vendredi 27 décembre 2019 - par Michel J. Cuny

Un modèle d’embarquement des passagers clandestins qui prétendaient rallier le parti communiste d’Union soviétique

Il paraît qu’un certain bolchevik du nom de Lévine aura offert un gué, sans doute inespéré, au brave Alexandre Barmine qui tient aussitôt à nous faire comprendre qu’il y a là une petite manœuvre dont il ne peut pas tout nous dire, mais qui paraît plutôt inquiétante pour les complicités qu’elle aura exigées de la part de ses promoteurs…

« L’entrée du parti n’était pas facile à cette époque : on exigeait deux stages de sympathisant et de candidat de six mois chacun avant de vous accorder la qualité de membre. Mais Lévine me fit entrer dans le cabinet ennuagé de fumée de Mikhaïl Tcherny, le secrétaire de l’organisation bolchevik de Kiev. » (Idem, page 92.)

Allons bon ! Et que peut-il alors se passer, qui aura permis à Barmine de ne pas suivre l’omnibus habituel ?… En tout cas, le personnage en question ne paraît pas s’être trouvé embarrassé une seule seconde. Voici ce qu’il déclare à ce personnage dont nous savons, nous, qu’en 1939 il se proclamera très admiratif du comportement des Allemands entrés en Ukraine en 1918 pour venir détruire tout ce qui leur paraissait être un peu trop à gauche…
« Puisque vous avez déjà franchi deux fois les lignes du front pour le parti, je vais vous faire admettre sans stages préparatoires. » (Idem, page 92.)

Voici qui vaut sans doute beaucoup mieux qu’un vrai brevet de bolchevisme ! Si monsieur peut ainsi faire, dès qu’il le souhaite – et sans doute tellement il est courageux -, l’aller-retour entre les ennemis (vraiment ?) et nous, il faut tout de suite l’admettre parmi les nôtres (vraiment ?). Nous sommes alors tout à fait sûrs de n’être jamais trahis par lui… surtout si nous ne lui permettons cela que pour que, justement, il puisse trahir les bolcheviks tout à loisir…

Désormais, nous savons ce que cette opposition-là – qu’elle hurle contre Staline ou contre qui elle voudra – n’avait pas que de très bonnes intentions par rapport au camp qu’elle paraît alors rejoindre, en ayant toujours, bien au fond de sa poche, un laissez-passer permanent pour le camp d’en face…

En sa qualité d’agent contre-révolutionnaire au service de l’étranger, Alexandre Barmine peut désormais s’afficher comme un vrai communiste – et peut-être même, sans doute, comme plus communiste que quiconque… – et dénoncer absolument tout ce qui est communiste auprès de l’étranger… C’est la moindre des choses. Et, à ce compte-là tout est non seulement permis, mais exigé et exigible !…

Prenons ce cas qui se présente immédiatement…
« Au conseil de l’armée, Shrypnik exigea des exemples ; on se battait mal, des détachements assaillis à l’improviste avaient laissé rompre le cercle de fer. Or, le mien s’était trouvé en arrière de la ligne de combat, par suite d’une mauvaise liaison. » (Idem, page 94.)

Comme par hasard…

Barmine voudrait-il nous fournir, lui-même, une illustration des manœuvres de sabotage auxquelles il était décidé à se livrer ? Était-il, en effet, l’un des artisans de cette mauvaise liaison ?

Prenons la suite :


« « Fusiller les communistes pour l’exemple ! » criait Shrypnik. Mon chef lui répondit que les communistes de ce détachement avaient précisément donné l’exemple en arrêtant une débandade. » (Idem, page 94.)

L’ordre plus ou moins stupéfiant que Barmine s’emploie à répéter, en prétendant s’identifier aux communistes qui paraissent être mis en cause ici de façon très spécifique – c’est-à-dire au titre même de leur communisme – est totalement absurde, sauf si l’on y voit un déguisement de la formule qui pouvait très bien être adressée aux individus qu’on surprenait à trahir la révolution bolchevique en présence de ses ennemis en armes.

Mais la suite des propos de Barmine donne lieu à un nouveau rebondissement qui nous laisse à penser que l’auteur de la formule massacrante sait très bien qui est Barmine, et pour quelle raison la formule « Fusiller les communistes pour l’exemple ! » pourrait tout bonnement exprimer la vérité même de que ces gens-là – Shrypnik et Barmine – avaient effectivement en tête, faute de toujours pouvoir la faire passer dans les faits… Et voici tout à coup l’admirateur des Allemands qui prend du galon…
« « Alors, décida Shrypnikfaisons-en des commissaires ! » Je fus nommé commissaire politique du bataillon. » (Idem, page 94.)

Et dès 1920, nous retrouvons un Barmine qui est devenu élève à l’Académie d’état-major de Moscou, d’où il va ensuite être envoyé en Ouzbékistan, à la demande de l’ambassadeur des Soviets à Boukhara, Iouréniev, et pour sa connaissance des langues orientales… Or, bientôt, il est rappelé à Moscou avec l’ensemble des envoyés en mission…
« L’Académie subissait une épuration communiste. La chose n’était pas nouvelle pour moi. À Gomel, j’avais assisté à deux épurations. » (Idem, page 170.)




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