Stagiaires à durée indéterminée (2)
Il y a déjà (et oui déjà) bientôt 3 ans, j’écrivais un article concernant l’abus des stagiaires. Aujourd’hui la situation n’a toujours pas changé et cet article peut faire directement écho à l’immobilisme politique tout autant qu’à la persistante défiance que l’on fait subir aux jeunes.
I. Immersion dans l’usine aux stages
En 2005, le collectif Génération-Précaire réalisait ses premières actions publiques pour dénoncer les abus entourant la précaire situation de stagiaires.
S’appuyant sur le rapport du CES dénombrant le chiffre volontairement gonflé de 800 000 stagiaires (la réalité est plus proche de 150 à 200 000 stagiaires par an), le collectif démontrait avec force argumentaire qu’il existait en France des travailleurs d’un autre temps.
Forts de leur convention de stage, les stagiaires constituent un bataillon inépuisable de main-d’œuvre formée, disponible et peu onéreuse. Absente des registres du personnel, non assujettie aux cotisations, hors du champ du code du travail, rémunérée par des « gratifications », non limitée ni en durée ni en nombre, cette main-d’œuvre constitue inévitablement la variable d’ajustement de bon nombre d’entreprises en France.
Cette manne constitue pour beaucoup d’entreprises et de salariés la « plus-value » qui permet de dégager un salaire plein tout en profitant de la vulnérabilité du statut des stagiaires.
En effet, liés par les « notes » du stage et la signature tri-partite (stagiaire/employeur/organisme de formation), le stagiaire ne peut pas s’exprimer sous peine de se voir « griller » pour les embauches futures, surtout dans des petits mondes où tout se sait.
Les organismes de formation, et particulièrement les universités, ont leur pleine et entière responsabilité. En effet, si certains « stages » sont rémunérés comme il se doit, particulièrement pour les stagiaires des grandes écoles, les bataillons de stagiaires envoyés par les universités, eux, du fait de leur nombre et du rapport de force universités/entreprises, ne sont pas en position de négocier mieux.
Là où une grande école s’appuie sur des réseaux et où « sous-payer » un stagiaire reviendrait à attaquer l’image de l’école, l’université doit elle jouer sur un dilemme cornélien : envoyer des étudiants sur le terrain et donc fermer les yeux sur certains excès ou bien réguler les excès au risque de voir les stages et autres partenaires s’enfuir encore un peu plus loin de l’université ?
Plus encore il existe deux logiques antagonistes :
- L’une où l’employeur parie sur l’avenir, rémunère « à niveau » et investit sur la formation et la compétence de son futur employé.
- L’autre où l’employeur veut satisfaire un besoin à court terme, n’envisage pas l’avenir et exploite le jeune en demande sans répondre aux préoccupations de formation.
Un même thème (le stage), deux réalités opposées.
Vu le rapport de force, le choix a été vite fait : les filières « faibles » doivent prostituer des stagiaires, les « filières fortes » peuvent se permettre d’inscrire noir sur blanc dans la convention de stage le niveau de rémunération et les exigences du stage.
Et plus la compétence est rare et recherchée, moins le stage est utilisé en abus...
L’afflux de « Bac à 80% de réussite » et de jeunes non orientés n’aide pas les universités, réceptacles à tous les dysfonctionnements précédents, à se sortir du « Merdier » (cf. Pierre Lunel - dont les propositions sont excellentes).
Il faut également bien le préciser : la convention de stage est formulée par l’université : c’est elle et elle seule qui peut imposer ses règles. A l’employeur - maître de stage d’y trouver ou non son compte.
II. Convention de stage
La convention de stage, que certains sont obligés d’acheter par une année « complémentaire » en fin de cursus pour ne pas avoir un blanc sur leur CV, constitue la clé de voûte d’un système irrationnel où la génération précédente exploite la génération suivante.
La convention de stage est « hors champ » du droit du travail. Pas étonnant que les recours, et qui plus est les recours gagnants aux Prud’hommes soient si rares. Sans parler des délais et de la prise de risque pour celle ou celui qui osera défier le système...
Dans ce système, pas de loi : donc tous les abus sont permis.
Les cabinets d’avocats, les boîtes de communication, les bureaux d’études... tous sont intéressés par cette main-d’œuvre formée, suffisamment pour être productive, pas trop pour ne pas faire de l’ombre aux personnes en place. Il y a même des bourses régionales qui peuvent se substituer à l’humble gratification de stage plafonnée (on rêve) par la convention de stage elle-même !
Le chiffre qui court le plus souvent est 30% du SMIC (brut dans l’essentiel des cas) soit 360€.
Il existe aussi des stagiaires à 1700€ : mais il s’agit d’une infime minorité, très largement identifiée aux sorties des grandes écoles ou des filières de prestige. Quand on est dans ces cas-là, c’est déjà de la pré-embauche : on est déjà dans un réseau qui fonctionne.
L’absence de réseau, de suivi, de poids des universités est inversement proportionnelle à l’incitation qu’ont les entreprises de bénéficier de la manne à moindre coût : ce n’est pas illégal, pourquoi s’en priver ?
III. Des années d’immobilisme et de précarité
En 2005 le mouvement Génération-Précaire avait porté des revendications accompagnées de propositions opérationnelles face à ces constats peu enviables, qui plus est en nette croissance.
Début 2006 le gouvernement De Villepin (dont faisait partie Mme Pécresse concernant ces questions de formation supérieure) proposait comme seule réponse le contrat Première Embauche dont on sait ce qu’il est advenu ainsi que des bribes de chartes dans la loi sur l’égalité des chances.
Sous la pression issue du CPE et de la détresse des jeunes, du déclassement et de l’ambiance festive concernant cette jeunesse gaspillée, début 2007 M. De Villepin tentait de jouer la carte de la « reconnaissance des stages » par l’obligation pour toutes les entreprises de rémunérer les stages à hauteur de 30% du SMIC pour tous les stages de plus de 3 mois, « rémunération » qui ne sera pas soumises à cotisations.
Mercredi 30 janvier 2008, le ministre du Travail, Xavier Bertrand, a annoncé la publication d’un décret qui permettra aux stagiaires d’être rémunérés « à partir du premier jour » de leur stage si celui-ci dure « plus de trois mois ». Cette mesure, mise en place avec la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, rentrera en vigueur en février.
Pour ce qui est de la rémunération, M. Bertrand a indiqué que les stages de plus de trois mois seront rémunérés « à partir de 30 % du SMIC ». « Il y aura une franchise des cotisations (...) c’est-à-dire que l’entreprise qui va rémunérer ce jeune n’aura pas de charges à payer, c’est l’Etat qui en fera la compensation », a-t-il précisé.
Je pose donc la question :
Quoi de nouveau dans la proposition de M. Bertrand ?
La réponse est simple : absolument rien.
Derrière l’effet d’annonce c’est un véritable mépris des jeunes qui est affiché.
Beaucoup d’autres pays ne connaissent même pas ce principe de stages « non rémunérés » et pour beaucoup de libéraux il s’agit d’une contre-productivité consternante, qui plus est lorsque l’on appose à de futurs salariés le fait que ceux déjà en place ont la priorité, occasionnant donc une psychologie de revanche.
Le gouvernement en place est donc clair : il y aura toujours des esclaves modernes et silencieux en France. Les entreprises pourront toujours en profiter et la France générera toujours des jeunes frustrés qui, à la moindre occasion, auront vite fait de faire comme M. Béjart et autres talents : aller voir ailleurs, là où on ne les prendra pas pour des imbéciles.
IV. Pour en sortir par le haut
J’avais déjà émis des pistes d’évolution dans l’article de 2005, essentiellement sur la reconnaissance du statut et donc vers un « contrat » de stage (occasionnant donc des cotisations, une rémunération, une inscription au registre d’entreprise...) ainsi qu’un renforcement des dispositions d’encadrement (suivi, contenu, limitation en nombre et en durée des stages...). Je reprendrai ce jour les dispositions de Génération-Précaire ainsi que les lignes soutenues par les syndicats car elles sont mûres et raisonnées :
- Le stage doit donner lieu à une rémunération, ouvrant droit aux protections sociales, notamment la retraite, dès le premier mois, sur une base de 50% du SMIC minimum, variant ensuite en fonction du niveau de qualification et de la durée du stage. Cette rémunération doit être fixée par la loi.
- La loi doit garantir au stagiaire un encadrement pédagogique dans l’établissement d’enseignement supérieur et dans l’entreprise.
- Des dispositions contraignantes doivent être prises pour empêcher que des stagiaires ne remplacent des salariés : interdiction des stages hors cursus, limitation de la durée des stages, inscription des stagiaires dans le registre unique du personnel, limitation du nombre de stagiaires par entreprise.
Et si l’on poussait la logique jusqu’au bout : l’état de stagiaire est-il réellement nécessaire ? Ne devrait-on pas plutôt avoir des contrats de travail à durée déterminée sur des missions, avec une rémunération liée au niveau d’études et de compétences plutôt qu’un statut « bâtard » exposant les jeunes aux variables d’ajustement des entreprises ?
A voir : http://www.generation-precaire.org/