mardi 25 janvier 2011 - par Paul Villach

Tunisie : Mitterrand, à l’école de Tartuffe, simule la repentance

Comment, pour faire bonne figure, s’exonérer publiquement des fautes que deviennent ses complaisances envers un dictateur quand il a été renversé ? Le personnel politique français est confronté au problème depuis la chute de Ben Ali, ex-président de la Tunisie.

La méthode Alliot-Marie/Frèche : jouer la victime
 
On a analysé sur AgoraVox la méthode de Mme Alliot-Marie, ministre des Affaires Étrangères, qui était allée jusqu’à proposer au dictateur l’expertise policière française en matière de répression modérée de manifestations pour faire respecter à la fois le droit de manifestation et le droit à la sécurité. Elle a choisi de « faire la victime » à la Georges Frèche, en accusant ses détracteurs d’avoir volontairement déformé ses propos qui suffisaient pourtant malheureusement à la confondre, mais qui, selon elle, dans l’élan d’un leurre d’appel humanitaire, étaient l’expression de sa grande sensibilité aux souffrances du peuple tunisien. (1)
 
C’est au tour de M. Mitterrand, ministre de la culture, qui s’est vu accorder la nationalité tunisienne par le dictateur, de répondre de son jugement émis, pas plus tard que le 9 janvier 2011, dans l’émission « Dimanche Plus » de Canal + : « Il y a une opposition politique, a-t-il estimé, mais qui ne s'exprime pas comme elle pourrait le faire en Europe. Mais dire que le Tunisie est une dictature univoque, comme on le fait si souvent, me semble tout à fait exagéré  ».
 
La myopie des médias traditionnels
 
À la différence de sa collègue, si on en croit les médias traditionnels qui comme d’habitude, atteints de psittacisme, répètent le même titre au mot près ou quasiment, M. Mitterrand aurait préféré la repentance : « Le ministre français Frédéric Mitterrand, écrivent-ils en chœur, expriment ses « regrets » aux Tunisiens ». (2) Dans une lettre publiée par l’hebdomadaire Réalités, intitulée, « Lettre de Frédéric Mitterrand au peuple tunisien  », le ministre paraît, en effet, formuler des « regrets » : « Je regrette profondément, écrit-il, que mon attitude et les expressions qu'il m'est arrivé d'utiliser aient pu offenser des gens que j'ai toujours voulus aider et que j'admire et que j'aime. (…) Puissent ceux qui me connaissent bien et savent ce que j'ai accompli réellement me comprendre et accepter mes regrets !  ».
 
La méthode Mitterrand/Tartuffe : simuler la repentance par quiproquo
 
Mais de quels « regrets » au juste parle le ministre ? Le verbe « regretter » et le nom « regret » traduisent ici en apparence la démarche de repentance du coupable qui attend en retour de la reconnaissance de sa faute envers ses victimes qu’elles lui accordent pardon et réhabilitation. Or, si on examine attentivement la formulation de ces regrets, on ne relève aucune reconnaissance explicite de faute. M. Mitterrand joue du leurre du quiproquo pour égarer son monde.
 
- Ce n’est pas pour rien qu’il a préféré le verbe « regretter  » et le nom « regrets  » au verbe « s’excuser » et au nom « excuses ». Les mots « regretter  » et « regrets » autorisent l’ambiguïté volontaire. On regrette tout ce qui n’est pas conforme à ses souhaits et non pas seulement ses fautes : on peut par exemple regretter le temps passé.
 
- Le quiproquo porte ici justement sur l’objet des regrets exprimés : M. Mitterrand ne regrette pas d’avoir récusé le nom de « dictature » pour désigner le régime de Ben Ali qui a tiré à balles réelles sur les manifestants. Il regrette seulement d’avoir offensé le peuple tunisien par son soutien au dictateur qu’il se garde bien d’avouer comme une faute. Ne serait-ce pas la susceptibilité un peu excessive du peuple tunisien qui est seulement en cause ? En homme courtois, M. Mitterrand s’en veut donc de n’avoir pas mesurer cette susceptibilité et de lui avoir fait de la peine. 
 
- Ce n’est donc pas l’acte volontaire de soutien à la dictature qu’il regrette mais l’effet produit par cet acte sur le peuple tunisien. C’est comme si un individu qui avait tiré volontairement sur son voisin, regrettait seulement de l’avoir blessé mais non d’avoir titré sur lui : n’est-ce pas la faute du blessé qui s’est malencontreusement trouvé sur la trajectoire de la balle ?
 
- En somme, selon M. Mitterrand, un acte n’est pas bon ou mauvais en soi mais en fonction de l’effet qu’il produit sur autrui. Molière a théorisé cette conception de la moralité d’un acte dans « Tartuffe » : « Et le mal n’est jamais que dans l’éclat qu’on fait, s’écrie l’imposteur pour rassurer la femme de son ami qu'il veut baiser / Le scandale du monde est ce qui fait l’offense, / Et ce n’est pas pécher que pécher en silence. »
 
M. Mitterrand simule donc la repentance car il ne renie pas son acte de soutien à la dictature en tant que tel comme intrinsèquement mauvais.
 
Parfum de leurre de la flatterie et leurre d’appel humanitaire lacrimogène
 
Et pour dissimuler ce quiproquo, il recourt, comme sa collègue, à un jet de leurre d’appel humanitaire lacrimogène stimulateur des réflexes attendus, en y ajoutant le parfum du leurre de la flatterie. Il proteste de son amitié pour le peuple tunisien : volant au secours de la victoire, il le salue désormais pour « (être) parvenu par ses seules forces à se débarrasser de la chape de plomb qui pesait sur lui » - sur laquelle M. Mitterrand était assis et pesait de tout son poids -  ; et il partage avec lui « totalement l'enthousiasme pour l'avènement de la liberté et l'espoir en la démocratie » en Tunisie.
 
C’est amusant de voir ainsi M. Mitterrand sauter allègrement sans vergogne la barrière séparant jusqu’ici le camp du bourreau où il se rangeait au temps de la dictature, pour rejoindre le camp des victimes et chercher à susciter auprès d’elles un réflexe de sympathie et non plus de réprobation.
 
Il faut donc se méfier avec qui use du mot « regret » et non du mot d’ « excuse ». Le regret peut très bien ne pas porter sur l’acte reproché mais seulement sur l’effet qu’en a subi la victime plus ou moins susceptible. Le coupable ne renie donc pas son passé, il ménage seulement l’avenir en revêtant le masque à la Tartuffe de la sollicitude humanitaire. La fonction du quiproquo est d’égarer celui qui en est victime. C’est grossier mais ça marche : tous les médias ont répété comme un seul homme que « M. Mitterrand (avait exprimé) ses "regrets" aux Tunisiens  », mais sans préciser l’objet précis de ces regrets. Quel crédit, cependant un individu, fût-il ministre, croit-il gagner en jouant d’un leurre aussi fruste ? Paul Villach
 
(1) Paul Villach, « Tunisie : Alliot-Marie à l’école de Georges Frêche « joue la victime » ! », AgoraVox, 19 janvier 2011.
(2) AFP, « Le ministre français Frédéric Mitterrand exprime ses "regrets" aux Tunisiens  »
23.01.2011 – et Libération.fr, Le Monde.fr, 20 Minutes, L’Express.fr, TF1. News. Fr, Le Parisien.fr, Le Soir.be, Orange, Le Point.fr, Les Échos, Europe 1, M6, Nouvel Obs.com, etc.


4 réactions


  • LE CHAT LE CHAT 25 janvier 2011 12:44

    Aussi Tartuffe que son maitre , qui prône la non ingérence dans les anciennes colonies pour ne pas avoir à s’expliquer sur son soutien à Ben Ali , tout en oubliant qu’il s’est grossiérement mélé des élections ivoiriennes .....


  • Alexis_Barecq Alexis_Barecq 25 janvier 2011 13:00


    Ben Ali est parti, au tour de Ouattara !


  • L'enfoiré L’enfoiré 25 janvier 2011 14:07

    "Parfum de leurre de la flatterie et leurre d’appel humanitaire lacrimogène« 
    On parle de qui là ?
    Au fait, on écrit »lacrymogène", en principe. Le latin est parfois pris en défaut.


  • etiennegabriel 25 janvier 2011 19:09

    Dire que Monsieur Frédéric Mitterrand est un démocrate sincère et un ami du peuple Tunisien, « comme on le fait si souvent, me parait tout à fait exagéré ».


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