vendredi 8 mars 2013 - par Dancharr

Typologie des Amis

L’ami est l’âme sœur qui entre en résonnance, la même idée de soi-même qu’on partage avec l’autre. L’amitié permet le dialogue à égalité. Elle enrichit de ce que chacun offre. C’est un remède à la solitude, un secours dans l’ennui, une défense contre la peur, une oreille qui écoute. L’ami répond à la question qui n’a pas été posée, respecte le silence quand la douleur est là, le comble au bon moment, à la bonne mesure.

L’essentiel de ce que l’on pense être un véritable ami étant dit, passons ceux que l’on connaît à son crible et voyons combien il en reste.

La liste des amis est longue. Citons-en quelques uns : l’ami de passage, perdu de vue, d’un jour, encombrant, le faux ami, de toujours, le bon ami, de travail, nécessaire, d’héritage, numérique et j’en oublie.

Nous commencerons par le plus célèbre, le plus ancien : l’ami d’enfance.

L’âge de cette amitié suit le nôtre à la culotte. C’est son péché originel et il ne s’en remettra pas. Il date. Quand on le voit, l’ami d’enfance, ratatiné, déglingué, il donne le cafard car on est comme on le voit. Il gâche la journée. Il faut distinguer l’ami de toujours, un permanent, de lui, l’intermittent. Il refait surface au hasard d’un trottoir, autour d’un cénotaphe, dans la chaleur d’un banquet.

L’ami d’enfance n’a rien à donner qu’un coup de vieux. Il met K.O. debout les deux. À la peine de se reconnaître succède la difficulté de rafistoler une amitié dont on s’était bien passé. Le mieux serait de paraître pressé, de se saluer gentiment : « Quelle bonne surprise, se rencontrer après tant d’années, comme le monde est petit, etc… » Et de suivre son chemin. Il faudrait résister à la tentation de ressusciter son enfance et à la curiosité de savoir ce qu’a fait de sa vie ce compagnon des bancs de l’école. Les souvenirs de ces temps-là paraissent trop dérisoires, les plus vivaces peu agréables et font qu’on a plus envie de les enterrer que de s’en amuser. On se rend compte que l’ami d’enfance n’était qu’un ami de circonstance, de rencontre, comme beaucoup d’autres qui suivront et qui s’accrocheront un moment à la mémoire. Comme ceux-ci, il ne supporte pas la comparaison avec l’idéal amical. Il n’était qu’une relation de passage. De commun on n’avait que l’âge, les devoirs, les leçons. On partageait la cour de récréation, les mêmes obligations, c’était, au mieux, un bon copain. Cette amitié d’enfance s’épuise vite, est-ce une erreur de jeunesse, une illusion de vieillesse ?

Le vrai ami d’enfance est d’une autre trempe. Les retrouvailles ne doivent rien à la chance. Il été débusqué tel un trésor caché, présent dans les souvenirs, il continuait de manquer. On lui est redevable à cet ami d’enfance-là d’avoir été autre chose qu’un condisciple anonyme. On avait une connivence sans concurrence, un compagnonnage fraternel. Grâce à lui la discipline était moins rude, l’ennui moins profond. Une souvenance de cette engeance ne peut vieillir et rajeunit.

L’AMI DE TRAVAIL

Il fait partie des amis d’occasion, que l’on partage avec beaucoup. C’est une amitié qui peine à s’installer et qui, souvent, n’arrivera jamais. On cohabite durant le temps ouvrable et à l’endroit du travail par politesse, par respect de la paix civile, obligé par l’instinct de survie en milieu hostile. On s’accommode des bizarreries, des mauvaises manières, des habitudes détestables. Avec le recul, de la patience, de l’indifférence, une relation sympathique peut émerger. Les conditions influent beaucoup sur son installation. Elle suppose que des intérêts communs imposent une solidarité de fait.

Quand la survie sur un chantier dépend du regard, de la bonne volonté, de la vigilance des autres, un ami vaut mieux qu’un ennemi. Les chantiers dangereux sont propices à l’amitié comme un champ de bataille, un terrain miné, une mine de charbon, une expédition sur la lune. Dans l’atelier, rivés à la même chaîne, on se serre les coudes ; cette fraternité aide à supporter le bruit, la cadence, la fatigue, l’ennui. Au bureau, l’amitié est moins vitale. On parle de collègue. C’est une défense face aux petits chefs, à la direction. Elle se nourrit de potins, des revendications syndicales, de la galette des rois qui permet d’embrasser la reine, des pots de départ. Le lieu n’est propice à rien d’autre. C’est même beaucoup, tant la hiérarchie, le salaire au mérite, les primes au rendement, les échelons à gravir, les promotions à venir, l’avancement au piston, les dégraissages donnent l’occasion de se haïr, de médire, à jalousie.

L’entreprise est un huis-clos inapte à l’amitié puisque y prospèrent l’ambitieux, l’arriviste, le prêt à tout. On n’y trouve pas sa Boétie, le partage s’arrête au travail.

L’AMI NUMÉRIQUE

C’est le plus récent, l’ami à la mode. Sans façons, il s’invite dans la conversation, donne son avis sur votre opinion, la corrige, vous rebondissez. Le débat, à peine entamé, tourne court. Vous avez beau relancer, faire l’intéressant, jouer à l’intéressé. Il joue ailleurs. Ce n’est pas grave, il est jetable. La concurrence est redoutable, l’ami numérique nouveau est arrivé. C’est madame Bodin qui me l’a présenté quand, l’autre jour, elle en parlait à son fiston. Comme moi, il ne le connaissait pas. Il faisait le marri tout étonné. Grâce à « Face-de-Bouc », expliqua-t-elle, elle a plein d’amis « round the world », même un grand noir dans une maison blanche. Elle en a beaucoup d’autres. Elle ne les a jamais vus, ne leur a jamais parlé, elle ne sait d’eux que ce qu’ils en disent. On entre, on s’inscrit, le réseau vous accueille et on joue à l’ami. Finie la solitude, bienvenu dans une société virtuelle peuplée de créatures de rêve, débarrassé de toutes les tares viscérales qui rendent si détestables les amis véritables. Quel bonheur de s’afficher sans complexe, sans scrupule pour le plaisir de communiquer, vite, loin, dans un échange si intéressant, si intime qui en dit long sur qui on voudrait être. En résumé, avec l’ami numérique dernier cri, on parle dans le vide, d’une façon qui nous ressemble.

FINAL

Si le terme d’ami était réservé au véritable, il serait si peu usité qu’on en aurait perdu l’usage. Pourtant il est devenu une relation courante, une imitation acceptable. Ce genre d’ersatz suffit à ceux qui préfèrent le nescafé à l’arabica fraîchement torréfié. Faute de goût et d’ambition ils s’en contentent, heureux d’entrer dans une famille qu’ils n’ont connue qu’éclatée, décomposée. Ce sont des amis de papier, des consommables vite périmés. On ne parlera donc pas des amis d’un jour, des amis d’amis, de voyage et de tous les faux-amis qui sont l’essentiel de la compagnie. Un seul est à retenir. Il mérite l’admiration pour son abnégation : l’ami de toujours. Sa fidélité est touchante, proche de la sainteté. Il connaît si bien son ami, que seul un masochisme larvé explique sa présence constante. Priez pour qu’il ne guérisse pas, vous le perdriez.

Les vrais amis n’ont pas à se chercher, ne s’oublient pas. Ils s’inquiètent, questionnent, demandent. Ils n’attendent pas le premier de l’an, l’anniversaire pour exister.

L’amitié est un sentiment qui ne se contente pas d’être sincère, fidèle, intermittent. À l’égal de liberté, égalité, fraternité, fidélité, loyauté, générosité, honnêteté, l’amitié est une valeur si relevée qu’on en parle sans y croire.

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9 réactions


    • In Bruges In Bruges 8 mars 2013 11:35

      Yes.
      Le véritable ami est souvent celui dont on ne savait même pas qu’il l’était.
      On l’apprend sur son lit de mort, ou des années après que cet ami silencieux le fût( mort).


    • Dancharr 8 mars 2013 14:03

      @ durae.leges.sed.leges,

      J’ai bien aimé votre réaction, même si vous dites en substance que j’aurais mieux fait de me taire. Quoique vous semblez ne pas avoir remarqué que, moi non plus, je ne crois pas à l’amitié. Mais surtout par le lien avec « Contre la bien pensance ». J’ai retrouvé un esprit tordu qui me paraît être le vôtre et en particulier « Dieu est une question subsidiaire ». Du grand art !


    • Dancharr 8 mars 2013 14:05

      @ In Bruges

      Ainsi le vrai et seul ami est comme le soldat, sauveur de la Patrie, inconnu. J’aime bien cette belle idée de l’amitié.


  • alinea Alinea 8 mars 2013 14:50

    Si, l’amitié a un sens ! L’ami de toujours, jamais perdu de vue : il est une valeur sûre pour vous, vous êtes une valeur sûre pour lui : pourquoi ? Parce que quoi qu’il se passe, quelques soient les dissensions, les éloignements ponctuels, l’attachement libre ( oh le bel oxymore) est indestructible. Vous n’aimez pas tout de lui, il n’aime pas tout de vous, il n’y a pas de « pardon », jamais de traîtrise ; il n’est pas votre alter ego ni votre complémentaire ; il est là, il existe...
    Et quand il meurt son trou ne se referme jamais.


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