Télé : faut arrêter de décoder !
Pour CNRTL, un code est un ensemble de signes rendant possible la communication, un système de symboles convenus, permettant l'enregistrement et la transmission d'une information. Code écrit, code oral. Le langage mathématique est un code. L'informatique utilise des codes. En linguistique, il s'agit d'un système de signes et de règles permettant la production et la réception des énoncés.
Mais, à la télévision, l'utilisation de codes va plus loin que ce que décrit CNRTL, et les codes peuvent être visuels, gestuels, etc. Le langage du corps en dit souvent plus long que les paroles à qui sait les décrypter. Le visuel est plus qu'un renfort pour la parole et le langage dans un message "audio-visuel". Les décors, les costumes, les mises en situations, le choix des interlocuteurs et la sélection des présentateurs sur des critères esthétiques autant que professionnels ne sont pas neutres. Ils sont porteurs de références implicites qui s'adressent à l’inconscient, tellement intégrées qu'on ne les discerne pas toujours, et que nous ne nous rendons pas compte de l'influence qu'ils jouent sur nos convictions, convaincus que nous sommes de gérer notre libre-arbitre.
Quelques exemples :
journal télévisé
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blouse blanche ou treillis : tout comme la panoplie de cow-boy, arborer un uniforme fonctionne comme une antiphrase de l'adage "l'habit ne fait pas le moine". Le costume de scène arboré par les médecins-stars des plateaux télés pendant le confinement et le look "topgun" du Président en visite chez les militaires sont des symboles d’identification qui se veulent à la fois rassurants et garants d'une compétence, comme si un champion de natation venait au studio en slip de bain pour être crédible.
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Météo : au début du bulletin, la (jolie) présentatrice annonce avec un grand sourire du "beau temps", et à la fin elle prédit la calamité de la sécheresse avec un air très inquiet. "encore une belle journée qui s'annonce" (sourire), "les nappes phréatiques ne peuvent pas se renouveler" air catastrophé). But de la manip : tout comme l'injonction double et la contradiction interne intentionnelle, ce passage d'un registre à l'autre désoriente le destinataire qui se retrouve comme l'âne de Buridan, incapable de choisir entre le seau d'eau et le sac d'avoine et qui meurt de faim et de soif.
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Micro-trottoir : le pékin rencontré au coin d'une rue est censé représenté l'opinion publique dans son ensemble, sauf que, comme par hasard, il va toujours dans le sens du poil. Soit l'enregistrement a été sélectionné parmi un tas d'autres qui n'allaient pas dans le bon sens, soit le passant est un comédien professionnel, (sans parler du figurant, le petit beur qui fait des singeries derrière la vedette pour bien montrer qu'on est dans la rue et que nous avons donc le témoignage de "l'homme de la rue").
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en direct de... : le journalisme d'investigation est un travail de terrain et les reporters n'hésitent pas à aller au front ! Le fait de commenter les prévisions d'un dépouillement en attendant un résultat d'élection sur un trottoir et sous la pluie devant le mur de l’Élysée plutôt que de rester dans un studio vous fait vivre l'émotion ressentie par les candidats qui sont supposés être à l'intérieur du bâtiment, mais que vous ne voyez pas. On se demande même à quoi servent les vidéo-conférences. Mais rassurez-vous, le valeureux journaliste n'aura pas de rhume, surtout si vous observez qu'il n'est pas mouillé alors qu'il pleut et que la direction de la lumière du décor est différente de celle qui l'éclaire. Il s'agit simplement de l'utilisation de la technique de l'écran vert.
publicité
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publicité scientifique, Claude Hopkins a écrit "Scientific Advertising" en 1923, mais sa vision du comportement des consommateurs est toujours d'actualité et mise en pratique par les chaînes télé. Il s'agit de déceler ce qui pousse les consommateurs à acheter, afin que les retours publicitaires deviennent une certitude et non une supposition. L'audimat a longtemps servi d'instrument de mesure pour évaluer l'impact des spots publicitaires afin de justifier les tarifs auprès des annonceurs. L'interactivité permet aujourd'hui de connaître l'audience en temps réel. Le but, c'est de mesurer les retombées d'un investissements dans la pub, mais aussi de faire évoluer les argumentaires pour que ce soit vous qui vous adaptiez au produit et non pas le produit qui s'adapte à vous.
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identification à l'"élite" la mise en scène d'une célébrité utilisant le produit à vendre est censée booster les ventes, même si le produit concerné n'a rien à voir avec le rôle ou la fonction de la vedette en question. En fait, il n'est même pas sûr que George Clooney aime le café : "what else" ?
fictions et séries policières
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discrimination positive la juge, "le" proc. (devrait-on dire "la" procureuse ?) et le (ou la ?) commissaire sont des femmes ... les hommes sont des flics de base débiles, violents et alcoolos (et pourquoi pas homosexuels ?). Le message est transparent, sans sous-entendu : on nage dans l'idéologie "woke"
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désobéissance à la hiérarchie : le policier justicier, intègre et incorruptible lutte contre la corruption malgré les mises en garde ses supérieurs hiérarchiques qui veulent ménager un notable pour bénéficier de son influence et assurer leur carrière. Et en plus, il obtient des résultats !. Dans la vraie vie, il se fait lourder. Le message non explicite est : ne soyez pas ambitieux, soyez honnête
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morale ou efficacité ? C'est la symétrie du paragraphe précédent : si vous voulez des résultats, ne vous tétanisez pas sur un éthique paralysante, faites comme l'inspecteur Harry : rentrez dans le lard des méchants qui vous embêtent.
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la preuve à la Colin Powell : les techniques de ventes utilisées pour les produits vaisselle et les lessives sont mises au service du matraquage idéologique. Tous comme le meilleur moyen pour vendre une caisse de piquette est de faire goûter un grand cru à un gogo qui a déjà quelques kilomètres au compteur, on peut emporter la conviction d'un public naïf en exhibant un objet qui n'a aucune relation avec le sujet traité, comme la photo d'un enfant qui pleure sans savoir d'où il est pour illustrer "les horreurs de la guerre" et provoquer l'indignation en espérant une prise de position et un engagement.
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Experts et recherche scientifique : de vrais chercheurs peuvent être utilisés pour intervenir dans un débat autour de dogmes comme le réchauffisme ou la transition énergétique : leur connaissance du sujet est présentée comme une opinion parmi d'autres et toute l'habileté du présentateur consiste à leur donner la parole en premier puis de la donner à des ayatollahs de la pensée à la mode sans repasser le plat aux spécialistes compétents. C'est le dernier qui parle qui a raison, même si celui qui sait pense dans son coin : "E pur si muove !". Personne ne l'entend.
Une communication est un échange de signes de reconnaissance, verbaux ou non verbaux, entre deux personnes, c'est-à-dire un stimulus et une réponse à ce stimulus, mais l’échange n'est pas toujours transparent : il peut être à double-fond quand une seule phrase ou l'image et le son comportent deux messages :
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un message de niveau social, ce sont les mots prononcés, ce qui est dit verbalement.
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un message caché ou psychologique, ce sont "les mots" que l'on ne dit pas verbalement, mais qui peuvent - ou non - être très bien "entendus" par le destinataire, ou les images qui accompagnent les message lui-même et vont jusqu'à le noyer, parfois.
Par exemple :
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message social : "Tu veux venir prendre un dernier verre chez moi ?"
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message caché : "Tu veux passer la nuit avec moi ?". Si le verre est accepté, il y a de grandes chances que cela inclue aussi le café du matin…
Si la réponse est oui et que le "récepteur" s'en va après son verre en disant merci, l'"émetteur"sera sans doute déçu, car il avait "entendu" le oui comme une réponse à son message caché ! Dans ce cas, la réponse aurait pu être "Alors juste un verre", sous-entendu non au message caché (et non qu'il/elle n'a pas très soif) : et l'autre était fixé. En revanche, si la réponse est non, il est préférable de ré-envisager la relation…
Mais avec la télévision, vous ne pouvez pas répondre et les messages cachés s'impriment sans entraves dans votre cortex. L'audiovisuel, comme la publicité et la fonction de "porte-parole", n'ont de "communication" que le nom : il n'y a pas d'échange, pas de dialogue. C'est à sens unique. Ce sont des outils d'information et de promotion. Dans "convaincre", il y a "vaincre".
Pavlov a fait des émules et ça ne marche pas que sur les chiens, à condition que le grand public ne décode pas trop, ce qui n'est pas demain la veille, à en croire les résultats électoraux.
Benoît Delépine (incarnant le reporter Michael Kael de Grolandinfo), Jean-François Halin et Bruno Gaccio avaient bien analysé et illustré tout ça dans les guignols de l'info, émission qui mettait en scène, entre autres, monsieur Sylvestre (beuargh), caricature démystifiée du héros idéologique. Mais la reprise en main éditoriale de l'émission par Vincent Bolloré en 2015, s'est traduite par le remplacement de tous les coauteurs, d'une ligne éditoriale sous contrôle et d'une baisse importante de son budget. L'émission s'est arrêtée définitivement en 2018, et Canal+ a arrêté de décoder.
Pasmoi.