jeudi 4 juillet 2019 - par Michel J. Cuny

Thomas Piketty et cette partie des classes moyennes françaises qui est née de la Révolution d’Octobre 1917…

Résumons-nous : en observant de près l’attitude du parti communiste dès avant la Libération, nous avons découvert qu’il s’était rangé du côté des… classes moyennes. Et qu’en tout état de cause, il ne serait plus désormais question pour lui d’œuvrer dans le sens communiste véritable qui implique de passer par le socialisme, c’est-à-dire par la mise en place de la dictature ouvrière et paysanne qui doit défaire le système d’exploitation bourgeois…

Quelles ont pu être les conséquences de ce reniement sur les rapports de classe entre le travail et le capital ? Nous l’avons vu également : cela revenait à se ranger du côté de l’impérialisme, celui-ci devant réussir à faire vivre une partie déterminante des classes moyennes sous la protection d’un Etat qui, en France, avait pris, depuis Napoléon Bonaparte, la voie des conquêtes militaires d’abord à l’intérieur de l’Europe, où il s’était très vite heurté à la Prusse, jusqu’à en perdre l’Alsace-Lorraine en 1871 grâce au neveu de celui-ci : Louis-Napoléon Bonaparte… mais aussi en Algérie (1830), puis en Extrême-Orient, en Afrique, etc…

Spécifiquement assise sur l’impérialisme militaire – à la différence de la Prusse qui s’était très vite tournée vers l’impérialisme économique, d’abord pour se rendre maîtresse, à travers celui-ci, des Etats allemands environnants, puis en étendant un peu partout dans le monde la mise en circulation de ses productions -, la France n’a plus eu bientôt d’autres ressources que de se ranger peu ou prou sous la bannière anglo-saxonne, pour obtenir de participer à différentes guerres de rapine dont la Première Guerre mondiale aura été l’exemple le plus manifeste… Mais l’affaire de Libye a encore bien montré qu’au-delà du déclenchement de l’attaque, la France n’avait bientôt plus eu d’autre recours que d’obtenir l’aide des Britanniques puis des Etats-Uniens sans quoi elle aurait dû rentrer chez elle pitoyablement… ainsi qu’elle l’avait fait naguère d’Indochine et d’Algérie… perdant, à l’occasion, le pétrole de celle-ci…

Et voici qu’Olivier Passet se présente à nous avec sa vidéo du 2 octobre 2014, qui porte un titre désormais tout de suite évocateur pour nous : « Le basculement mondial des classes moyennes »… Peut-être ne devrions-nous pas hésiter, un seul instant, à la sous-titrer : du rififi chez les impérialistes… Est-ce leur structure interne qui traverserait une grosse difficulté ? Ou bien ne s’agit-il que d’un soubresaut sans grand intérêt ? Sans doute, les différents pays impérialistes ne sont-ils d’ailleurs pas logés à la même enseigne… Ce qui peut être un très mauvais signe pour certains d’entre eux a quelques chances d’en être, au contraire, un des plus excellents pour tel ou tel des autres…

Mais la France ?…

Même s’il n’a aucune raison de concevoir l’impérialisme selon l’idée que s’en faisait LénineOlivier Passet va tout d’abord nous aider à préciser, si possible, le sens qu’il convient d’accorder à cette notion ambiguë de « classes moyennes »…


« Les classes moyennes des pays riches ont été depuis l’après-guerre le moteur de la demande mondiale. Derrière cette dynamique : le compromis fordiste basé sur l’accès au salariat, à l’emploi stable et à la protection sociale. »

La première phrase indique que les « classes moyennes » apparaissent comme le remède aux crises de surproduction qui sont une des plaies du mode capitaliste de production. La seconde donne les conditions qui suffisent à produire l’émergence de ces classes salvatrices.

En dessous d’elles, il y a ce qui s’exploite à tour de bras, à l’intérieur comme à l’extérieur des pays impérialistes eux-mêmes… et donc aussi dans les pays soumis aux différents impérialismes à la suite des guerres, des interventions militaires, mais aussi de la pure et simple concurrence économique.

Question : la dégradation actuelle de la situation des « classes moyennes » à l’intérieur même du système impérialiste trouverait-elle son explication dans la seule constatation des aléas frappant le pouvoir d’achat ? C’est ce qu’Olivier Passet paraît admettre :
« Il y a d’abord cette tendance longue de stagnation du pouvoir d’achat de la classe moyenne mise à jour par Emmanuel Saez et Thomas Piketty aux États-Unis et la montée concomitante des riches et ultra-riches dans le revenu total. »

Pour ma part, étudiant les travaux du dernier cité, voici ce que j’ai cru pouvoir en déduire…
« Il s’avère qu’en lisant Thomas Piketty avec la plus grande attention – c’est-à-dire le crayon à la main – et en profitant, pour montrer la faiblesse de la compréhension qu’il en a, des références qu’il fait aux travaux de David Ricardo et de Karl Marx, un panorama inattendu et révélateur s’offre soudainement à notre perception.


Les années que je dirai « bolcheviques » et qui s’étendent de la Révolution de 1917 à la mort de Joseph Staline (mars 1953) ont produit, tout spécialement en France, l’apparition d’une classe moyenne salariée qui a offert au capital un rééquilibrage qu’il lui était urgent de trouver, sauf à basculer très vite, à son tour, dans la Révolution…
À mots couverts, tout est chez Thomas Piketty, avec la force de cette comptabilité qu’il a su établir et qui, au détour de ses recherches, suscite en lui une frayeur certaine devant le retour, bien engagé déjà, des inégalités d’avant 1914 – aussi peu supportables que possible pour quelque peuple que ce soit -, et le souci de trouver, dans les meilleurs délais, l’antidote dont certains esprits pourraient imaginer qu’il sera à la semblance de celui de 1917… 
 » (Michel J. Cuny, Ce que Thomas Piketty nous révèle, malgré lui, de l’épopée de l’URSS, Editions Paroles Vives 2016, page 5)

La disparition de l’Union soviétique, et l’extrême réserve idéologique de la Chine ne vont-elles pas, à terme, sonner le glas du stabilisateur principal de la société impérialiste française ?

NB. Cet article est le quatre-vingt-dix-septième d'une série...
« L’Allemagne victorieuse de la Seconde Guerre mondiale ? »
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6 réactions


  • Séraphin Lampion Séraphin Lampion 4 juillet 2019 20:09

    le quatre-vingt-dix-huitième article va sans doute démontrer que Pie XII était anticlérical ?


  • eric 4 juillet 2019 20:44

    Ah la, la.. Le marxisme,le léninisme, le socialisme, sont des idéologie de la classe moyenne pour la classe moyenne et par la classe moyenne.

    C’est absolument une évidence quand on constate qu’elle parle exclusivement des autres classes. Pas de celle à laquelle appartiennent la totalité des communistes. Chez les dirigeant bolchos, le nombre de fils d’ouvrier était de « 1 ». Tous les autres étaient des gosses de petits bourgeois à aristocrates dévoyés ( Lénine). C’était pareil pour la révolution française. Seul Saint Juste était un vrai noble d’épée, les autres étaient des particulés ( ou pas) de robe prétentieux. 

    Les communistes français ont été statistiquement des fonctionnaires dès le début. Les seuls ouvriers étaient des gens d’entreprises publiques. Fonctionnaires aussi.

    Emmanuel Todd a prouvé qu’il y avait une corrélation négative entre proportion d’ouvrier dans une population et vote communiste.


  • dr.jambon-beurre dr.jambon-beurre 4 juillet 2019 23:06

    cette partie des classes moyennes françaises qui est née de la Révolution d’Octobre 1917

    Ce ne serait pas cette révolution ourdie par des représentants d’un peuple dominateur et sûr de lui même et financée par les philanthropes de la « Rue des Wallons » ?


  • Eric F Eric F 5 juillet 2019 17:45

    Bonjour. Le fait que le Parti Communiste français se soit allié avec des mouvements modérés dans le cadre de la Résistance et de la Libération est une réalité, mais dire que cela revient à « se ranger du côté des classes moyennes » me semble un anachronisme. En effet, son programme et son électorat sont restés fondamentalement « ouvriéristes », la classe populaire étant à l’époque de loin la plus nombreuse -hormis la classe paysanne-.

    A propos de l’« impérialisme colonial », le contexte de l’époque avait conduit à ce que le nationalisme arabe soit suspecté de connivences nazies. Mais le PCF était de manière globale « décolonialiste », et a soutenu par exemple le Viet Minh, et plus tard les autres mouvements indépendantistes.

    Il faut voir, par ailleurs, que les théoriciens et idéologues révolutionnaires sont forcément issus des classes éduquées, et nombre d’entre eux ont idéalisé la classe ouvrière par réaction à la classe dont ils étaient issus, ou par une forme de messianisme idéaliste. ça a été vrai également pour la période récente, tel Pol Pot (famille de notable, et séminariste bouddhiste)


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