mercredi 19 janvier 2011 - par Henri Diacono

Tunisie sur le qui vive

Les télés et les radios locales ne cessent de diffuser des conseils de vigilance. Même les muezzins se sont mis de la partie. Dans chacun de leurs appels à la prière ils invitent inlassablement à la prudence et l’obéissance scrupuleuse du couvre feu. Pour sa première journée de Liberté, la Tunisie semble être sur le qui vive, samedi.

Ici et là dans la ville de Kélibia, cité qui jusque là avait dormi paisiblement le long d’une mer turquoise, dans une zone rurale, à l’abri du tourisme international, et où policiers et soldats ont repris place, rares encore sont ceux qui savent ce qui va changer. Au fil des rues et des portes, on s’interroge, on s’inquiète même. Les femmes mères de famille, chargées de tant de traditions, sont proches du désarroi. Elles ne savent pas. Elles ont presque peur. Les hommes, ruraux pour la plupart, ne se livrent pas aisément. Il leur est peut-être difficile de se défaire de l’habitude du silence qui leur a été imposé depuis si longtemps. Ils ignorent toujours la signification des mots démocratie et partis politiques.

Dans la nuit, des inconnus, en bandes agressives, ont sillonné les rues de la bourgade cassant et brûlant sauvagement, en toute impunité dit-on, locaux et magasins. Il est vrai que la police était absente alors. Tout comme l’armée. Des jeunes gens et quelques adultes, mieux informés peut-être, essaient de les rassurer. Ceux qu’on nomme « voyous » n’ont saccagé que le commissariat de police, semant aux quatre vents des centaines de fiches signalétiques, puis ils ont incendié la permanence du RCD (le parti unique du pays), les symboles du régime défunt. Ils ont pillé les grands magasins dont l’enseigne commune est celle d’une société (Mabrouk) propriété d’un proche de Leila Trabelsi épouse Ben Ali.

Partout alentour, à Menzel Temime, Korba ou Nabeul, également à Bizerte cette même enseigne aurait subi un sort identique. Un local dépendant du Ministère de l’Agriculture a été également brûlé. Mais là, les incendiaires avaient prévenu les locataires et les avaient invités à déménager…les dossiers. En écoutant leurs propos, moi qui suis sur le point d’aborder les quatre vingt balais, soudain, je me suis souvenu.

Voilà près de soixante-dix ans, à Tunis où j’étais né et vivait, j’avais fait de même avec une bande de minots. Sans manier le feu nous avions défoncé et pillé des entrepôts d’alimentation et mis à sac des bureaux qui avaient été occupés par « l’intruse », l’armée allemande de Rommel. L’opération nettoyage s’était accomplie le jour où les troupes alliées (une vraie tour de Babel) étaient entrées dans la capitale du pays. Nos mères alors tremblaient et nos pères faisaient la moue sans comprendre. Et je me suis dit qu’il en avait toujours été ainsi lorsqu’une nation changeait de repères.

Partout, confusément, on ne semble pas encore débarrassé de ce magma servile dont on les a recouverts pendant plus de vingt ans. On se demande qui va prendre la suite, à la tête du pays, d’autant qu’un ami dit avoir reçu une confidence d’un député, c’est à dire qu’il « … ne sera pas question de revenir sur la notion de parti unique ». On s’inquiète de savoir si les patrons – ils ne sont ici qu’une tourte petite poignée, croulant de richesses – vont continuer à les payer, les femmes surtout, l’équivalent de deux cents euros par mois. S’ils vont pouvoir avec épouse et enfants quitter enfin le logement paternel qui les abrite depuis tant d’années.

On se demande si d’une manière ou une autre il faudra continuer à « graisser la patte » d’un fonctionnaire, pour détourner la loi en matière de permis de construire, sur le domaine maritime par exemple, ou sur la route à un policier pour un défaut d’assurance automobile. On s’interroge enfin sur la suite qui sera donnée à la construction d’un monstrueux hôtel touristique de sept cents chambres sur l’une des plus belles plages de sable immaculé de la localité. Un investissement dont la plus grande part viendrait d’une association entre « la coiffeuse » (quolibet attribué à l’épouse du Président en fuite) et une actionnaire française d’origine italienne. On s’interroge également sur la destinée des milliers de mètres carrés de terrains agricoles brodant la mer arrachés à des paysans pour un prix dérisoire par la « grande famille », entre Kélibia et Kerkouane hameau qui abrite le fameux site d’une ville punique de l’antiquité.

Cette frange du peuple tunisien mettra peut-être des mois à prendre de nouvelles habitudes citoyennes. Et pourtant, partout dans le monde arabo-musulman elle a commencé aujourd’hui à faire bon nombre d’envieux. Tout d’un coup je me sens fier d’être revenu au pays natal, voilà une dizaine d’années



3 réactions


  • LADY75 LADY75 19 janvier 2011 12:54

    Lady Panam’ n’est pas optimiste :

    « La presse, qui aime les superproductions , aimerait voir rejouer un remake de »La révolution des oeillets« ou de »La chute du mur« 

    Hélas ! Ce qui semble se jouer ici, c’est un triste pastiche des émeutes de 1988 dans l’Algérie voisine, sans la participation de l’armée.. mais pour aboutir sans doute à un résultat similaire.

    La révolution du jasmin, sous une façade »populaire" ressemble malheureusement à une révolution de palais, une purge interne où ceux qui auraient beaucoup à perdre se cramponnent au pouvoir en sacrifiant celui qui s’était trop fait remarquer.

    Le peuple, ici, joue les figurants.. et se défoule en attendant le grand retour à l’ordre..


  • Le journal des tueursnet Le journal des tueursnet 19 janvier 2011 13:44

    Vox Populi

    Et puis pourquoi voulait-il me rencontrer ?
    Peut-être pour me révéler le secret le mieux gardé ?
    Celui qui lui a permis de régner sans partage sur des oiseaux qu’il a enfermé dans une cage et traité pendant 23 ans comme des otages…
    Non… ne me dite pas que l’homme de Carthage savait ce qu’il faisait et faisait ce qu’il voulait… peut-être ?
    Mais il ne pouvait pas aller au-delà… parce qu’il a feint d’ignorer en les privant de pain de seigle, que ses prisonniers étaient des aigles
    qui pouvaient supporter le regarde du soleil sans jamais baisser les yeux…
    http://www.tueursnet.com/2011/01/vox-populi/


  • Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR) Mohammed MADJOUR 19 janvier 2011 16:24

    La « Démocratie » est celle que j’ai définie dans mon article « DECLARATION UNIVERSELLE DES DEVOIRS DE L’HOMME » et je ne nie pas un seul mot de cette « déclaration » même si on me donne toutes les réserves d’or de la Planète Terre !

    Maintenant si dois parler du « leurre démocratique » en l’appelant « démocratie » pour faire plaisir aux peuples d’Europe qui ne comprennent leur situation de blocage politique que trop bien, alors je vous dis :


    La qualité d’un système démocratique n’est pas proportionnelle au nombre de partis politiques agrées, elle est seulement la valeur intrinsèque d’une Nation qui la produit et l’enrichit ! Retenez donc cette définition que je vous offre bénévolement !

    Dans nombres de cas on constate même que le tiraillement entre différentes parties d’une nation chacune étant rattachée à un parti ou à un autre, empêche l’instauration même d’un leurre démocratique fonctionnant périodiquement et occasionnellement en faisant danser les populations autour des bidons des urnes par la chanson des promesses non tenues !

    Ce n’est pas seulement Ben Ali, ni seulement la police tunisienne qui n’est pas la police de Ben Ali, ni le parti de Ben Ali qui n’a pas servi le seul Ben Ali...Mais ce sont tous ceux qui ont lâchement et progressivement pris ce qui ne leur appartient pas, ceux qui ont par abus de pouvoir accaparé ce qui appartient au peuple tunisien ou à des individus particuliers, ceux qui ont amassé des fortunes illégitimes profitant des failles du pouvoir ou bénéficiant de sa complicité, ceux enfin qui évoluaient hors la loi et cassaient chaque jour un peu plus la justice sociale qui n’a pas finalement fait tout ce qu’il fallait faire pour empêcher le débordement dont l’initiative ou la cause première peut être tout à fait inconnue de tous ; ce qui a fait débordé le vase tuinisien peut être tout ce que les Tuinisiens eux-même ne soupçonnent pas mais par la suite la décompression dans la rue avait permis d’aligner la majorité des honnêtes citoyens (sans la minorité des « casseurs ») courageusement vers l’objectif que recommande dans ces cas-là l’intelligence nationale (quand elle existe) et le génie politique (non encore enivré par l’odeur de la violence ) !

    La transistion politique et sociale ne demande pas d’exterminer une partie de la population ni même désigner des boucs émissaires qu’on chargerait de tous les maux : Les coupables à des degrés différents sont d’abord ceux qui n’ont pas respecté les lois et donc trahi l’esprit nartional en faisant tout ce qui n’est pas permis ; les autres sont tous ceux qui n’ont pas lutté chacun selon ses possibilités, même par la parole, pour dénoncer ou pour réprimer les actes hors la loi !


    Une transistion pacifique, une révolution que peu de pays avaient entrepris (ou même nul pays n’avait entrepris) serait d’exiger la réparation des fautes commises par les coupables eux-mêmes avant d’envisager lentement mais sûrement le passage de la société vers une situation meilleure !


    Voila pourquoi je dis que toutes le « révolutions » violentes avaient toutes basculé vers la contre-révolution perfide qui n’avaient fait qu’acumuler les passifs monstrueux pour les léguer à chaque fois aux générations suivantes... La conscience humaine n’en peut plus !

    Mohammed MADJOUR.


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