournés, peut-être faut-il arréter de regarder les sociétés où même le salarié le plus haut gradé n’est qu’un pion minuscule sur un échiquier.

    Votre coup de gueule est justifié, l’Etat est une fois de plus au service des entreprises et du capitalisme cannibal. Seulement, il ne s’agit pas de n’importe quelle entreprise. (Ma petite entreprise ... ne connait pas la crise ...)

    Heureusement que le sujet n’est pas le contrat nouvel embauche : )


  • Carnac (---.---.7.104) 9 novembre 2005 22:40

    J’ai pu observer qu’une entreprise de maintenance informatique avait vécu pendant 5 ans avec le patron de formation commerciale, un commercial salarié à temps plein et que la seule chose qu’ils vendaient c’était la technicité des stagiaires , contrats de qualif qui se sont succédés de façon ininterrompue au cours de ces 5 années

    1°) vous me permettrez de douter du professionnalisme de ladite entreprise qui ne s’en sortait effectivement qu’en trouvant de nouveaux clients (je dirais des gogos) 2°) je considère que l’on est aussi dans l’abus le plus complet des dispositifs de formation


  • Marie (---.---.10.80) 14 novembre 2005 14:17

    L’indemnité de stage n’est pas bloquée a 30% du smic. Au delà, l’application des cotisations sociales est obligatoire. Ainis, un stagiaire polytechnicien peut être rémunéré 3000 euros/mois. Des stagiaires ingénieurs sont couramment à 1500 euros mois. La grande misère ce sont les stagiaires issus de cursus universitaires (techniques ou non), des écoles « dite de province ». La croix et la bannière.

    Enfin, il existe plein de jobs « taylorisés » en Entreprise formatés pour un emploi en cdd « entrée de marché » don cformaté pour une succession de JD en CDD. Faute de réforme législative et réglementaire et devant l’abondance d’une main-d’oeuvre très bon marché.... Pas besoin de délocaliser en fait !


  • Bulvwif (---.---.122.246) 25 novembre 2005 09:56

    Un grand Bravo pour cet article. Très bien rédigé et très réaliste. IL résume parfaitement le problème des stages de nos jours !


  • Mathieu (---.---.212.160) 25 novembre 2005 10:54

    « 35% de l’immigration d’origine nord-africaine n’avait pour objectif que de toucher le droit au RMI ? »

    Sam, quand on écrit une chose pareille, on essaye au moins de justifier de tels propos (si tant est que cela soit justifiable)


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