vendredi 8 avril 2022 - par Jacques-Robert SIMON

Systèmes complexes

  L’étude de tous les aspects du vivant, de l’échelle moléculaire aux mouvements de foule, ne peut être conduite qu’en considérant les systèmes complexes. Pourtant peu de cas est fait de ceux-ci.

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Soit un homme et une femme, isolées, loin de tout. Une interaction va inévitablement s’établir, de l’ordre de l’amour ou de la haine, peu importe (ce second sentiment n’étant d’ailleurs que le négatif du premier). Différents degrés d’interaction sont possibles : un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout. En s’éloignant des aspects poétiques, les interactions peuvent être classées de 0 à 4 en passant par 1,2 et 3. Cette approche nécessite le fait que l’on puisse attribuer à chaque émoi un chiffre et un seul, par exemple 0 à ‘pas du tout’, 1 à ‘un peu’, ce qui n’a rien d’évident a priori.

Le fait de pouvoir associer sans ambiguïté un état amoureux à un chiffre n’a rien de naturel. On peut aimer de ‘pas du tout’ à ‘passionnément’ selon toutes les graduations possibles 0... 0,1... 0,11... 0,111... et non pas s’en tenir aux chiffres entiers 0...1... 2... . C’est pourtant une absolue nécessité pour obtenir un système complexe et ainsi s’éloigner du comportement banal observé quotidiennement.

Un transistor dans un circuit électronique effectue ce passage du qualitatif au quantitatif : il est dit passant (ON ou 1) seulement si la tension qui lui est appliquée excède un seuil. Dans les réseaux neuronaux un phénomène du même ordre a lieu : le neurone engendre un potentiel d’action seulement et seulement si les entrées du neurone sont stimulés par un nombre assez important d’ions en provenance des neurones voisins.

Il est périlleux mais intéressant de vouloir associer les élans amoureux avec des concentrations de molécules, d’hormones. L’ocytocine et la testostérone sont deux des hormones qui interviennent lorsqu’une attraction plus ou moins forte entre un homme et une femme se manifeste. Le taux hormonal augmente lorsque le sentiment amoureux s’amplifie. Toutefois la concomitance n’est de loin pas acquise et toute une série de parades amoureuses doit être trouvé pour obtenir un désir commun et simultané.

La mise en place de cette simultanéité est primordiale pour obtenir les effets de seuil recherchés. Si le taux de testostérone augmente chez l’homme, il peut engendrer une augmentation concomitante chez la femme, et cette excitation féminine suscitée peut elle-aussi conduire à une exaltation supplémentaire du désir chez l’homme... et ainsi de suite. Il se créé alors un phénomène de rétroaction : l’effet induit va influencer la cause de cet effet. Il est possible de constater que dans ces conditions le principe de causalité se révèle une description trop sommaire du réel : une cause produit bien un effet, mais la cause ne précède pas simplement l’effet.

La complexité qui s’introduit entre cause et effet à cause des phénomènes de rétroaction permet l’obtention de seuils bien déterminés et la transformation des émotions impalpables en chiffres séparés les uns des autres et non pas reliés par un continuum, on passe directement de 1 à 2 par exemple sans avoir à passer par les états intermédiaires 1,1...1,2...1,3…

L’introduction de la notion de rétroaction permet de retrouver beaucoup des caractéristiques des systèmes complexes et en particulier ce qui les différencie des assemblées banales dans lesquelles les interactions entre éléments sont régis par une proportionnalité entre la cause et l’effet sans effet retour. Le point le plus important c’est qu’une juxtaposition d’éléments sans mécanisme de rétroaction est incapable de traiter d’une façon intelligente une information. L’introduction d’une perturbation dans un système banal va se traduire la plupart du temps par la production de chaleur, sorte dégradée d’énergie qui ne peut pas fournir de travail en tant que telle. La chaleur n’engendre de puissance motrice (travail) qu’à la condition de passer d’un corps chaud à un corps froid. S’il n’y a qu’une seule source de chaleur, il ne peut pas y avoir production de travail. Le travail au sens physique, l’énergie d’une force qui se déplace, peut être assimilé sommairement au degré d’intelligence qui peut être obtenu d’un système.

Au sein de notre couple homme-femme, il a été postulé que chacun des deux membres était différent. Il aurait été possible, au détriment du narratif, de prendre deux éléments identiques. Il existe d’ailleurs de nombreux types de neurone différents parmi les 100 milliards de neurone que comporte un cerveau humain. La similarité ou non dans le couple considéré intervient si l’on considère la dynamique du système.

Il est difficile de prédire quel sera à un instant donné l’état de l’homme relativement à celui de la femme. Tous les couples d’état sont possibles : (1,0)0 (1,1)0 ou (1,3)0 parmi beaucoup d’autres où (...)0 désigne l’état considéré au temps t=0. Le temps nécessaire pour que l’homme change d’état, par exemple, (1,•) à (2,•) n’est pas nécessairement le même que le temps requis pour faire passer la femme vers un autre état : (•,1) à (•,2), par exemple. Cette composante cinétique complique singulièrement l’analyse du système correspondant mais, si la brutalité des transitions entre états est satisfaisante, elle contribue à une extension de la richesse de traitement de l’information et donc à ce que l’on peut appeler son intelligence.

Pour un couple humain, les choses se compliquent singulièrement si d’autres partenaires, hommes ou femmes, viennent se greffer au couple initial. Ce n’est pas le cas pour les systèmes complexes ordinaires ou neuronaux. Chacun des 100 milliards de neurones du cerveau interagit avec plusieurs dizaines de milliers d’autres neurones pour former un système. Il est ainsi possible d’obtenir avec ceux-ci des performances étonnantes. La possibilité d’auto-organisation et l’apparition de variations temporelles cycliques sont les caractéristiques élémentaires les plus spectaculaires car elles constituent les premières briques physico-chimiques distinguant la chimie de la biologie, l’inerte du vivant.

Bien entendu, les performances du cerveau humain peuvent être incomparablement plus riches à condition qu’il s’adonne à des tâches digne de lui.



6 réactions


  • Clark Kent Kaa 8 avril 2022 11:41

    « Pour un couple humain, les choses se compliquent singulièrement si d’autres partenaires, hommes ou femmes, viennent se greffer au couple initial. »

    Dans un binôme, un entier qui partage sa moitié avec un tiers, c’est forcément compliqué !


  • PascalDemoriane 8 avril 2022 12:10

    « La possibilité d’auto-organisation et l’apparition de variations temporelles cycliques sont les caractéristiques élémentaires les plus spectaculaires car elles constituent les premières briques physico-chimiques distinguant la chimie de la biologie, l’inerte du vivant. »

    Excellent. Vous faites bien de vulgariser ces bases de la notion de système complexe, d’auto-organisation, car je crois qu’on va en avoir besoin d’urgence pour sauver le monde. En plus c’est passionnant !


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