jeudi 15 janvier 2015 - par cardom325

T’as pas lu Nietzsche ?

Cela fait une semaine que je me sens fâché, mais je ne veux pas nommer ce qui me fâche ou ceux qui me fâchent, ce serait si simple et si réducteur de trouver des boucs émissaires à mon désarroi. Alors, j’écoute en boucle Léo Ferré chantant Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, çà m’apaise la poésie … et je lis, depuis un bout de temps je lis, outre des romans, des bouquins de philosophie, ma mère me dit « Dominique, çà te donne des idées bizarres… » qué bizarre, réponds-je, essayer de trouver des réponses dans plusieurs livres alors que d’autres prétendent que la vérité est dans un seul, ou croire tout ce que disent les journaux, télévisés ou non …. je m’y refuse. Ce matin, de très bonne heure, je suis tombé sur un extrait du « Gai savoir » De Nietzsche ( celui là a eu la chance de vivre avant l’invention de la kalachnikov), je vous le livre, car on dirait que c’était écrit hier et pas il y a plus d’un siècle, et que ce texte correspond plus que jamais au présent, comme dirait Julos Beaucarne, il faut s’aimer à tors et à travers et reboiser l’âme humaine.

Le désir de souffrance.


Quand je songe au désir de faire quelque chose, tel qu'il chatouille et stimule sans cesse des milliers de jeunes Européens dont aucun ne supporte l'ennui, pas plus qu'il ne se supporte soi-même, - je me rends compte qu'il doit y avoir en eux un désir de souffrir d'une façon quelconque afin de tirer de leur souffrance une raison probante pour agir. La détresse est nécessaire ! De là les criailleries des politiciens, de là les prétendues « crises sociales » de toutes les classes imaginables, aussi nombreuses que fausses, imaginaires, exagérées, et l'aveugle empressement à y croire. Ce que réclame cette jeune génération, c'est que ce soit du dehors que lui vienne et se manifeste - non pas le bonheur - mais le malheur ; et leur imagination s'occupe déjà d'avance à en faire un monstre, afin d'avoir ensuite un monstre à combattre. Si ces êtres avides de détresse sentaient en eux la force de faire du bien, en eux-mêmes, pour eux-mêmes, ils s'entendraient aussi à se créer, en eux-mêmes, une détresse propre et personnelle. Leurs sensations pourraient alors être plus subtiles, et leur satisfaction résonner comme une musique de qualité ; tandis que maintenant ils remplissent le monde de leurs cris de détresse et, par conséquent, trop souvent, en premier lieu, de leur sentiment de détresse ! Ils ne savent rien faire d'eux- mêmes - c'est pourquoi ils crayonnent au mur le malheur des autres : ils ont toujours besoin des autres ! Et toujours d'autres autres ! - Pardonnez-moi, mes amis, j'ai osé crayonner au mur mon bonheur.

Frédéric Nietzsche Le gai savoir



10 réactions


  • Rounga Rounga 15 janvier 2015 09:32

    Nietzsche est assurément un moraliste de premier ordre, un très fin observateur des comportements humains. Je me trouve aujourd’hui en totale adéquation avec le passage que vous citez ici.


  • Gollum Gollum 15 janvier 2015 11:20

    Le besoin de souffrir soi-même qui débouche souvent sur le besoin irrépressible de faire souffrir les autres est la conséquence de l’absence d’être et du nihilisme qui va avec.


    L’absence de verticalité, de transcendance, engendre une souffrance intérieure subtile mais bien réelle. C’est cette absence de transcendance de nos sociétés laïcisées et sans âme qui engendre le nihilisme et donc le terrorisme.

    Ce nihilisme se pare de justifications extérieures, aujourd’hui l’Islam radical, mais ce qui s’y cache est le goût du meurtre.. On cherche ainsi, par en bas, une transcendance que le monde moderne vous refuse par en haut.

    En bref le monde moderne n’a plus voulu comme modèle la Sainteté, il récolte une haine féroce.
    Il s’agit d’un simple effet miroir et il ne faudra pas moins d’un goût collectif nouveau pour la Sainteté pour arriver à bout du monstre ainsi engendré.

  • cardom325 cardom325 15 janvier 2015 11:37

    société laïcisée ne signifie pas sans âme, à titre personnel, je ne crois pas en un dieu accessible , mais je crois en l’âme . Je ne souffre pas d’un non lien transcendantal avec un prétendu créateur , un démiurge revanchard et cruel , mais de liens verticaux avec mes congénères qui soient de qualité et apaisés


    • Éric Guéguen Éric Guéguen 15 janvier 2015 15:43

      Non, « société laïcisée » ne signifie pas « sans âme », en effet.
      Mais le fait est que la société actuelle n’en manifeste pas beaucoup, d’âme. Il aura fallu un événement hautement dramatique pour que l’on reparle de la « nation » sans que le mot ne dégoûte, et pour que des milliers de gens, à l’unisson, entonnent un hymne commun ou brandissent une bannière édifiante. Peut-être que les gens vont finir par comprendre que ce sont des choses comme « liberté d’expression » qui, seules, peuvent fédérer à ce point, et non des platitudes comme « pouvoir d’achat », sans âme pour le coup.


    • Neymare Neymare 15 janvier 2015 16:49

      " Je ne souffre pas d’un non lien transcendantal avec un prétendu créateur , un démiurge revanchard et cruel , mais de liens verticaux avec mes congénères qui soient de qualité et apaisés« 

      Le démiurge revanchard et cruel n’a jamais existé que dans l’esprit brumeux de l’homme, qui s’imagine que s’il existe un Dieu, Il est comme lui : avec une barbe dans le ciel pret à se venger des affronts et un ego démesuré au point de massacrer les hommes sous quelque prétexte futile.
      Malheureusement, l’homme n’ayant pas d’autres références que les textes prétendument révélés c’est l’image qui vient quand on parle de Dieu.
      Et au nom de cette image et de ses corolaires certains sont prets à massacrer. Il en va de meme de tout le reste : l’image que vous vous faites du monde et de vous meme n’est pas la réalité mais n’est qu’une image faite de votre vécu, de votre éducation etc...
      Cette image globale n’a rien a voir avec ce qu’est réellement ce monde ou ce que vous etes vous memes. Se purifier l’esprit n’est pas, comme le pensent les gens soit disant »religieux« , d’éviter de reluquer la poitrine de la voisine ou de vivre selon des préceptes moyen ageux, ou meme d’aller vivre en ermite. Se purifier l’esprit c’est simplement voir ce qui est réellement sans ranger les choses dans des cases, sans juger, sans créer une image : quand vous voyez quelque chose quand vous pensez à quelque chose (ou a quelqu’un) vous ne voyez pas vraiment, vous créez une image à laquelle se réfère votre esprit, si bien que vous ne voyez jamais la réalité des choses.
      C’est ça la transcendance : ne plus faire d’image et voir la réalité, qui est faite entre autre, comme vous le dites, de liens avec les gens, et avec tout le reste. Il n’existe rien en fait avec lequel vous n’avez pas de lien, quand vous verrez ça vous verrez »Dieu" (meme si je n’aime pas utilisé ce terme qui renvoie forcément aussi à une image). Bref, continuez dans la philo, c’est pas du temps perdu


    • ARMINIUS ARMINIUS 16 janvier 2015 10:12

      Tout à fait d’accord mais comment le faire comprendre aux milliards d’individus qui ne peuvent ou ne veulent accéder à la philosophie en général et à Nietzsche en particulier. Souhaitons leur de pratiquer la religion la moins débile et la moins dangereuse possible...


    • L'enfoiré L’enfoiré 16 janvier 2015 10:32

      Bonne question Arlinus.

      Il faut déjà aimer lire.
      Comme je l’ai écrit « La philosophie est l’outil du sens »
      Mais il ne faut pas s’arrêter à un philosophe, sinon on se laisse embrigader 

  • lsga lsga 15 janvier 2015 18:35

    N’oublions pas que c’est également une réponse un peu provocante de Nietzsche à son « maître » Schopenhauer qui disait : « Si à un état sans douleur s’ajoute encore l’absence d’ennui, alors le bonheur terrestre est atteint pour l’essentiel »

     
    N’écoutez pas votre mère : continuez à lire de la philo !
     
    Si le rapport de Nietzsche à la religion vous intéresse, je vous conseille la lecture de la « Généalogie de la Morale », ça va vous passionner. 

  • L'enfoiré L’enfoiré 16 janvier 2015 08:47

    Bonjour cardomxxx, 


    Non, je n’ai pas lu Nietzsche (ou très peu).
    Je ne serais pas sûr de trouver chez lui des moyens de me tirer d’affaire quand je suis fâché.
    Mais il serait donc « gai » d’après le titre du livre.
    Je vous crois puisque cela vous a aidé.
    Non, je n’ai aucun désir de souffrance.
    Je ne rigole pas quand je me brûle.
    Nous sommes dans une période de doutes, de tensions multiples, de terrorismes (merci pour l’avoir exporté à Verviers et à Bxl hier).
    Certains parlent de guerre.
    Or, que fait-on quand cela mijote sur le plat de la tension ?
    On cherche à rire.
    Vous vous souvenez du fou chantant, Charles Trenet qui chantait « y a de la joie ».
    Si vous n’avez pas remarqué, il n’y a jamais eu autant d’humoristes.
    Je les rassemble dans tous mes articles.
    J’en rie et puis je passe ma journée à me foutre de tout.
    C’est pas merveilleux ça ?
     smiley 

    • L'enfoiré L’enfoiré 16 janvier 2015 10:26

      J’ai été voir ce qu’on en disait de ce livre ou plutôt 5 livres :

      Cette question qu’il se pose, me parait déjà un bon présage :
      « N’est-ce pas une chose extrêmement plaisante que de voir les philosophes les plus sérieux, si sévères qu’ils soient le reste du temps avec toute certitude, en appeler sans cesse à des sentences de poètes pour assurer force et crédibilité à leur pensée ? »

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