« Téléthon » : la désorientation des consciences ?
L’ardeur humanitaire de Carrefour serait-elle enfin retombée ? L’enseigne a-t-elle compris que « charité bien ordonnée commence par soi-même » et par payer ses employés correctement ? Ce serait-elle résolue, comme le conseille Chamfort, à « être juste avant d’être généreuse, comme on met des chemises avant de porter des dentelles » ?
On l’a connue, en effet, plus apostolique et missionnaire quand elle annonçait, avec pharisaïsme par affiches dans ses magasins, l’acheminement par avion de vivres et de matériel pour secourir les victimes d’un tremblement de terre en Turquie, ou surtout quand il s’agissait, à chaque saison du Téléthon, de presser ses clients à se mobiliser « avec (leur) magasin pour faire avancer la recherche ». On a déjà évoqué sur AgoraVox cette ferveur de l’enseigne qui est même allée jusqu’à se débarrasser de ses vieux décors de gondoles en les mettant aux enchères au profit du Téléthon (1).
Le leurre d’appel humanitaire pour stimuler la vente
Ce dernier samedi, pas le moindre tract humanitaire signé « Carrefour », du moins dans un magasin de Nîmes pourtant fidèle partisan du Téléthon ! Seuls neufs groupes alimentaires ou de lessive faisaient de la retape sous leurs seules couleurs dans les rayons du magasin, avec des jeunes filles jouant les représentantes pour harponner le client. Le principe restait le même : selon le tract distribué, « ces marques engagées (reversaient) une partie du montant des achats au Téléthon ». Le don tournait autour de 40 ou 50 centimes d’euro, exception faite des produits de lessive et des eaux minérales, qui, plus généreux, allaient de 70 centimes à 1 euro. Et comme d’habitude, ces marques ne « s’engageaient » à le faire que pour l’achat en lots de deux produits, à l’exception de l’une d’elles. Des cadeaux étaient même offerts pour inciter à multiplier ces achats en surnombre, mais à condition d’au moins les quadrupler ou sextupler.
La stratégie commerciale était identique : le leurre d’appel humanitaire visait à doubler les ventes et plus. Le Téléthon et son projet d’aide à la recherche sur certaines maladies génétiques n’est plus, à ce jeu, une fin en soi, mais un simple moyen pour ces marques d’augmenter leurs ventes par la stimulation des réflexes de compassion, d’assistance à personne en danger, de culpabilité, de bonne et de mauvaise conscience. Le client qu’on apitoie et culpabilise, est invité à retrouver le repos de sa bonne conscience par un acte : doubler ses achats ou plus pour que soit reversée une somme de 40 centimes à un euro à l’organisation humanitaire.
L’acte humanitaire corrompu
On connaît la réplique des partisans de ce leurre : si ça permet de récolter de l’argent supplémentaire, répètent-ils invariablement, où est le problème ? Oui, il n’y a rien à redire si on accepte que tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins. Peu importe que de cyniques marchands en tirent profit au passage en faisant la charité avec l’argent des autres. Tout le monde y trouve son compte. Une organisation humanitaire gagne plus d’argent, les clients ont bonne conscience, ces marques « engagées » accroissent leurs ventes et passent pour de grandes philanthropes.
Qu’importe que l’acte humanitaire en ressorte corrompu ! Il y perd, en effet, sa spécificité et sa valeur de fin en soi ; on finit, en outre, par trouver normal que cette campagne publicitaire menée par une association privée, l’Association Française contre les Myopathies, squatte une chaîne de service public pendant plus de 48 heures, alors que le prix d’un spot publicitaire de 30 secondes est déjà exorbitant. On oublie enfin qu’elle tend à empiéter sur la mission de l’ État qui est de financer la recherche et que les impôts sont aussi faits pour ça.
La désorientation des consciences
Le plus pitoyable était de voir en magasin les jeunes représentantes qu’on avait affublées d’un T-shirt au logo du Téléthon, jouer les camelots-prédicateurs aux points de vente. C’étaient apparemment des lycéennes. Elles avaient la fougue des prosélytes et la conviction des Témoins de Jéhovah. Elles ouvraient de grands yeux ronds de stupéfaction et d’incrédulité quand on leur expliquait la stratégie cynique des marques à laquelle elles prêtaient innocemment leur concours. Un martien ne les aurait pas plus sidérées.
Est-il meilleur exemple de la désorientation des consciences par le leurre d’appel humanitaire. Il s’empare en chacun de ce qui fait le cœur même de son humanité, ce réflexe socioculturel conditionné d’assistance à autrui en danger, inculqué par l’éducation, et le détourne au profit de ses utilisateurs. Aveuglés par leurs réflexes de compassion, de culpabilité, de mauvaise et de bonne conscience, ses victimes ne s’en rendent même pas compte et sont intimement persuadées de faire le bien de l’humanité. Les cyniques stratèges du leurre d’appel humanitaire peuvent se frotter les mains devant une telle réussite. Paul Villach
(1) Paul Villach,
- « L’Entrecôte, Carrefour et les autres, ou l’art de faire la charité avec l’argent des autres », AgoraVox, 19 octobre 2006 ;
- « Le Téléthon, "Carrefour" et "les marques engagées" pour quel avenir ? », AgoraVox, 14 décembre 2007
- « Quand « Carrefour » se promène sans chemise mais en dentelles ... » AgoraVox, 21 novembre 2008.
Rien ne sert d’être à la monde encore il faut avoir raison.
La mode est en général fugitif la cause humanitaire a déjà plusieurs dizaines années derrière elle en France en tout cas et beaucoup plus dans les pays Anglo-Saxons..
La cause humanitaire n’est plus une mode c’est une instutution.
Elle n’est qu’un grand corps malade dont l’organe de réflexion n’est plus le cerveau mais bien le coeur ! On ne jure plus que par le coeur, c’en est littéralement écoeurant !
Des Restos du même nom à ces Enfoirés qui le chantent en choeur, tout désormais ici-bas vit au rythme syncopé de systoles et diastoles... jusqu’à la techno, symbole d’un binaire « Badaboum, badaboum » !
Quel mal se donnent-ils à nous convaincre de tout ce Bien, n’est-ce pas !... c’en est suspect ! La croûte terrestre est désormais tout entière recouverte de ce miel : d’où l’effet de Serres ? Oui, Serres Michel, ce pseudo philosophe adepte du Bien, du grand bien commun !... encore un qui abdique toute forme de pensée au motif d’une absence de cerveau... oui, ça ne pense guère un coeur ! ça réagit, ça s’emballe, mais pour réfléchir, que dalle !
Alors expliquez-moi pourquoi, malgré cette débauche de Bien, tout va si mal, part à vau-l’eau, se délite à tout va ?
Et si ce Bien, si tous ces Télé-Cons du monde n’étaient que tartuferies, énièmes comédies humaines ? Là, tout deviendrait évident, non ?... oui, à savoir que l’Enfer est Bien pavé de bonnes intentions !
Et l’on s’en retourne dare-dare aux bonnes oeuvres d’antan, loin, si loin de l’Etat providence ! Vous nous parliez naguère d’une certaine Carla quasiment sanctifiée par des médias dociles !... la bourgeoise et ses bonnes oeuvres, n’est-ce pas ?... on régresse ! on régresse !
Nous sommes revenus au 19ème siècle, au temps des ouvroirs des bonnes dames patronnesses chantées par Jacques Brel : « Pour faire une bonne dame patronnesse Il faut avoir l’oeil vigilant. Car comme le prouvent les événements, 89 tue la noblesse. (bis) Refrain Et un point à l’envers et un point à l’endroit Un point pour Saint Joseph, un point pour Saint Thomas. » Paul Villach
La conscience est un processus complexe, qui demande plusieurs ingrédients : l’attention, l’éducation et le doute.
3 éléments faisant cruellement défaut chez l’homme ou la femme moderne, conditionnés par les slogans publicitaires et les émissions télévisées qui « divertissent ».
J’ai vu le même genre de réaction avec les cartes de fidélité « gratuites » dans les grands magasins. Les clients comme les vendeurs/euses ou caissiers/ères sont bien incapables de comprendre l’intérêt du magasin pour ces cartes : connaître les habitudes de consommation et revendre ces informations à des tiers.
Ne pas jeter le bebe avec l’eau du bain, d autant plus qu il est quand meme plus souhaitable que l’activite economique finance directement les projets de recherche plutot que des hausses d’impots.
. Aveuglés par leurs réflexes de compassion, de culpabilité, de mauvaise et de bonne conscience,
ses victimes ne s’en rendent même pas compte et sont intimement
persuadées de faire le bien de l’humanité. Les cyniques stratèges du leurre d’appel humanitaire peuvent se frotter les mains devant une telle réussite.
L’heure est à la charité et à la manipulation de l’émotion Alors que l’individualisme triomphe La mauvaise conscience a de quoi se manifester pour des actions ponctuelles bien médiatisées, quand on fait silence sur la misère à non portes Avant Noël, ça soulage ! Ce serait bien de relire Nietzsche sur l’origine des sentiments moraux Après le Greenwashing, le Charitybusinesswashing ?
C’est en effet la caractéristique d’une époque quand les services publics sont voués à la casse, que l’impôt est injustement réparti, qu’il est vilipendé, que les chantres du régime vont en Suisse mettre leur fortune à l’abri et qu’ils reviennent, genre Aznavour, donner des leçons de citoyenneté. Paul Villach
Téléthon ou sidaction, dès qu’il y a de la thune on retrouve les mêmes. Il serait temps d’arrêter de donner notre thune à ces boites de com. ILs me dégoutent.
Personnellement j’ai travaillé deux fois : en 1997 et 2003 « pour le Téléthon ». Bénévolement bien sûr, à faire ou à participer à la création de sites « Téléthon ».
En fait il y avait tellement de place réservée aux enseignes qui avaient fait de- modestes - oboles au téléthon qu’il ne restait qu’un espace de 320x240 pour le téléthon lui-même.
Quant aux fameuses oboles, elles n’auraient même pas payé le site !
Cette façon de « faire la charité », telle que décrite par le grand Jacques est typique d’époques d’inégalités et d’injustice où la « morale » dicte de faire de « bonnes oeuvres ». Qui se souvient du « Bazar de la Charité » qui ne fut rendu célèbre que par l’incendie du 3 mai 1897 et la mort de nombreux aristocrates ?
Mon intervention précédente (mais finalement je me dis qu’il y a fort longtemps que l’Histoire est un enseignement en voie de disparition), était pour faire un parallèle avec une situation assez semblable.
Le « Bazar de la Charité », qui n’était finalement qu’une réunion de plus de « gens de bien » (ou plutôt gens de biens), était, pour son époque un leurre d’appel en faveur de l’obéissance à - et des valeurs de - l’aristocratie, d’ancienne noblesse ou de la bourgeoisie triomphante, ainsi présentée comme « bienfaitrice » des miséreux.
L’Histoire bégaie ... enfin pour qui en connait un minimum.
Ce n’est pas parce qu’un imbécile se permet de critiquer sans fondements réels cette organisation sous prétexte qu’il estime que l’argent est mal répartie qu’on doit revoir notre position par rapport à ces enfants malades.
1°)Il est intéressant de comparer les 87 milliards d’euros de chiffre d’affaire 2008 de Carrefour avec les 90 millions de chiffre d’affaire du téléthon 2009 . Le rapport téléthon/ Carrefour est de 1/1000
Autrement dit , le téléthon rapporte approximativement l’équivalent du tiers d’une journée d’activité de Carrefour ...
2°) Supposons que les marques donneuses , pour chaque euro « donné » , en gagnent 10 en prix moyen de l’article acheté . Si elles donnent un chèque de 100 000 euros à l’AFM , cela veut dire qu’elles auront gagné 1 million moins 100 000 , c’est à dire 900 000 euros de plus que ce qu’elles auraient normalement gagné ce jour-là !
3°) l’an dernier , carrefour a versé 227 000 euros au téléthon , d’après leur site ... Une simple division de 227 000 par 87 milliards montre que ceci représente 2,6 millionièmes de leur chiffre d’affaire total . Quelle générosité ! Les actionnaires de Carrefour doivent s’étouffer de l’énormité de leur perte !
Vos calculs sont implacables ! C’est bien pourtant la réalité de ce réchauffement du climat de la charité par temps de glaciation de la justice. Paul Villach
La spécialité bien française de jouer le dégoûté devant un bel effort des millions citoyens ordinaires de France.
Qui en même temps apprennent et comprennent mieux les difficultés des autres, apprennent à s’émouvoir....
Apprenez que les pays anglo -saxons sont nettement plus généreux que les français....
Quant-au comparer les 87 milliards de carrefour c’est d’un ridicule digne des français
pourquoi ne pas comparez les revenus mensuel d’un smicard et celui de Bill Gates l’histoire démontrer que le premier s’est fait avoir et peut-être il devrait demander à son patron les revenus équivalents à celui de Bill Gates.
Faire procès à Carrefour de ses affichages humanitaires est un contresens majeur, et ce pour plusieurs raisons :
- L’ampleur des montants reversés à de multiples causes par Carrefour via sa fondation se compte chaque année en dizaines de millions d’Euros.*
- Carrefour est la plus discrète des enseignes en termes d’affichage de ses engagements.
- Aujourd’hui, les Associations, Fondations et ONG sont demandeuses à la fois de cet argent et de cette visibilité... gratuite, parce qu’elle leur permet de sensibiliser un très grand nombre de donnateurs potentiels sans payer des mailings ruineux.
Les opérations de Cause MArketing n’augmentent les ventes que de 8 à 15%, là où une opération de promotion plus classique les augmente de +20% à +50%...
Voilà, cher Paul, pour jeter l’anathème, il faut vraiment être sûr que celui sur lequel on tape est vraiment vilain. Et méditer sur le proverbe « Le profit chevauche la vertu. »...
Le problème du téléthon c’est le problème de la recherche pour les myopathies ET celle pour le cancer ET celle pour le sida ET celle pour la grippe H1N1 .
La médiatisation du théléthon a fait qu’on a caché tous les autres problèmes pour n’en voir qu’un.
Le problème c’est que la recherche ne doit pas se limiter à chercher dans une direction donnée mais qu’elle doit traiter tous les problèmes simultanément.
Le problème s’est que la médiatisation du téléthon fait qu’on tend à remplacer un financement public de la recherche médicale publique par un financement des laboratoires privés par de l’argent public, car l’argent du téléthon est aussi de l’argent public puisqu’il est déductible des impots, il devrait donc être géré par un organisme public et non des associations au fonctionnement plus ou moins opaque.
Ce que j’apprécie par dessus tout dans votre article, Paul, c’est qu’il souligne les défaillances de la mission de l’Etat, et aussi cet aspect - si peu abordé publiquement, car délicat - de la bonne conscience qu’autorisent les dons. La part du « marché » (ou du commerce) plus récente , aujourd’hui , y est abordée également... ainsi que la participation complaisante (on les comprend) des médias, qui dorent également une réputation en masquant l’essentiel : la solidarité réelle. De plus en plus habitude et conformisme, rituels, se sont substitués à ce qui permettrait la solidarité organisée pour ceux qui en ont besoin. Pierre Bergé n’a pas tort, qui souligne la part prise par le téléthon dans les médias, et la publicité accordée à cette cause là... Mme Royal non plus, qui précise que les gens ont besoin de voir leurs dons réservés à LA cause qu’ils soutiennent. Tout se tient... mais tout se délite. Et nous voici aujourd’hui sur un marché concurrentiel de la charité... Un comble !
C’est, en effet, toute une conception de l’ordre social que révèle ces foires de charité, dans une logique ultra-libérale de moins d’État. Seulement, on l’a vu, avec le scandale des banques : celles-ci font appel à l’État quand leurs turpitudes financières les naufragent. Paul Villach
»En
2008, les ressources du téléthon ont atteint 104,9 millions d’euros,
dont 102,2 millions de dons – soit 97,4% et non pas 50%"
...
"Ces
dons se sont traduits, pour l’Etat, par un manque à gagner de 66%, soit
67,5 millions d’euros : c’est l’ampleur des allégements fiscaux
consentis aux dons à des associations caritatives.
Quelque
20% de ces 102,2 millions d’euros ont été dépensés par l’AFM en frais
de collecte et de fonctionnement. L’AFM en a distribué 80% dans le
cadre de ses missions sociales, soit 81,8 millions d’euros"
...
Si
l’Etat prenait le relais de l’AFM et assumait ses missions sociales, il
bénéficierait d’un surcroît de recette immédiat de 67,5 millions
d’euros, correspondant à la disparition des allégements
fiscaux liés aux dons. Il lui suffirait d’ajouter à cette somme 14,3
millions d’euros pour financer les missions sociales que l’AFM a
financées en 2008."
Malheureusement, Carrefour et les marques participant à l’opération ne sont pas les seuls à user du téléthon pour se faire leur promotion à moindre frais. Le week end du téléthon, on assiste souvent à des représentations sportives en tout genre sencées rapporter à la cause. Or cette année j’ai été témoin d’un fait qui m’a mis mal à l’aise. Un club de danse avait organisé une représentation. L’entrée était gratuite et pour rapporter un peu d’argent au téléthon, des beignets faits maison (ou quelque chose qui y ressemblait) étaient en vente au prix d’un euro. Or, ces baignets étaient entreposés dans une cagette, sur une table dans un coin au fond de la salle. Autant dire qu’il n’y a pas eu beaucoup de vente (quand je suis parti, la cagette était pleine), mais le club de danse avait eut la bonne idée de placer un bureau d’adhésion à l’association de danse, bien en vue. Et ça a fonctionné !!! Des personnes se sont inscrites rapportant au passage quelques euros dans les caisses de l’association sportive au détriment de l’AFM. Le plus choquant, c ’est que tout ce petit monde avait l’impression d’avoir fait sa BA du week end.....