mercredi 27 octobre 2010 - par xavier dupret

Travail décent et normes OIT. Le cas de la durée du travail

Alors que la notion de « travail décent » est de plus en plus présente sur la scène médiatique, on interrogera utilement l’architecture juridique et institutionnelle sur laquelle repose le concept. On s’apercevra que les cieux éthérés des normes internationales du travail ne sont pas épargnés par les rapports de force entre groupes sociaux aux intérêts différenciés, voire divergents. Pour s’en convaincre, démonstration à partir du cas de la durée du travail.

Il revient à l’OIT, comme on sait, d’élaborer les normes internationales du travail. Recadrons cela. Ces normes sont le fruit d’un travail tripartite entre représentants des gouvernements, des travailleurs et des employeurs. Elles énoncent les principes et les droits minima des travailleurs dans le monde.

Les normes internationales du travail sont des instruments juridiques de l’OIT. A l’intérieur de ces normes, on distinguera les conventions (qui sont contraignantes en droit dès qu’elles sont ratifiées par les Etats membres) et les recommandations qui fonctionnent exclusivement comme des principes généraux ne revêtant aucun caractère non contraignant.

Allons aux sources : "Souvent, une convention énonce les principes fondamentaux qui doivent être appliqués par les États qui l’ont ratifiée, tandis que la recommandation correspondante complète la convention en proposant des principes directeurs plus précis sur la façon dont cette convention pourrait être appliquée. Il y a également des recommandations autonomes, c’est-à-dire qui ne sont liées à aucune convention."1

Normes OIT et temps de travail

Depuis 1995, le Conseil d’administration du BIT considère comme "fondamentales" huit conventions qui ont trait à la liberté syndicale, l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire, l’abolition du travail des enfants et la lutte contre la discrimination en matière d’emploi. En 1995, l’OIT a lancé une grande campagne de promotion active de ces conventions. Elle a jusqu’à présent obtenu 1.200 ratifications pour ces conventions.

L’une des plus anciennes revendications du salariat organisé, dès le XIXème siècle, en ce qui concerne la législation du travail a porté sur la durée du travail. La première convention de l’OIT remonte à 1919. Elle limite la durée du travail.

En son article 2, elle prévoit que "dans tous les établissements industriels, publics ou privés, ou dans leurs dépendances, de quelque nature qu’ils soient, à l’exception de ceux dans lesquels sont seuls employés les membres d’une même famille, la durée du travail du personnel ne pourra excéder huit heures par jour et quarante-huit heures par semaine."2

Cette norme continue à constituer une référence pour l’Organisation. Son adoption coïncide avec l’évènement de la révolution russe (1917) et l’écrasement de la révolution allemande (1919). La logique qui a présidé à l’adoption procède du même principe que l’octroi du suffrage universel en Belgique (1918). Coïncidence pour le moins troublante, les classes laborieuses, autrefois dangereuses, étaient, en effet, devenues révolutionnaires.

Phase ascendante

La longue marche du salariat vers l’obtention de droits sociaux rythmera l’activité de l’organisation internationale du travail durant une bonne partie du XXème siècle. Ainsi, en 1935, l’OIT va promouvoir la semaine des 40 heures avec maintien du salaire et embauche compensatoire.

Article premier : "Tout Membre de l’Organisation internationale du Travail qui ratifie la présente convention se déclare en faveur (...) du principe de la semaine de quarante heures appliqué de telle manière qu’il ne comporte pas de diminution dans le niveau de vie des travailleurs, (...) de l’adoption ou de l’encouragement des mesures qui seraient jugées appropriées pour arriver à cette fin et s’engage à appliquer ce principe aux diverses catégories d’emplois, conformément aux dispositions de détail à prescrire par les conventions distinctes qui seraient ratifiées par ledit Membre." 3

Quelles étaient, à l’époque, les raisons qui poussaient l’OIT à militer aussi clairement en faveur d’une vieille revendication du monde ouvrier et de ses organisations représentatives ?

Après le krach de 1929, on assiste à l’explosion du chômage dans les pays industrialisés de l’époque. Cette vague de fond a dominé les années trente. Ainsi, en Grande-Bretagne, entre "1921 et 1940, le taux de chômage ne tomba jamais au-dessous de 10% ; au début des années trente, quand le monde entier traversa la plus douloureuse crise économique de son histoire, le chômage dépassa 20% (…). Les capitalistes tremblaient ; les marxistes, plus calmes, se frottaient les mains. Dans certains pays, la démocratie s’effondrait."4

Les années trente ont effectivement l’avènement au pouvoir de gouvernements de gauche en Europe occidentale. En 1924, le premier gouvernement travailliste remporte les élections en Grande-Bretagne. Et en 1936, la France vit à l’heure du Front populaire. Quelque chose est en train de changer au pays du capitalisme. En 1936 toujours, Keynes publie sa célèbre "Théorie générale" qui marque une rupture par rapport aux écrits des économistes qui se sont penchés sur la question du chômage. Inaugurant une rupture d’ampleur, Keynes va rejeter l’hypothèse (dominante jusque-là chez les économistes) d’un taux de chômage naturel. Pour Keynes, l’objectif du plein emploi n’a rien d’utopique à condition que le taux d’investissement dans l’économie soit suffisant.

Dans cette optique, la demande des ménages assure un débouché aux entreprises. Il ne saurait être question de diminuer les salaires pour accroître la demande de travail sur le marché de l’emploi. Quel contraste avec les vues exprimées au début des années trente par le maître anglais de l’économie néoclassique, le professeur Arthur Cecil Pigou qui, dans sa théorie du chômage parue en 1933, entrevoyait la sortie du chômage de masse à certaines conditions toutefois, "à condition que rien n’entrave le libre fonctionnement du marché, les taux de salaire auront toujours tendance à correspondre à la demande de travail, de façon à ce que le plein emploi soit garanti. Donc, en situation stable, tout le monde trouvera effectivement un emploi. En d’autres termes, le niveau de l’emploi est trop bas pour la seule raison que les salaires sont trop élevés.6

Quels rapports avec la convention de 1936 ? Eh bien, en ce temps-là, l’OIT s’inquiète de la montée du chômage.

Cela transparaît très nettement dans les attendus de la convention qui actent de ce que "le chômage a pris des proportions tellement étendues et sévit depuis si longtemps qu’il y a actuellement dans le monde des millions de travailleurs en butte à la misère et à des privations dont ils ne sont pas eux-mêmes responsables et dont ils ont légitimement le droit d’être soulagés ; qu’il serait désirable que les travailleurs soient mis, dans la mesure du possible, à même de participer au bénéfice des progrès techniques dont le développement rapide caractérise l’industrie moderne [et que] pour donner suite aux résolutions adoptées par la dix-huitième et la dix-neuvième session de la Conférence internationale du Travail, il est indispensable de tenter un effort afin de réduire le plus possible la durée du travail dans toutes les catégories d’emplois". On peut difficilement trancher plus nettement en faveur de Keynes. Il faut lutter contre le chômage ! Et cela ne peut passer par une diminution des salaires.

On peut penser que la peur du rouge a permis cette évolution. En 1934, Staline a abandonné la tactique dite "classe contre classe" pour évoluer vers la tactique de généralisation des fronts populaires partout en Europe. La fin des divisions classiques entre communistes et sociaux-démocrates, à l’intérieur du mouvement ouvrier, aura permis au monde du travail de peser davantage sur le plan politique. Les effets n’ont pas tardé à se faire attendre en ce qui concerne les normes internationales du travail.

La période dite des trente glorieuses a vu, dans le champ des normes internationales de la durée du travail, quelques heureuses avancées. Ainsi, la recommandation n° 116 de 1962 sur la réduction de la durée du travail entendait-elle guider les politiques nationales de manière non contraignante "en indiquant la norme de la semaine de quarante heures, dont le principe est inscrit dans la convention des quarante heures, 1935, comme norme sociale à atteindre, par étapes si nécessaire, et en définissant une durée normale maximum du travail, conformément à la convention sur la durée du travail (industrie) de 1919."8

On s’acheminait à cette époque vers la réduction généralisée du temps de travail.

Ainsi, la recommandation stipulait que "la durée normale du travail devrait être progressivement réduite, lorsque cela est approprié, en vue d’atteindre la norme sociale indiquée dans le préambule de la présente recommandation, sans aucune diminution du salaire des travailleurs au moment où se produit une réduction de la durée du travail." La durée des prestations au travail se trouvait également réduite dans la mesure où certains droits sociaux se voyaient bétonnés. Par exemple, le droit au congé sortait renforcé en 1972 suite à l’adoption de la convention n° 132 (révisée) sur les congés payés de 1970.

Entre-temps, les choses ont bien changé.

Autres temps, autres mœurs…

Dans "De l’Esprit des lois", Montesquieu préconisait qu’on ne doit "toucher aux lois que les mains tremblantes." Force est de constater que ce postulat ne guide plus guère les débats au sein de l’Organisation Internationale du Travail (OIT).

Car, "entre 1995 et 2002, le Conseil d’administration a examiné de façon approfondie l’ensemble des normes adoptées par l’Organisation avant 1985, à l’exception des conventions fondamentales et des conventions prioritaires. Il en est ressorti que 71 conventions, dont les conventions fondamentales et les conventions prioritaires ainsi que celles qui avaient été adoptées après 1985, étaient à jour et devaient faire l’objet d’une promotion active. Pour ce qui est des autres normes, le Conseil d’administration a conclu que certaines avaient besoin d’être révisées, certaines avaient un statut intérimaire ou étaient obsolètes et que, pour d’autres, des informations ou des études complémentaires étaient nécessaires.9

Retenons quelques éléments de contexte qui sont susceptibles d’expliquer cette mutation. A partir de 1975, avec l’entrée en crise du modèle d’accumulation capitaliste keynésien, les recettes néolibérales défavorables aux travailleurs ont commencé à récupérer l’espace laissé vacant par feu le keynésianisme triomphant. 

Qu’est-ce que cela a donné en matière de réglementation du travail ? Nous avions déjà signalé la mise en œuvre d’une actualisation des normes internationales de travail. Quelle en est la philosophie ?

Dans un rapport de 200510 , l’OIT fait remarquer que "toutes ces évolutions entraînent une diversification, une décentralisation et une individualisation accrues de la durée du travail et conduisent souvent à une plus grande tension entre, d’une part, les exigences commerciales des entreprises et, d’autre part, les besoins et préférences des travailleurs concernant leur temps de travail."

La réaffirmation de la nécessité de règles à vocation universelle n’empêche cependant pas l’OIT d’abonder dans le sens des organisations économiques internationales (OCDE et Banque mondiale) au chapitre 26 de l’étude précitée.

Citons par exemple : "les différences en termes de réglementation peuvent même être significatives entre pays au même stade de développement, ce qui a des conséquences importantes en termes de coût (nous soulignons) de la main-d’œuvre et de capacité des entreprises à s’adapter aux fluctuations de la demande".

La compétitivité d’une économie repose-t-elle exclusivement sur le coût du facteur travail ? Vaste question ! On sera, en tout cas, frappé par le silence que cette analyse réserve à d’autres paramètres d’importance dans la vie économique (taux de change, taux d’intérêt et importance de la demande domestique, donc des salaires, en vue d’écouler la production). Pour peu, on croirait lire du Pigou !

Les enjeux posés par cette mutation ne sont pas que d’ordre théorique. Autant laisser la parole aux acteurs syndicaux.

Lors d’un colloque organisé le 19 octobre 2001 par l’Association Française pour l’Organisation Internationale du Travail et consacré à "l’actualité des normes internationales du travail11 ", les représentants des partenaires sociaux pour la France se sont exprimés au sujet de la modernisation des normes internationales du travail. Passons en revue quelques interventions.

Premier intervenant, monsieur Boisson pour le Medef (organisation représentative du patronat français) qui signale que "l’Organisation Internationale des Employeurs (OIE), a été non seulement (nous soulignons) d’accord, mais un des éléments moteurs pour que l’on procède à une (…) réforme de la politique normative de l’institution."12

Concernant ce processus, les organisations syndicales n’ont guère montré le même enthousiasme. Ainsi, monsieur Veronese, de la Confédération Générale du Travail (CGT), insiste lourdement sur une lacune du processus de modernisation normative de l’OIT.

Il exprime en effet plus qu’un doute : "(…) à notre avis, il convient de faire attention à la façon dont on procède à la révision du travail normatif ou, autrement dit, à la modernisation des normes. Par exemple, est-on sûr que l’usage de certains produits dangereux ayant donné lieu à la production de normes de protection ait totalement disparu à travers le monde, puisque l’on parle de diversité et d’universalité. Sur l’emploi de l’amiante, est-on sûr que l’on s’en soit débarrassé aussi vite que cela ? L’utilisation de la céruse13 , est-on sûr que cela ait complètement disparu à travers le monde ?"14

Plus loin le représentant du syndicat d’obédience communiste insiste sur un problème auquel la modernisation des normes semble ne pas répondre : "Comment prendre en compte des activités nouvelles, voire de nouveaux métiers, notamment, dans la période actuelle, présente et à venir, le travail à distance, le travail à domicile, en lien avec ce que l’on appelle (…) les nouvelles technologies ? On peut assister à des reculs sociaux gravissimes, compte tenu de ces situations particulières où le salarié est isolé de la communauté de travail. Et cela nous renvoie aux droits fondamentaux." 15

Monsieur Levrel de la Confédération française des travailleurs Chrétiens (CFTC) a, quant à lui, pointé "la très regrettable extension du travail de nuit permise (…) par le tout aussi regrettable abandon de la convention 89 de l’OIT sur le travail de nuit des femmes".16

Pourtant, le syndicaliste démocrate-chrétien insiste sur le fait que, selon lui, "les normes internationales du travail ont toute leur place aujourd’hui, car il semble que l’intérêt public soit actuellement inversé. Il est devenu celui du monde des affaires au détriment des intérêts collectifs des populations, ce que l’on appelle (…) le bien commun. Et il nous paraît que les institutions sociales sont considérées, de plus en plus, comme des obstacles que l’on cherche à démanteler sans vergogne. Paradoxalement, les acteurs de la mondialisation, dans la recherche de profits à court terme, imposent des "normes sociales" en jouant à al fois sur l’éclatement des statuts et des travailleurs, sur l’affaiblissement des mécanismes de solidarité, des contrepouvoirs et sur une déréglementation compétitive."

Recul social généralisé, démantèlement des institutions sociales, les mots sont forts. Ils sonnent juste. Car la politique de modernisation des normes internationales du travail n’a pas non plus épargné les instruments relatifs à la durée du travail.

Pour mémoire, l’OIT, depuis 1995, a procédé à une classification de ces instruments juridiques. Pour la durée du travail et le travail de nuit, cela donne ceci.

Matière

Instruments à jour

Instruments à réviser

Instruments dépassés

Demandes d’informations

Autres instruments

Pas de conclusions

Conditions de travail

Salaires

C131 et R135 (fixation des salaires minima)
C95 et R85 (protection du salaire)
C173 et R84 (insolvabilité de l’employeur)
C94 et R84 (clauses de travail dans les contrats publics)

 

 

C131 (fixation des salaires minima)

C26 et R30 (Industrie et commerce)
C99 et R89 (fixation des salaires minima dans l’agriculture)

 

Durée du Travail

R116 (réduction de la durée du travail)

C43 (verreries à vitres)
C49 (verreries à bouteilles)
C153 et R161 (transports routiers)

C43 (verreries à vitres)
C49 (verreries à bouteilles)
C67, R63, R64, R65, R66 (transports routiers)
R37 (hôtels, etc.)
R38 (spectacles, etc.)
R39 (hôpitaux, etc.)

C1 (Industrie)
C30 (commerce et bureaux)

C47 (quarante heures)

 

Travail de nuit

C171 et R178 (travail de nuit)
P89 (femmes)

 

C20 (boulangerie)
C4, C41 (femmes)

R13 (femmes agriculture)

C89 (femmes)

 

Source : OIT, Note d’information sur l’état des travaux et les décisions prises en matière de révision des normes, Conseil d’administration de l’OIT, Genève, Mars 2002, Annexe 2, p.35

"La catégorie "instruments à jour" regroupe les conventions fondamentales et prioritaires (en gras dans le premier tableau) et les recommandations qui y sont liées, les instruments adoptés depuis 1985 et ceux dont le Conseil d’administration a décidé de promouvoir la mise en œuvre.

Les "instruments à réviser" comprennent les instruments dont le Conseil d’administration a décidé la révision, ainsi que deux conventions dont la révision éventuelle est conditionnée par la révision d’autres instruments portant sur le même sujet.

La catégorie des "instruments dépassés" regroupe les conventions mises à l’écart, ainsi que celles que le Conseil d’administration a invité à dénoncer, tout en invitant à ratifier les conventions récentes sur la même matière. Cette catégorie inclut également les recommandations qui ont été juridiquement remplacées par des instruments ultérieurs ou déclarées obsolètes par le Conseil d’administration.

Les "demandes d’informations", qui constituent la quatrième catégorie, concernent les instruments à propos desquels le Conseil d’administration a demandé qu’une étude d’ensemble ou une brève étude soit entreprise, ainsi que les demandes d’informations complémentaires ad hoc.

La catégorie des "autres instruments", regroupe les instruments qui ne sont plus complètement à jour mais qui restent pertinents à certains égards."17

On constatera donc que la modernisation des normes OIT aura, à ce jour, permis de fragiliser la convention n° 47 sur la généralisation des quarante heures. En effet, les enquêtes générales18 (General survey) font explicitement et uniquement référence aux instruments assurant la promotion des 48 heures (conventions n°1 et 30). Cela ne signifie nullement que ces mêmes conventions 1 et 30 sont bétonnées pour autant.

En effet, d’après la même source19 , "bien qu’il reste important et pertinent de mettre en œuvre des étalons de référence en matière de temps de travail, des changements intervenus entre-temps justifient leur révision."

Allons-z-enfants...

Le droit international au service des travailleurs, est-ce encore d’actualité ?
C’est surtout au niveau national que l’on constate des progrès. Petit exemple, venu de Chine. Fin juillet 2006, les travailleurs des grandes surfaces Wal-Mart implantées en Chine ont réussi à former leur première représentation syndicale à l’intérieur de la très antisyndicale chaîne de distribution américaine, soit dix ans après que celle-ci ait mis pied à terre en Chine. Wal-Mart y emploie actuellement quelque 30.000 travailleurs dans 60 grandes surfaces.

Le fait que la multinationale dépende stratégiquement d’importations à bas prix de Chine (montant en 2005 : 18 milliards de dollars) n’est sans doute pas étranger à cette percée syndicale, qui s’explique en premier lieu par une volonté politique nationale, clairement affichée, de ne plus admettre l’absence de représentation syndicale dans les multinationales étrangères présentes sur le territoire.

C’est ainsi que, au début de ce même mois de juillet 2006, Wang Zhaoguo, président du premier syndicat du pays (la All China Federation of Trade Unions – ACFTU), a laissé entendre qu’il envisageait de contraindre les entreprises étrangères, par voie légale, à disposer d’une délégation syndicale. (Seules 30% d’entre elles en ont, un taux que, par la même occasion, l’ACFTU a publiquement dit vouloir porter à 60% d’ici à la fin de l’année 2006).

Morale : il peut être avantageux d’être un peu autoritaire vis-à-vis des entreprises.20 Au Nord, on constate un peu la même chose.

C’est le national qui résiste à la pression mondialisée du capital. Et cela donne des résultats. En France, c’est un gouvernement national de gauche plurielle qui a réalisé le passage aux 35 heures (dépassant ainsi les prescriptions les plus progressistes de l’OIT) en se démarquant à cette occasion de la Commission européenne.

Ceci dit, les normes internationales du travail continuent à constituer une norme indicative et une balise à minimum du progrès social. Fonction moins gratifiante, au demeurant, que ce que veulent bien (faire) croire les thuriféraires peu avisés de la mondialisation à visage humain. Mais ne soyons pas ingrats, ce pas rien. Loin de là.

Par exemple, en France, dans le cas du contrat nouvelles embauches (CNE) qui prévoyait que durant deux ans, un patron de PME pouvait licencier sans motifs un travailleur salarié durant les deux années qui suivaient la signature du contrat, l’OIT s’est montrée particulièrement sévère envers l’Etat français. L’information faisait la une du supplément économique du Figaro, le jeudi 15 novembre 2007 : "Les syndicats obtiennent la peau du CNE à Genève". La formulation est inhabituelle pour ce quotidien (sur son site, elle était cependant édulcorée.) L’Humanité, le lendemain, se voulait plus joyeuse : "La CNE passe à la trappe. Le contrat nouvelle embauche n’est pas conforme aux engagements internationaux de la France, selon l’OIT". En cause, l’avis rendu par le Comité de l’OIT chargé d’examiner la réclamation, introduite par le syndicat français Force ouvrière, contre la loi CNE de dérégulation du droit du travail produite en 2005 par le gouvernement Villepin.

La possibilité, ouverte par la loi CNE, pour les PME de licencier sans justification pendant deux ans un travailleur embauché (par extension de la période d’essai) ? Le Comité se dit être "dans l’incapacité de conclure (...) qu’une durée aussi longue que deux ans soit raisonnable." Mieux : il ajoute qu’un contrat ne peut être rompu "en l’absence d’un motif valable", sous peine de violer la convention n°158 de l’OIT. Il y a une leçon ? Il y en a deux. Primo, l’OIT reste un rempart. Secundo, le Sud n’a pas l’apanage des violations du droit social international et c’est mieux quand c’est dit, noir sur blanc.

L’OIT rempart contre la droite flexibilisatrice, cela n’a rien de nouveau dans le cas de la France. Ainsi, en 2006, lors de l’épreuve de force liée à la tentative de mise en œuvre du CPE par le gouvernement Villepin, l’Humanité indiquait que "le gouvernement Villepin pourrait, en restaurant le travail de nuit des enfants, se retrouver de nouveau pris en flagrant délit d’infraction au droit international."21 Dans ce conflit, on remarquera que la possibilité de démêlés entre le gouvernement et l’OIT renforçait dans l’esprit de ses partisans, la légitimité de la lutte antiCPE. C’est dire la force tutélaire de l’OIT et son rôle de garde-fou.

Un rôle bien nécessaire évidemment par les temps qui courent. Car à y regarder de plus près, faire travailler des enfants, ce n’est plus du Pigou. C’est carrément du Dickens.

2. Convention numéro 1 de l’OIT sur la durée du travail (industrie), 1919

4. Michael Stewart, "Keynes", Editions du Seuil, 1967, collection Points-Economie, Paris, p.4

5. Cité par Michael Stewart, op.cit, p.63.

6. On croirait lire un communiqué de la FEB.

7. L’article 1 de la convention exclut toute diminution du niveau de vie des salariés en cas de réduction du temps de travail.

8. Recommandation 116 sur la réduction de la durée du travail, 1962.

9. Information glanée sur le site de l’OIT : www.ilo.org

10. Rapport sur la durée du travail, 2005, Etudes d’ensemble, OIT, Paris, Introduction (chapitre 24). Source : http://www.ilo.org/ilolex/french/surveyq.htm

11. Actes du colloque sur l’actualité des normes internationales du travail, Association Française pour l’Organisation Internationale du Travail, 19 octobre 2001, Paris. Source : www.afoit.org

12. op.cit, p.13

13. La céruse, également appelée blanc de Saturne, est un pigment blanc à base de plomb. Ce produit fut longtemps le seul pigment blanc couvrant connu. De par sa composition, la céruse présente un caractère toxique.

14. Op.cit., p.16

15. ibidem

16. Op.cit, p.19.

17. Source : OIT, Note d’information sur l’état des travaux et les décisions prises en matière de révision des normes, Conseil d’administration de l’OIT, Genève, Mars, 2002, Annexe 2, p.36

18. "Decent working time. New trends, new issues", ILO, Ed. par Jean-Yves Boulin et ali, Genève, 2007 in Avant- propos, vi.

19. Ibidem. La source citée reproduit un extrait du rapport du comité des experts de l’OIT chargé de l’application des conventions et des recommandations (2005).

20. Source : International Herald Tribune du 31 juillet 2006 et le Wall Street Journal du 10 juillet 2006. Traitement : Gresea, 3 août 2006. Cette longue citation est extraite de l’observatoire des entreprises du GRESEA.référence internet : http://www.gresea.be/libertesyndicale_31juil06.html.

21. L’Humanité, 6 février 2006.



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